La révélation chrétienne est une révélation de la dignité incomparable du corps, de sa signification éthique, christologique et eucharistique .
À dire vrai, nous entretenons avec notre corps des rapports souvent ambigus de possession, d’amour ou de haine, d’idolâtrie ou de rejet. Ce corps nous renvoie une image de nous-même dans notre relation aux autres qui, ou bien nous pèse, ou bien nous plaît selon les âges et les moments de notre vie. «Ce corps fait pour le Seigneur» comme dit s. Paul, nous le traitons trop souvent comme une sorte d’avoir, de faire valoir, de capital. Corps rêvé, certains veulent le modifier, lui faire changer d’apparence, corps nié on le perce. Voici un corps fragmenté, en pièces, corps disloqué et représenté de nos musées d’art contemporain; Voilà un corps lisse, brillant, aguicheur, un réservoir de sensations et de désirs à renouveler, corps de mode ou d’affiche. Un corps prêt-à-porter, toujours jeune et frais, souriant, séduisant, presque sans âge, car il faut conjurer l’inquiétude insupportable d’avoir à vieillir et à mourir.
Ce corps nous le concevons, nous l’appréhendons, nous le vivons à la manière d’un outil ou d’un matériau. Corps fonctionnel, instrument de notre désir et notre pouvoir; corps sans densité ontologique, sans mystère, presque sans âme. Or ce corps nous dit s. Paul «est le temple de l’Esprit Saint».
Bien que fait de matière corruptible , il est habité par un esprit qui lui donne vie. Une vie qui ne se laisse pas réduire à nos mesures biologiques ou physiques, une vie d’esprit qu’on appelle âme et qui n’est ni le cerveau ni quoi que ce soit de matériel. Cette âme sans laquelle le corps n’est pas humain et sans laquelle il ne peut recevoir le don de l’Esprit est au principe de notre dignité d’image de Dieu. C’est si vrai qu’après la mort nous n’avons plus de corps à proprement parler, mais son ombre, ce qu’on dit être justement un cadavre. Tant que l’âme immortelle est présente en lui, tant que nous demeurons âme incarnée, l’Esprit du Christ peut faire de nous un temple saint, corps et âme tout ensemble. Notre corps animé et habité par L’Esprit-Saint est le réceptacle vivant de la divinité. Ainsi Dieu fait en nous sa demeure pour donner vie à nos corps mortels marqués par le péché et la corruption. Voilà pourquoi «notre corps n’est pas fait pour la débauche» comme dit s. Paul. Et il y a tant de manière d’avilir notre corps et d’humilier celui des autres.
Le Verbe, le Fils unique du Père, en s’incarnant, l’a restauré et lui a conféré une dignité incomparable. Dieu a un corps à jamais pour que nos corps soient sauvés. «Le Seigneur est pour le corps». Lui qui par nature est incorporel, impassible, incorruptible, a voulu prendre dans l’unité de la Personne du seul Fils unique, un corps animé d’une âme raisonnable comme la nôtre pour naître, vivre, souffrir, mourir et ressusciter afin que nous devenions en lui et par lui incorruptible, impassible et pas seulement pour notre âme mais pour l’homme tout entier corps et âme. Le corps est digne de la gloire de Dieu. C’est pourquoi s. Paul nous exhorte à ne pas l’offenser par des gestes, des attitudes, des comportements individuels et sociaux qui en pervertissent la dignité, la beauté. Ce pauvre corps trop souvent exhibé, dénudé, vendu à nos regards indiscrets et avides est appelé à une splendeur qu’anticipe le visage lumineux des saints et la douceur de leur regard. Avec le Christ et dans la vie des saints, ces vieux mots usés et parfois moqués, de pudeur, de pureté, de chasteté retrouvent leur sens, leur beauté, leur éclat. Ils expriment ce que fait la grâce en nous, ce qu’elle restitue à l’homme. Être chrétien jusque dans sa manière d’avoir un corps, de vivre avec son corps est la réponse et la conséquence de l’affirmation étonnante de s. Paul que «le Seigneur est pour le corps». Il l’est pour chacun et pour le corps tout entier de l’Église puisqu’il en est la Tête.
Notre corps psychique appelé à devenir corps spirituel comme dit ailleurs ce même s. Paul est un corps eucharistique. Le Christ nous donne son corps et son sang livré pour nous sous les espèces sacramentelles. Il y a dans le mystère eucharistique un corps à corps où tout du Christ est donné pour que l’homme tout entier âme et corps soit transformé. Nous sommes sanctifiés, remplis de sa présence et de son Esprit pour que nous devenions « concorporels » en Lui et par Lui comme dit s. Cyrille d’Alexandrie. Le corps de l’homme est saint, digne d’être aimé et honoré en raison d’un tel don. La nourriture de l’âme est semence d’immortalité pour le corps de chacun et pour toute l’Église.
Le Christianisme est la religion de l’âme, de la révélation du corps, de l’unité de l’homme, de sa destinée et de sa gloire incomparable. Nous appartenons au Seigneur, rendons gloire à Dieu dans notre corps, Amen.