Le signe des bergers


Dans l’évangile de saint Luc, autour de la naissance de Jésus, il y a, non pas une, mais trois annonciations ; trois visites d’anges pour annoncer des nouvelles étapes de l’Histoire du salut.
L’ange Gabriel apparaît d’abord à Zacharie dans le Temple de Jérusalem pour annoncer qu’il aura un fils, Jean qui sera le Précurseur.
Puis, l’ange Gabriel apparaît à Marie à Nazareth — c’est l’Annonciation au sens fort, « avec un A majuscule » pourrait-on dire — pour annoncer qu’elle enfantera Jésus le Messie.
Et enfin, dans l’évangile de cette nuit, les bergers reçoivent la visite de l’Ange du Seigneur accompagné d’une nombreuse troupe d’anges pour annoncer que le Sauveur est né aujourd’hui.
Ces récits sont très similaires, ils suivent le même plan. À chaque fois, il y a une apparition inattendue qui suscite la crainte de ceux qui reçoivent cette visite angélique et l’ange dit à celui ou ceux qui reçoivent l’apparition : « Sois sans crainte ! », puis annonce la naissance et donne un signe. Pour Zacharie, le signe est qu’il est rendu muet. C’est un miracle (peut-être un miracle négatif, mais c’est bien un miracle). Pour Marie, le signe est la grossesse miraculeuse d’Élisabeth. Et pour les bergers, le signe est : « Vous trouverez un nouveau-né enveloppé de langes et couché dans une crèche. »
Ce signe donné aux bergers contraste avec les deux autres : pas de miracle ! Si les bergers avaient connu les deux autres annonciations, ils auraient pu râler auprès des anges : « Et notre miracle alors ?!? Pourquoi n’y avons-nous pas droit ? » C’est vrai que ce signe paraît presque ridicule en comparaison des deux autres.
Pourtant, c’est un signe très intéressant, un signe qui dit beaucoup de choses. On pourrait se dire que c’est juste un signe de reconnaissance : pour savoir quel bébé est le Messie, pour le reconnaître parmi tous les bébés de la ville, l’ange donne un signe distinctif (et c’est vrai que ce n’est pas très commun un bébé dans une mangeoire). Mais il n’y a pas que cela. Nous connaissons bien Dieu et nous connaissons son envie de nous instruire, de préparer nos cœurs à ce qu’il veut faire. Ce signe doit donc aussi être démonstratif, il ne sert pas qu’à désigner le bon bébé, il montre aussi quelque chose, il annonce qui est cet Enfant et ce que sera sa vie.
Dans la seconde lecture, saint Paul disait à Tite : « Bien-aimé, la grâce de Dieu s’est manifestée. » Il y a bien quelque chose qui se révèle, le signe dit quelque chose. Jésus montre toujours quelque chose par ses actions et ce qu’il est. Comme il le dit lui-même : « Qui me voit, voit le Père. »
Alors, que voyons-nous ? Que montre ce signe ?
L’Enfant Jésus sur la paille de la crèche apparaît comme le grain de blé au sommet de la tige. Un grain de blé qui va être broyé et pétri par la Passion, puis enfourné dans le tombeau comme le pain dans le four, pour en sortir ressuscité et se donner en nourriture.
Il est aussi emmailloté dans les langes et couché ici, comme il sera plus tard enveloppé dans le suaire et couché au tombeau ; grain de blé jeté en terre qui porte du fruit en mourant.
Il naît à Bethléem — qu’on peut traduire « la maison du pain » — et il est mis dans une mangeoire car il est le Pain de vie qui se donne à manger.
Voilà une partie des harmoniques de ce signe donné aux bergers.
Alors, vous allez peut-être me dire : « Mais est-ce que les bergers ont vraiment vu et compris tout cela ce soir-là à Bethléem ? » Peut-être pas. Mais, après tout, ils ont quand même pu recevoir l’Esprit Saint pour les éclairer — Dieu avait déjà dépêché une troupe d’anges pour eux, il n’était pas à cela près ! — et, en tout cas, plus tard, en voyant l’œuvre accomplie par Jésus, quand ils étaient dans la même situation que nous, en repensant à tout ce qu’ils avaient vu, tout a pu être plus clair pour eux. Le signe a alors été plus éloquent, plus manifeste.
Mais, même sans une révélation très claire, ce signe parle déjà bien par lui-même. Les bergers ont remarqué le côté paradoxal de ce signe : on leur annonce le Sauveur et ils voient un nouveau-né, c’est-à-dire un être qui ne peut rien tout seul, qui est vulnérable. Un petit bébé, vous le savez, c’est un signe de vie (une petite vie qui est pleine de promesses et qui grandit presque à vue d’œil), mais un petit bébé ce n’est pas qu’un signe de vie, il apparaît aussi comme un mortel dont les pleurs et les maladies nous rappellent la fragilité. Et ce nouveau-né là est le Christ, le Seigneur. Ce Christ Seigneur qui est annoncé est un nouveau-né fragile.
Le signe que Dieu nous donne nous montre comment il compte triompher. Il ne veut pas triompher avec des prétentions comme César Auguste qui veut recenser le monde entier. Les prétentions du monde ne mènent pas loin, il suffit de voir où ont mené les tentatives humaines : de la Tour de Babel au communisme, tout s’est effondré avec pertes, fracas et victimes.
Dieu, lui, triomphe différemment. Dieu triomphe par les sacrements.
La victoire de Jésus est sacramentelle : il est le premier-né d’une multitude de frères qui sont devenus ses frères et sœurs en étant revêtus du baptême ; qui deviennent frères d’Esprit — comme on est frères de lait — par la confirmation ; qui sont nourris par lui-même dans l’Eucharistie, devenant ainsi frères de chair et de sang ; qui sont lavés de leurs péchés quotidiens par la confession régulière, etc.
Un sacrement, c’est comme l’Enfant Jésus : c’est tout petit, ça semble très humain et pourtant c’est rempli de Dieu. C’est un signe, comme ce signe donné aux bergers. Un signe de l’amour de Dieu pour nous. Un signe de la sollicitude concrète de Dieu pour nous. C’est chaque fois un cadeau de Dieu.
Le plus beau des cadeaux de Noël, c’est Dieu qui vient chez nous ; c’est Jésus qui nous offre les sacrements. Heureux sommes-nous de recevoir un tel cadeau ! Joyeux Noël !

