Jésus est assis et il regarde. Il est assis ce qui signifie qu’il va donner un enseignement important. Il regarde pour nous apprendre à regarder et agir non pas selon les apparences qui séduisent mais selon la justice et la vérité. Il regarde ceux qui, par leur don, permettent au Temple de vivre et d’être richement orné. Mais pourquoi Jésus n’avertit-il pas que cela ne sert à rien de donner alors qu’il dira aux disciples, juste après cet épisode qu’il ne restera pas pierre sur pierre du Temple, que tout sera détruit ? Il avait aussi dénoncé ceux qui avaient transformé la maison de prière que doit être le Temple en caverne de bandits ? Il pensait, nous l’avons entendu, à ceux qui, parmi les scribes, dévorent les biens des veuves. Certains qui devaient conduire le peuple de Dieu se sont transformés en voleurs, en loups, en mercenaires dans la bergerie. Combien cette réalité douloureuse est d’actualité. Pour être sainte, l’Église, comme le Temple, a toujours besoin de purification. Comment le fera-t-elle ? Est-ce possible ?
Jésus pose son regard sur une femme, une veuve. Elle a été mariée et a connu à cette occasion la joie, l’espérance, le bonheur d’aimer et d’être aimée, d’être l’unique de celui qui a quitté père et mère pour s’attacher à elle. Elle-même était, selon l’Écriture, la couronne de son époux, une grâce qu’il avait reçu de Dieu. Mais la mort est passée par là avec son cortège de conséquences douloureuses : solitude, désarroi, vide, pauvreté. Son mari, qui était un roc sur lequel elle pouvait s’appuyer, n’est plus. La mort, pas plus que les mauvais scribes, n’a pas empêché sa foi. Elle savait, comme nous l’avons repris dans le psaume, que le Seigneur soutient la veuve et l’orphelin. Qu’il est sa forteresse, son rocher, son libérateur. Elle se réfugie en lui, son Sauveur tout-puissant. Aujourd’hui, cette femme, éprouvée, nous enseigne que le vrai refuge, le vrai Temple, n’est pas fait de main d’homme mais que c’est Dieu lui-même.
Alors, allant jusqu’au bout de sa foi, elle donne à Dieu, comme avant elle la veuve de Sarepta à Élie, elle donne tout ce qu’elle a, tout ce qu’elle est, sa vie. Nous trouvons là le secret : aimer Dieu et son prochain comme soi-même ! Bède le Vénérable disait : « Elle met deux petites pièces de monnaie dans le tronc, parce qu’elle vient apporter l’offrande de l’amour de Dieu et du prochain, de la foi et de la prière. » Le don des riches peut se répéter, il est appelé à se renouveler. Le don de la veuve est définitif. C’est elle-même qu’elle donne à Dieu. Et ce qu’elle fait dans le secret, Dieu le voit. Et son acte a une portée infinie. Elle ne le sait pas mais elle préfigure et prolonge le don que le Christ lui-même va faire de sa personne. Nous avions compris que le vrai Temple était Dieu. Nous comprenons maintenant que c’est le Christ, la pierre angulaire choisie par Dieu. Et à sa suite, le vrai Temple, c’est cette veuve et toute personne qui soutient les petits et les pauvres et qui rend un culte agréable et saint à Dieu. Ils en sont les pierres vivantes non pas juxtaposées les unes à côté des autres, mais reliées entre elles par l’Amour. Qu’est-ce que cela signifie ?
Jésus, le Verbe de Dieu, s’est fait pauvre pour nous enrichir par sa pauvreté. Il n’a pas retenu le rang qui l’égalait à Dieu. Il a pris notre condition, s’est fait obéissant jusqu’à la mort et la mort sur une croix. Sur cette Croix, comme dans l’Eucharistie, il donne sa vie, il se remet entre nos mains. Il donne tout ce qu’il est pour nous. S’il le fait, c’est parce qu’il fait la volonté du Père qui a tant aimé le monde qu’il nous a donné son Fils unique afin que quiconque qui croit en lui ne périsse pas mais ait la vie éternelle. Il a tout remis entre les mains de Dieu.
C’est exactement ce que fait la veuve dans un geste tout aussi fou et scandaleux pour ceux qui ne regardent pas comme Dieu. Ce geste d’amour dépasse toute mesure humaine parce qu’il est vécu en Dieu. Il est source de vie et d’espérance. Il sème le Royaume au milieu de nous. À travers ce don que seul Dieu a remarqué, le Temple dévoyé est relevé. À travers ce don, l’espérance jaillit. Aujourd’hui, on pourrait dire que l’Église est comme concentrée en cette femme et en ceux qui lui ressemblent. Grâce à elle, grâce à eux, les portes de l’enfer ne prévalent pas sur l’Église.
L’Esprit Saint, l’Esprit du Christ, lui est donné et agit en elle comme il peut agir en nous. Il y a une vraie continuité entre le Christ, la veuve et chacun de nous lorsque nous aimons en vérité parce que c’est le même Esprit qui nous anime. Dieu nous a aimés le premier. Il nous a donné son Fils et l’Esprit Saint. Ils sont ce que le Père a de plus précieux, en quelque sorte ces deux pièces qu’il remet entre nos mains pour que nous ayons la vie en plénitude. Ils sont notre vie, toute notre vie et pourtant, nous pouvons si facilement les perdre, les ignorer. Ce sont les deux piécettes qui sont à notre disposition. Face à un tel don, comment rendrais-je au Seigneur le bien qu’il m’a fait ? Voici que le Christ vient à ma rencontre et se remet entre mes mains dans l’Eucharistie. J’y reçois aussi son Esprit Saint. Qu’est-ce que je suis prêt à lui donner en retour ?