Homélie du 16 septembre 2001 - 24e DO

«Le veau d’or et le veau gras»

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Depuis quelques jours, le monde a changé. Nous avons découvert avec horreur que les bases mêmes de notre sécurité, les symboles de notre prospérité et de notre puissance, les principes mêmes de notre culture, pouvaient être ébranlés par quelques hommes armés de couteaux. Nous avons pris conscience que nous avions mis notre confiance en des valeurs et des fondements d’une incroyable fragilité. Oui, le monde ne sera jamais plus le même.

Et pourtant, ne ferions-nous pas cruellement l’expérience que font toutes les civilisations depuis des milliers d’années, expérience relatée dans l’épisode de la Genèse que nous venons d’entendre. Au pied du Mont Sinaï, le peuple hébreux s’inquiétant du retard de Moïse, demande à Aaron de lui faire un dieu: « allons, fais-nous un dieu qui aille devant nous ». Et lorsque Aaron fond tout l’or du peuple en un veau, la foule se prosterne en disant: « voici ton dieu, Israël, celui qui t’a fait monter du pays d’Égypte » (Ex. 32, 4). L’angoisse provoquée par l’absence de Moïse, la recherche de sécurité, conduisent ainsi le peuple à mettre sa confiance en un symbole de sa puissance? Frères et sœurs, nous étions peut-être loin d’adorer, comme les Hébreux, les symboles à notre image et ressemblance qui viennent de s’écrouler. Mais il n’empêche qu’en eux, nous avions mis, inconsciemment sans doute, une confiance disproportionnée. Nous pensions nous aussi que la puissance, l’argent, la technique nous feraient monter du pays d’Égypte, qu’elles iraient devant nous; mais en réalité, cet argent et cette technique se sont retournés contre nous. Ce ne sont là ni les civilisations, ni les peuples, ni les classes, ni les régions, ni même les religions qui s’affrontent, mais des idoles aveugles et muettes qui nous entraînent dans leur combat.

L’Évangile de ce jour nous présente l’anti-veau d’or. Le fils prodigue, comme les Hébreux, s’était construit des idoles. L’illusion de la liberté et de l’indépendance d’abord, mais aussi l’image fausse d’un père colérique et cruel qui le traiterait à son retour comme l’un de ses mercenaires. Mais lorsque poussé par la faim, il rentre en lui-même et se décide enfin à retourner chez son père, quelle n’est pas sa surprise de voir que ce dernier vient à sa rencontre et ne lui laisse pas le temps de finir son discours: il se jette à son cou, le couvre de ses baisers et tue pour lui le veau gras? Entre le veau d’or et le veau gras, en réalité, se noue la tragédie de notre monde qui, depuis des milliers d’années cherche la sécurité en de dérisoires symboles de sa puissance, alors que Dieu le cherche dans sa faiblesse. Heureuse es-tu, brebis égarée que le Seigneur porte tout joyeux sur ses épaules, heureuse es-tu, drachme perdue pour laquelle la ménagère retourne sa maison, heureux es-tu, fils prodigue que le Père couvre de ses baisers, heureux sommes-nous, faibles pécheurs, car dans la faute et le péché éclate l’amour du Dieu tout-puissant! Oui, ce père qui vient à nos devants, frères et sœurs, ne serait-il pas aussi présent dans la tragédie de ces derniers jours. Ne serait-il pas caché dans les innombrables gestes d’amour suscités par la détresse de nos frères, dans la prière qui est montée naturellement sur toutes les lèvres. Certes, une poignée d’hommes s’est donnée la mort pour tuer, mais des dizaines, des centaines d’hommes et de femmes ont donné leur vie pour faire vivre, et finalement, l’humanité a été plus bouleversante encore que la barbarie.

Frères et sœurs, notre civilisation nous offre des veaux d’or, mais sommes-nous aussi capables de lui offrir le veau gras, de lui donner le pardon du Père que nous-mêmes avons reçu. Somme-nous convaincus d’être, chacun de nous, le premier des pêcheurs, et pouvons-nous dire en vérité avec saint Paul: « si le Christ m’a pardonné, c’est pour que je sois le premier en qui toute sa générosité se manifesterait » (1 Tm 1, 16). Que manifestons-nous, frères et sœurs, sinon la tristesse de notre monde repu, la vanité d’une société égoïste, la complicité d’une civilisation avide de puissance, d’argent et de plaisir? La seule joie, en réalité, est celle du veau gras que le Père nous donne en partage. Alors offrons nous aussi le veau gras aux faibles et aux pauvres, allons au devant d’eux et couvrons-les de nos baisers, donnons leur nos plus beaux vêtements. Oui, mangeons et festoyons au festin de l’Agneau, réjouissons-nous de ce que le Christ nous a sauvé, et nous sauverons des milliers d’hommes autour de nous.

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