Homélie du 25 décembre 2022 - Nativité du Seigneur, messe du jour

Le Verbe de Dieu s’est incarné

par

fr. Ghislain-Marie Grange

Le mystère de Noël a plusieurs facettes. Hier soir, nous entendions le récit de la naissance extraordinaire d’un enfant extraordinaire. Au lever du jour, les plus courageux sont allés à la crèche avec les bergers. Ce matin, nous plongeons au cœur du mystère par un texte plus difficile mais qui nous donne l’éclairage le plus profond sur le mystère de l’Incarnation. « Au commencement était le Verbe et le Verbe était Dieu. » La liturgie n’a peut-être pas beaucoup de compassion pour nos esprits embrumés par les festivités de la nuit. Mais elle nous met devant les yeux la perspective tout entière de l’histoire du salut.

Parce que la naissance de Jésus n’est pas seulement une belle histoire que l’on raconte au coin du feu tous les ans. Ce n’est pas seulement le récit d’un petit couple tout mignon qui ne trouve pas de place pour se loger et accouche de manière très romantique dans une crèche, entouré de l’âne et du bœuf, et des bergers tout gagas devant ce bel événement. Il s’agit de plus que cela.

Saint Luc, dans son récit de la naissance du Christ, l’a mis en lumière par de petits détails, avant même l’annonce de la naissance du Sauveur par l’ange. Joseph et Marie se rendent à Bethléem pour se conformer au recensement de tout le monde habité. Nous sommes déjà devant une perspective universelle. Ce recensement se conforme à un édit de l’empereur César Auguste. César Auguste ne se pense pas comme le souverain de l’un des peuples du monde mais il entend régir le monde entier. Auguste signifie littéralement « l’adorable ». Il se fait parfois même appeler « sauveur » parce qu’il a apporté au monde la paix universelle. Cette paix restait cependant toute humaine et bien précaire.

La naissance du Christ n’est donc pas seulement une petite histoire édifiante, elle relève plus profondément de la grande histoire, de l’histoire du monde entier. Mais plus profondément encore, c’est le prologue de Jean qui lui donne son cadre théologique. C’est ce texte qui nous permet de comprendre tout l’enjeu de la naissance du Christ, de le replacer dans la grande perspective du dessein de Dieu sur l’humanité.

« Il était dans le monde, et le monde fut par lui, et le monde ne l’a pas reconnu » (Jn 1, 10).
Dans cette humble naissance, c’est le Créateur du monde qui s’incarne. C’est Dieu qui a pris sur lui notre humanité. Cet enfant qui mange et dort comme les autres n’est pas un enfant comme les autres. Il n’est pas seulement habité par le divin, il n’est pas seulement pourvu de talents extraordinaires. Il n’est pas seulement promis à un destin exceptionnel comme le serait une réincarnation du Dalaï-Lama. Mais il est le Verbe de Dieu lui-même ; il est Dieu lui-même qui entre dans l’histoire des hommes. Malgré la discrétion de cette naissance, l’histoire du monde est à un tournant, ce dont le langage courant témoigne en distinguant un « avant Jésus-Christ » et un « après Jésus-Christ ». En ce jour, le salut de l’humanité s’accomplit ; une nouvelle ère s’ouvre.

Dans ce mystère étonnant se joue un autre mystère : celui de l’acceptation et du refus du Christ par les hommes. « Il est venu chez lui et les siens ne l’ont pas accueilli » (Jn 1, 11).
Déjà, Marie et Joseph ne trouvent pas de place à l’hôtellerie ; déjà, les bergers viennent adorer le Seigneur ; déjà les anges chantent sa gloire ; déjà Marie conserve avec soin toutes ces choses dans son cœur. Plus tard, mais il ne faudra pas attendre très longtemps, les grands de ce monde (qu’on appelle les rois mages) viendront lui rendre hommage comme au souverain de l’univers. Ils symbolisent le dépassement des richesses matérielles et des richesses spirituelles, celles du savoir. D’un autre côté, bientôt Hérode répondra à cette naissance par un meurtre de masse.

Il est légitime et bon de se laisser bercer par la douceur de Noël ; nous pouvons aimer l’ambiance du sapin et de la neige. Mais c’est d’abord parce que nous savons que c’est le salut du monde qui s’accomplit dans ce mystère. L’ambiance chaleureuse nous conduit à la foi en ce petit enfant. Alors si vous ne l’avez pas déjà fait, vous pourrez venir contempler dans la crèche l’enfant-Dieu qui est né et prendre un temps de silence pour l’adorer, pour déposer à ses pieds vos joies et vos peines, les vôtres et celles du monde entier. Tel Atlas dans la mythologie grecque, le Christ est venu prendre sur ses épaules l’univers entier. Comme le disait l’épître aux Hébreux dans la deuxième lecture, le Fils porte l’univers par sa parole puissante (He 1). Offrons lui l’hommage de notre foi et de notre adoration.