Il y eut un soir, il y eut une nuit : Noël !
Il y eut une étoile, il y eut un soleil : Épiphanie !
Aujourd’hui, notre fête jour et nuit est complète : la nuit protège le mystère de la naissance de l’enfant Dieu et le soleil éclaire d’un jour nouveau tous ceux qui viennent de tous les Orients reconnaître la gloire de Dieu dans la simplicité d’un enfant.
Plénitude en mouvement : dans la nuit Dieu vient à nous, en nous, dans notre chair. Au grand jour l’humanité de toutes les nations vient à Jésus pour l’adorer.
De Dieu à l’homme et de l’homme à Dieu la circulation immense de l’amour, le mouvement qui n’a pas de fin.
Dans la nuit, Dieu vient à nous. Il a choisi de venir parce qu’il est Amour. « En ceci consiste l’amour, ce n’est pas nous qui avons aimé Dieu, mais c’est lui qui nous a aimés et qui a envoyé son Fils » (1 Jn 4, 10). À Noël, Dieu a l’initiative et il tient sa promesse réalisée dans la fragilité d’un nouveau-né. Marie a dit oui et a porté Dieu dans sa chair pour que Dieu devienne un homme. À la plénitude des temps, « Dieu a envoyé son Fils, né d’une femme, sujet de la Loi » (Ga 4, 4). La nuit protège Marie dans cet échange émerveillé où Dieu envoie son Fils et où Marie lui donne chair. La nuit révèle aussi le choix de Dieu dans tous les détails qui donnent sens à la Noël : la vie d’une femme qui accouche, la profondeur d’une grotte où Dieu s’abaisse et devient le Très-bas, la pauvreté d’une mangeoire où l’enfant est couché sur la paille. Mais aussi harmonie intense de cette simplicité où Dieu prend le visage de Jésus. Ainsi le Verbe s’est fait chair, pour vivre d’homme à homme avec nous, sans intermédiaire, sans représentant, sans porte-parole ni délégué. Le Verbe qui est Dieu, le Fils qui est bien-aimé du Père, l’envoyé venu sauver l’humanité de l’empire du mal, de la violence et du péché est cet enfant nouveau-né couché sur la paille. La chair du Verbe nous dit enfin la création de l’homme et de la femme dans la chair et dans le temps pour apprendre à aimer comme Jésus nous a aimés. Il vient nous sauver en nous donnant un cœur nouveau, en changeant le cœur de pierre en un cœur de chair capable d’aimer. Le Verbe s’est fait chair pour devenir proche, sensible, aimant. La Parole s’est faite enfant pour apprendre de Marie, et par l’intime de son cœur, le langage de la relation de l’homme à Dieu, des hommes entre eux et du silence intérieur.
Par la chair du Verbe fait chair, Dieu communique la gloire de son Amour. Et nous pouvons entendre l’adage des Pères de l’Église qui résume Noël/Épiphanie : « Dieu s’est fait homme pour que l’homme, par grâce, devienne Dieu (1) » que saint Irénée a exprimé ainsi : « La gloire de Dieu c’est l’homme vivant et la vie de l’homme c’est contempler Dieu (2) » .
L’Épiphanie, la manifestation de la gloire de Dieu dans la simplicité de l’enfant de Noël, est devenue par les apôtres l’expérience de l’Église : « Ce qui était dès le commencement, ce que nous avons entendu, ce que nous avons vu de nos yeux, ce que nous avons contemplé, ce que nos mains ont touché du Verbe de Vie, car la Vie s’est manifestée » (1 Jn 1, 1).
Les mages aussi nous représentent devant l’enfant, et depuis l’Épiphanie une foule que l’on ne peut dénombrer parmi toutes les nations forme le peuple nouveau qui manifeste en cortège pour « venir à Jésus ». L’Épiphanie est bien ce : 1. partir à l’étoile, 2. venir adorer, 3. offrir les cadeaux et 4. revenir par un autre chemin.
1. Partir à l’étoile. La nuit de Noël a donné une étoile que cherchaient les Mages dans leur quête de vérité et de vie. Comme nous aujourd’hui quand nous cherchons ce qui donne du sens et du goût à la vie.
L’étoile est à chercher dans le ciel de la foi, de l’espérance et de la charité. Je vous propose de voir Marie comme l’étoile de l’espérance. C’est bien la foi qui conduit à Jésus mais c’est aussi Marie qui fait naître l’espérance comme un enfant. Nous sommes aujourd’hui dans un monde qui désespère de plus en plus, où de jeunes couples ne veulent plus d’enfants car l’avenir rempli de menace affecte notre présent. Marie, cette toute jeune femme qui a dit oui à une promesse irréaliste, a engagé sa vie à porter Dieu dans son ventre et à faire grandir un enfant. Elle est bien celle qui en disant oui a « espéré contre toute espérance » (Rm 4, 18). Chantez en cette fête le Magnificat où les puissants, comme Hérode, sont chassés de leur trône quand ils veulent maîtriser et dominer le monde par leurs propres forces : celles des armes car il en faut toujours plus, celle de l’argent car il en faut toujours plus et celle de l’idéologie du pouvoir qui en veut toujours plus. Oui le Seigneur élève les humbles et comme nous l’avons chanté avec le psaume 71 : « L’enfant Dieu délivrera le pauvre qui appelle et le malheureux qui est sans aide. » Notre espérance vient de l’accueil et de l’écoute des plus petits à qui Dieu se révèle tandis que l’espérance est cachée aux sages et aux habiles. Car l’infiniment grand et l’infiniment petit ne nous appartiennent pas.
2. Venir à Jésus : comme vous ce matin, vous avez quitté votre maison, votre grasse matinée, somme toute légitime du dimanche matin, votre zone de confort pour venir à la messe. Là, vous venez écouter la Parole de Dieu, cet évangile qui éclaire votre vie à chaque pas, vous venez adorer ce Dieu qui se donne en nourriture pour le pèlerinage de votre vie, et vous aimez aller dans la paix du Christ pour rencontrer vos frères sur vos lieux de vie. Et je vous félicite, une fois n’est pas coutume, et je vous souhaite à la fois bonne fête et bonne année si vous la vivez ainsi.
3. Quel meilleur cadeau que de donner en partage ce que vous avez reçu — la vie et l’amour de la vie — du Seigneur lui-même (1 Co 4, 7). Oui, donner et partager les prières, les gestes et les paroles d’un cœur de chair sensible, comme Jésus, à ceux qui souffrent, aux cœurs brisés et broyés (Ps 50).
4. Reste le dernier trait de cet évangile des Mages : ils partirent par un autre chemin. Pour quoi ? Dans l’histoire compliquée des hommes, il y a souvent des nuits privées d’étoiles et des jours comme le Vendredi Saint où les hommes ne savent pas ce qu’ils font. L’autre chemin nous conduit à une autre espérance. Celle que Jésus fait briller dans sa chair car il privilégie l’enfant et le pauvre pour annoncer cette Bonne Nouvelle qui révolutionne le monde. Du plus bas, Jésus fait éclater la gloire du Très-Haut. Car la gloire c’est la vie de l’amour qui se révèle à ceux qui l’accueillent : les petits, les boiteux, les aveugles car la Bonne Nouvelle est annoncée aux pauvres. L’autre chemin pour aller dans la paix du Christ c’est de toutes les manières, par la prière et par l’action, aimer en actes et en vérité : rencontrer les laissés-pour-compte de la mainmise du monde par les puissants de la terre. Les pauvres savent l’échec et ils vivent sous la menace au quotidien. Ils nous apprennent l’espérance vraie, celle qui crée une relation simple et vraie avec Dieu, avec les autres et avec soi. Le péché est retors et il nous vieillit à chaque fois, l’espérance est droite et nous rend à notre enfance véritable. Cette relation avec ceux qui souffrent dans leur corps, leur esprit et leur cœur vous donnera la joie d’un cœur de chair comme celui de l’enfant de Bethléem.
[1] Saint Athanase, Sur l’Incarnation, 54, 3.
[2] Saint Irénée, Adversus Haereses, IV, 20, 7.