Homélie du 15 février 1998 - 7e DO

Lot de consolation ou gros lot ?

par

fr. Henry Donneaud

Méfions-nous des lots des consolation!

Beaucoup d’entre nous ont déjà joué au loto. Et certes, à défaut de gagner le gros lot, il n’est pas désagréable de recevoir un petit lot de consolation. Au moins, tout n’est pas perdu!

Et bien, il ne doit pas en aller ainsi dans notre foi. Faisons même très attention de ne pas nous contenter de lots de consolation.

C’est exactement ce dont nous avertit S. Paul: Si c’est pour cette vie seulement que nous avons mis notre espérance dans le Christ, alors nous sommes les plus malheureux de tous les hommes (2 Co 15, 19).

La tentation existe, en effet, de nous contenter de quelques lots de consolation chrétiens.

Oui, j’accepte de croire, d’être chrétien. Certes, cela me coûte un peu, m’impose quelques exigences; il faut acheter quelques cartes et jetons; faire quelques sacrifices.

Que vais-je gagner? A dire vrai, je n’en sais trop rien. Suis-je sûr de gagner le gros lot: la résurrection et la vie éternelle? On le dit, mais, cela me semble bien hasardeux, incertain, très lointain. Je n’y pense guère. D’ailleurs, je me contente de beaucoup moins; il me suffit de quelques lots de consolation. N’est-ce pas déjà bien suffisant de recevoir de ma foi: une morale qui, balise ma route, une parole qui m’apporte quelques lumières, une spiritualité qui me donne de l’énergie intérieure, une Église qui m’accompagne. Bref, l’Évangile donne sens à ma vie; il permet d’améliorer tant bien que mal la conduite des hommes, des sociétés.

Certaines variantes peuvent d’ailleurs s’introduire dans ce discours.

L’une plus volontariste:  » L’essentiel, pour moi, c’est d’accomplir mon devoir; quel qu’en soit le résultat, je dois croire, je dois obéir, je dois aimer. Je n’ai pas à attendre de récompense. Mon lot de consolation, c’est le devoir accompli « .

L’autre version, plus pragmatique, plus au goût du jour:  » Je crois, j’obéis, j’aime, pour autant que j’y trouve mon bien ici et maintenant; mon lot de consolation, c’est mon épanouissement, mon bien-être sur cette terre. Tant mieux si quelque chose vient après, mais ne rêvons pas trop… « .

Et bien, ne nous laissons pas abuser. Revenons à l’essentiel, même si l’air du temps ne nous incite guère à lever trop haut les yeux de notre désir.

S. Paul, lui, ne tergiverse pas. Il pourrait même passer pour un excité: sans résurrection, la vie chrétienne n’a pas de sens; elle est vaine, misérable. S’il n’y pas de résurrection, mangeons et buvons, car les jouissances du temps présent valent mieux que tous les renoncements.

Si nous espérons dans le Christ, au contraire, c’est parce que nous attendons et désirons la résurrection de tout notre être, la vie éternelle. Notre foi, profondément, essentiellement, n’a pas d’autre but, pas d’autre raison d’être que l’espérance de pouvoir nous tenir debout devant Dieu, de jouir éternellement et tout entier, corps et âme, de son amour.

Certes, il nous est bon, et même indispensable, de trouver déjà dans notre foi, ici bas, des réconforts, des consolations, qui nous aident à avancer. Le Seigneur Jésus lui-même n’a pas manqué d’en donner à ceux qui l’approchaient avec foi, et il continue, par son Esprit, de nous aider sur la route. Mais là n’est pas l’essentiel, et nous risquons toujours de l’oublier, Notre foi n’a de sens que dans la perspective de notre résurrection intégrale et définitive, dans la gloire de Dieu, une fois pour toutes et pour toujours. Cela seul doit être notre vraie raison de croire.

Revenons d’ailleurs à notre loto.

C’est un fait: on se contente d’autant plus facilement d’un lot de consolation que l’on a misé moins gros. Celui qui a versé 20 F s’en satisfait davantage que celui qui a engagé toute sa fortune.

Et bien il en va de même de notre vie chrétienne. A nous contenter de maigres lots de consolations, reçus de temps à autres, de quelques grâces ou améliorations d’ici-bas, n’est-ce pas le signe que nous n’avons pas misé assez, que nous n’avons pas engagé tout ce que nous sommes à la suite du Seigneur?

Si S. Paul nous paraît si excessif, si excité, s’il se déclare le plus malheureux des hommes au cas où la résurrection serait un mythe, c’est que, précisément, il a engagé toute sa vie à la suite du Christ, il lui a tout donné: non pas un tranquille placement de rentier avisé: quelques actions sur le Christ, à côté d’autres placements (fermes ou appartements, obligations PLM ou emprunts Pinay); mais la totalité de sa vie, tout son désir, tout son amour, vers un seul but, la vie bienheureuse dans le sein du Père.

Il y a tout à donner pour tout recevoir. Et celui qui ne se hasarde pas trop à désirer la résurrection risque fort d’être celui qui craint d’avoir à trop engager.

Revenons à notre loto. Voilà en effet une objection plus insidieuse encore, celle de certains philosophes ou spirituels: le gros lot, est-on vraiment sûr qu’il existe, qu’il soit raisonnable?

 » La résurrection: quelle croyance intéressée et mesquine, nous dit le philosophe hautain. Il faut faire le bien pour lui–même, sans attendre de récompense, sans projeter sur lui nos désirs personnels « .

 » La résurrection: quelle croyance grossière, dit le prétendu spirituel; elle accorde tant de place à cette matière charnelle et corporelle!  »

Et bien, mes frères, ne craignons pas de confesser ce que nous enseigne notre foi. Le Seigneur nous demande toute notre vie pour nous la donner tout entière. Or notre vie, ce n’est pas qu’une âme; c’est une personne de corps et d’esprit, tout entière voulue par Dieu, aimée de Dieu et appelée à partager sa gloire. Notre personne concrète n’est pas un accident malheureux, une pauvre âme égarée dans un corps. Le désir de vie traverse tout notre être; il nous soulève tout entier vers Dieu. C’est sur ce désir intégral qu’il faut nous appuyer pour tendre vers Dieu, pour répondre à son appel. C’est ce désir, et lui seul, qui nous permet, jour après jour, de donner un peu plus de nous-même, corps et âme, pour apprendre à aimer vraiment.

Oui, le Seigneur nous demande beaucoup. N’ayons pas peur de le dire, à la face d’un monde qui redoute le sacrifice, le risque, la dépossession. On ne marche vers Dieu que dans le don de soi, chaque jour approfondi. Et pourtant, le Seigneur nous réserve beaucoup. N’ayons pas peur de le dire, à la face d’un monde qui Ignore la vraie joie, car il est incapable de se la donner à lui-même.

Que notre foi se fasse donc intégrale, sans tergiversation, mesquinerie ou étroitesse. Ne nous contentons pas de peu et visons haut. Ne craignons pas de proclamer, avec S. Paul, que la vie chrétienne, sa foi, sa morale, ses rites, sont tout à fait vains, s’ils ne brillent pas déjà, dans nos cœurs, de l’attente de la Bienheureuse espérance, l’avènement de Notre Seigneur Jésus Christ, lorsqu’il viendra nous ressusciter pour sa gloire.

 

Et d'autres homélies...