Homélie du 18 août 2024 - 20e dimanche du T.O.

Manger le Pain de Vie

par

fr. Emmanuel Perrier

Qu’attendons-nous, ou qu’espérons-nous, lorsque nous allons communier à la Messe ? Notre foi nous permet de répondre à cette question : nous attendons rien moins que le corps du Christ, nous espérons rien moins qu’entrer dans une communion avec le Christ lui-même. Si nous attendions moins que le corps du Christ, si nous espérions moins que la communion avec le Christ, mieux vaut ne pas aller communier. Mais on pourrait alors se poser une nouvelle question : qu’attendons-nous ou qu’espérons-nous de cette communion avec le Christ ? Une réponse pourrait être que nous attendons un moment d’intimité avec notre Seigneur, ou que nous espérons ressentir sa proximité et sortir de cette Messe avec le sourire d’une rencontre réussie. À n’en pas douter, c’est une joie à laquelle nous pouvons aspirer. Mais elle n’est pas suffisante. D’abord parce qu’il arrive souvent qu’on ne ressente rien de cet ordre, alors que la communion, elle, était bien réelle. Ensuite, si le critère d’une communion réussie était ce qu’on ressent, si elle était de l’ordre d’un sentiment intime, alors il serait difficile de discerner une communion réelle d’une auto-suggestion. On peut à cet égard regretter certaines présentations de l’eucharistie qui tombent dans cette facilité, qui veulent convaincre de la grandeur de ce sacrement en se focalisant sur un effet bienfaisant qui n’est pas toujours au rendez-vous, sur une spiritualité de la rencontre émotive qui ne correspond pas à l’expérience de tous et tout le temps. Si vous me dites que l’eucharistie c’est cela, alors que moi je ne ressens rien, ai-je encore une raison d’aller à la Messe ?

Alors quel effet dans ma vie faut-il attendre de la communion au sacrement du corps du Christ ?
Le Christ s’emploie à répondre dans l’évangile de ce jour : Je suis le Pain vivant descendu du ciel. Et parce que je suis le pain vivant descendu du ciel, si quelqu’un mange de ce pain il vivra éternellement. À l’inverse, poursuit le Christ, si vous ne mangez pas la chair du Fils de l’homme, vous n’avez pas la vie en vous. Celui qui mange ma chair et boit mon sang a la vie éternelle. Et moi je le ressusciterai au dernier jour.
Ainsi l’effet que nous attendons de la communion est-il double : la vie éternelle et la résurrection au dernier jour. À l’inverse, celui qui ne mange pas n’a pas en lui la vie. Communier au corps du Christ, cela fait donc une différence de taille avec ne pas communier au corps du Christ. La vie et la vie éternelle d’un côté, l’absence de vie de l’autre.

Pour entrer dans les profondeurs de cet enseignement du Seigneur, nous allons répondre à trois nouvelles questions. Voici la première. Le Christ affirme que l’effet de la communion à son corps est de donner la vie. Pourtant nous étions déjà vivants avant de communier. De même, il affirme que celui qui ne mange pas sa chair n’a pas la vie, alors que nous connaissons des baptisés qui ont arrêté d’aller à la Messe et qui ne s’en portent pas plus mal. Alors, de quelle vie parle-t-il ?
Pour répondre, il nous faut remarquer que le Christ identifie son corps à un pain de vie et qu’il appelle ce pain de vie une « vraie nourriture ». « Ma chair est la vraie nourriture. » Le Christ oppose cette vraie nourriture au pain que les Hébreux mangeaient pendant l’exode dans le désert, la manne. Eux sont morts parce que la manne n’était pas la vraie nourriture. Elle nourrissait seulement pour un moment. On la consommait, le corps l’assimilait, puis la dépensait dans ses activités, et il fallait à nouveau manger pour prolonger sa vie.
Le Pain de vie en revanche n’est pas une nourriture pour un moment, il n’est pas un pain pour conserver la vie qu’on a déjà. Sa particularité, ce qui en fait la « vraie nourriture », c’est qu’il contient la vie elle-même car il est la chair du Christ et que le Christ est la vie. De fait, il est vraiment la vie, celui qui est le Dieu vivant descendu du ciel. « Moi je suis la résurrection et la vie » dira Jésus à Marthe. Les nourritures pour un moment ne sont pas vivantes, elles n’ont pas la vie en elles, elles ne sont pas la vie elle-même, elles ne servent qu’à entretenir la vie qu’on a déjà. Au contraire, parce que le Pain de vie contient la vie, qui mange de ce pain reçoit la vie elle-même et celui qui reçoit la vie elle-même ne peut plus mourir, il a en lui la vie éternelle.

Ainsi, qu’attendons-nous lorsque nous allons communier à la Messe ? Rien moins que le corps du Christ. Et qu’attendons-nous de cette communion au corps du Christ ? Rien moins que la vie éternelle, et la résurrection au dernier jour, parce que le corps du Christ est le Pain vivant, le Pain qui est la vie et qui donne la vie éternelle.

Surgit alors une deuxième question. Ce Pain vivant donne la résurrection au dernier jour et la vie éternelle, mais pourquoi faut-il en manger maintenant ? Pourquoi ne pas attendre le jour de notre mort pour aller communier ? Ainsi, durant notre vie ici-bas, nous mangerions les nourritures d’un moment, les nourritures terrestres, et puis quand la mort approche nous nous approcherions de la nourriture céleste qui donne la vie éternelle. Il est clair que beaucoup font ce raisonnement. Ils ont séparé la vie en deux, celle sur terre où l’on recherche les nourritures qui plaisent aux sens, et l’autre vie, celle d’après la mort, si elle existe, dont on se préoccupera le moment venu, le plus tard possible.
Ceux-là n’ont pas écouté l’enseignement du Christ avec attention. Ils ont cru que le Pain vivant était une nourriture à effet différé : on le mange maintenant, et on aura la vie éternelle après. Mais une nourriture ça n’est pas ça. Une nourriture à effet différé, ça n’existe pas. Si on vous vend une nourriture qui ne nourrit pas au moment où on la mange, ça ne s’appelle pas une nourriture, ça s’appelle un chèque restaurant ou un ticket alimentaire. Le Pain vivant n’est pas un chèque restaurant, un bon pour être nourri plus tard. Jésus dit : « Qui mange ma chair a la vie éternelle », maintenant, au présent. Il ne dit pas : Je le ressusciterai au dernier jour et, ensuite, je lui donnerai la vie éternelle, mais il dit : il a la vie éternelle, maintenant, et je le ressusciterai, ensuite, au dernier jour.

Vient alors la troisième question. Si l’effet de la communion eucharistique est de nous donner la vie éternelle maintenant, cela devrait apporter quelque chose de plus à notre vie naturelle, un surcroît, un plus-vivre. Et cela devrait se voir dans la vie quotidienne. À quoi reconnaît-on cette vie éternelle ?
Il faut pour répondre à cette question se tourner vers la première lecture, du Livre des Proverbes. « La Sagesse a dressé une table, elle invite les hommes au festin. Elle invite l’homme sans sagesse, l’homme qui a perdu le sens et lui dit : Venez manger de mon pain, buvez du vin que j’ai préparé. »
La Sagesse divine se donne en nourriture à l’homme insensé pour le nourrir maintenant, pour que, d’insensé qu’il était, il devienne sage. Et être sage par la Sagesse divine, ce n’est rien d’autre que vivre de la vie de Dieu. « Quittez la sottise, dit la Sagesse, et vous vivrez, recherchez la prudence, marchez droit dans la voie de la connaissance. »
Le Livre des Proverbes insiste. Se nourrir de la Sagesse divine, assimiler dans son âme les enseignements de Dieu, être fidèle à la Loi de Dieu et la mettre en pratique, ce n’est pas une option pour l’homme, c’est une question de vie ou de mort. Celui qui rejette la Sagesse divine, qui ne veut plus en faire sa nourriture devient insensé et toute sa vie se met à sentir le cadavre : « Qui m’offense, dit la Sagesse, blesse son âme, quiconque me hait chérit la mort » (Pv 8, 36). Le Christ avait prononcé le même avertissement : « Si vous ne mangez pas la chair du Fils de l’homme, vous n’aurez pas la vie en vous.  »
Au contraire, celui qui mange le Pain de vie se nourrit de la Sagesse divine, il reçoit en lui l’aliment de la vie éternelle, c’est-à-dire l’aliment d’une vie tournée vers Dieu, d’une vie qui sait où elle va, d’une vie qui a l’énergie pour se guider vers son but éternel. Le Pain de vie apporte la connaissance du chemin bon qui mène à la vie et du chemin mauvais qui conduit à la perdition. Le Pain de vie aide à choisir le chemin de la vie et à s’écarter du chemin de la mort. Le Pain de vie apporte la lucidité, la force, la fidélité pour ne pas entrer dans la voie des insensés, ceux qui ont rejeté la Sagesse et qui s’enfoncent dans la folie.

Il fut un temps où cet enseignement me semblait assez abstrait. Dans ma jeunesse, alors que je voyais de nombreux baptisés de mon âge déserter les églises, combien de fois n’ai-je pas entendu de la bouche de congénères : « Pourquoi aurais-je besoin de la Messe. Quelle différence cela fait-il ? Manquerai-je de quelque chose ? Ne puis-je donc pas diriger ma vie tout seul, être attentif aux autres, pratiquer des valeurs humanistes sans avoir besoin de Dieu ?  » Et cela semblait vrai : ils n’étaient pas si différents de moi, n’étaient pas dépourvus de générosité ni de grandeur d’âme. Et ce qui semblait vrai des individus semblait aussi vrai au niveau collectif : dans la politique ou la culture, on se réclamait des mêmes valeurs, et toutes ces institutions, tous ces services sociaux, toutes ces lois de notre société développée, de notre société très organisée, n’étaient-elles pas la preuve que l’homme parvenait très bien à se débrouiller sans Dieu, que sa science, sa rationalité lui suffisent pour vivre ici-bas en faisant le bien, et que rejeter Dieu n’a pas de conséquences ?
Et pourtant demeurait dans mon esprit cet avertissement du Livre des Proverbes : « La crainte de Dieu est le principe de la sagesse.  » Alors, qui avait raison ? Une société qui pensait que rejeter Dieu est le sommet de la sagesse, ou bien l’Écriture sainte répliquant que c’est le début de la folie ? Les années ont passé et j’ai vu, progressivement, par petites touches de plus en plus répétées, la folie s’insérer dans la rationalité humaine. Comme une épidémie, la dinguerie a commencé à s’imposer. Les historiens datent de 1965 l’époque où la pratique religieuse dans notre pays a commencé à s’effondrer, c’est-à-dire où la crainte de Dieu a commencé à s’évanouir des cœurs. 60 ans après, la dinguerie est partout. La chute de la pratique dominicale dans notre pays de baptisés, le refus répété par des millions d’âmes de recevoir le Pain de vie, est aujourd’hui un problème politique, parce qu’en se détournant volontairement de Dieu, on s’est coupé de la sagesse divine qui est nécessaire pour garder la raison et diriger sa vie droitement. Ne plus recevoir le Pain de vie, au départ, cela n’a pas d’effet perceptible. Mais au fil des jours, les repères s’évanouissent, on a de plus en plus de mal à distinguer sa droite de sa gauche, on multiplie les faux pas, on n’entre plus par la porte étroite mais, avec un entrain grégaire, par la large porte qui mène à la perte, la tristesse s’installe en même temps que l’esprit se déboussole et que la vie se remplit d’incohérence. Et lorsque cette évolution vers la folie se réplique à quelques millions d’individus, lorsqu’elle est inscrite dans les lois et inspire les gouvernants, alors l’effet est frappant. Oui, on ne se détourne pas volontairement du Pain de vie sans conséquence.

Qu’attendons-nous lorsque nous allons communier ? Recevoir le Christ, et par le Christ la vie éternelle, c’est-à-dire la sagesse venue du ciel pour nous garder sur le chemin de la vie. Attendre moins serait une méprise mortelle.

Homélie sur Jn 6, 51-58 et Pv 9, 1-6

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