Homélie du 12 janvier 2003 - Baptême du Christ

«Moi, je vous ai baptisés dans l’eau;lui vous baptisera dans l’Esprit Saint»

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Pas moyen d’être baptisé sans se mouiller! Parce que nous avons peur de nous jeter à l’eau, parce que nous sommes des poules mouillées et que nous restons à regarder les autres, nous demandons pardon…

Pas loin des bouches d’égout de Tibériade, se trouve un lieu, maintenant cimenté, avec marches d’escalier et rampes pour se tenir, que l’on appelle le «lieu du baptême», au bord du lac et au départ du Jourdain. Avant l’intifada, les protestants, en majorité américains, venaient s’y faire rebaptiser. Cela faisait partie du ‘kit’ du pèlerinage. Vêtus de longues aubes blanches, je les ai regardés descendre à la file dans l’eau pour se présenter au pasteur. D’un geste rapide, celui-ci les faisait basculer à la renverse un à un et les remettait sur pied, pour qu’ils regagnent la rive avec les chanteurs.

Le lieu où Jean baptisait se trouve beaucoup plus loin, beaucoup plus bas, près de Jéricho. Pas question d’y aller aujourd’hui, le terrain est miné, rempli de barbelés. Mais le désir du pèlerin est si fort, et sa déception serait si grande de ne pas trouver ce qu’il cherche, qu’il faut à tout prix fournir un lieu ‘authentique’, quitte à le déplacer, au gré des frontières et de leurs évolutions. Il y a trois Emmaüs, il y a maintenant un nouveau lieu du baptême…

On peut rire de cet attachement à retrouver des lieux, à mettre ses pas sur les pierres où Jésus a marché, à se plonger au lieu où il s’est plongé. C’est naïf mais c’est un vrai désir de proximité.

Toute la question est là: comment rejoindre au plus près le Christ de notre foi, comment vivre au plus fort avec celui que nous aimons? On peut multiplier les petits gestes, touchants mais inutiles, parasites et surajoutés: la robe de baptême que l’on se passe de génération en génération, l’eau des sources du Jourdain ajoutée à l’eau baptismale, un grain de sel sur les lèvres du bébé, comme on le faisait jadis… Avec les gestes, on peut rajouter des prières, mais comment ne pas en rester aux formules, aux incantations? Comment rejoindre la réalité même, la vie du Christ vivant? Le pèlerinage, c’est bien. Imiter les gestes, copier les rites, c’est important aussi. Mais il faut aller plus loin!

Le baptême de Jean prépare le baptême de Jésus. «Moi, je vous baptise dans l’eau, lui vous baptisera dans l’Esprit Saint». C’est ce baptême de feu qu’il faut vivre, mais comment?

Nous savons bien qu’il ne s’agit pas d’empiler les baptêmes, celui de Jean Baptiste, plus celui des apôtres, plus celui de Paul, plus celui d’Apollos, plus celui de ce gourou là plus celui de ce spirituel-ci… Il ne s’agit pas non plus de nous rebaptiser à chaque conversion. Ces dérives ont été vécues dans l’histoire de l’Église et elles ont conduit à préciser qu’il n’y a qu’un seul baptême et que c’est le Christ qui baptise et non pas l’abbé un-tel ou le père machin. Il y a aussi ce que les charismatiques appellent `le baptême dans l’Esprit’ mais il s’agit d’un abus de langage, tout comme celui de s’approprier l’expression «charismatique». Tout le monde sait bien que l’Esprit Saint n’est pas à confondre avec le paranormal, la catalepsie ou je ne sais quel état particulier hors du commun…

Alors, s’il ne s’agit pas de chercher un rite nouveau, magique, plus fort et plus beau, comment rejoindre le Christ au plus près? Notre baptême, il s’agit de le vivre, tout simplement et d’y correspondre pleinement. Ce que signifie le baptême dans l’Esprit Saint, c’est le don de sa vie. Car l’Esprit Saint, c’est le don par excellence. Et le don de quoi, à votre avis? Le don de se donner, tout simplement! Je répète. L’Esprit Saint, c’est le don de Dieu. Et le don de Dieu, c’est de savoir donner, comme il sait donner. Donner quoi? Donner sa vie, se donner soi-même tout entier. Parce que notre Dieu s’est donné à nous, en Jésus-Christ, nous pouvons nous aussi, en réciprocité, nous donner à lui, dans le même mouvement, dans le même souffle, dans le même Esprit!

Alors, ce baptême que nous avons reçu, bébés pour la plupart, inconscients, atteint toute son envergure. Il correspond à ce qu’il est véritablement. C’est une plongée, une immersion. C’est le grand saut jamais achevé avant notre mort quand elle vient sceller le don de notre vie, le don de tout notre souffle, jusqu’au dernier.

Parole de Jésus à deux disciples ambitieux : «Vous ne savez pas ce que vous demandez. Pouvez-vous boire la coupe que je vais boire, ou être baptisés du baptême dont je vais être baptisé?» Ils lui dirent : «Nous le pouvons.» Jésus leur dit: «La coupe que je vais boire, vous la boirez, et du baptême dont je vais être baptisé, vous serez baptisés» Mc 10, 38-39.

De quoi parlait-il? «C’est un baptême que j’ai à recevoir, et comme cela me pèse jusqu’à ce qu’il soit accompli !» (Lc 12, 50). Il ne parlait pas du baptême de Jean, déjà reçu, mais de sa Pâque, son arrestation et son procès, sa crucifixion et sa résurrection.

Terrible épreuve que ce baptême! Le combat y est vécu grandeur nature et pas seulement symboliquement ou folkloriquement ! Le péché n’y est pas petite transgression et grande culpabilité mais aveuglement collectif et lynchage public! Avoir la tête sous l’eau, c’est subir le défoulement injuste d’une foule déshumanisée. C’est pardonner malgré tout et espérer dans la foi le salut de Dieu!

Être baptisé dans le Christ, c’est être passé par là, avec lui. Saint Paul le dit clairement (Rm 6, 4): «Par le baptême, en sa mort, nous avons été ensevelis avec lui… nous avons été totalement unis, assimilés à sa mort, et nous le serons aussi à sa résurrection.»

Saint Pierre le rappelle (1 P 3, 21): «Le baptême n’est pas une purification des souillures du corps… il vous sauve par la résurrection de Jésus Christ». Il ne s’agit pas d’être lavés mais d’être plongés, plongés, pour vivre dès maintenant comme des ressuscités. La mort biologique ne sera qu’un changement de paysage, la grande mutation est déjà vécue.

Mais j’en reviens à ma première question: comment le vivre concrètement? Comment rejoindre au plus près le Christ ressuscité, comment vivre au plus fort avec celui que nous aimons? Comment nous immerger dans sa réalité?

En mettant nos pas dans les siens, mais pas au sens littéral! En nous engageant pas à pas dans sa vie: la vérité (notre monde est rempli de mensonges!), la justice (notre monde est tellement injuste et inhumain), la prière au Père (notre monde est si replié sur lui-même, asphyxié), et bien sûr l’amour et le pardon.

C’est finalement tout simple! Il suffit de commencer! Si l’on essayait?

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