Homélie du 11 avril 2021 - 2e dimanche de Pâques - Dimanche de la Miséricorde

Mon Seigneur et mon Dieu

par

fr. Sylvain Detoc

Thomas est très attachant.
Le fameux « je ne crois que ce que je vois » que l’on a tiré de ses paroles est une caisse de résonance de bien des blocages dans la foi.
Dans cet entêtement, par exemple, comment ne pas entendre l’écho de ce que disaient les grands prêtres et les scribes au pied de la croix ?
« Le Christ, le roi d’Israël, disaient-ils, qu’il descende de la croix, pour que nous voyions et que nous croyions » (Mc 15, 32).
Mais ces gens-là ne faisaient que répéter au Golgotha la demande des habitants de Capharnaüm dans l’évangile de Jean : « Quel signe fais-tu donc pour que nous voyions et que nous croyions en toi » (Jn 6, 30) ?
Et Jésus le sait ; d’ailleurs, cela le navre : « Si vous ne voyez des signes et des prodiges, vous ne croirez pas » (Jn 4, 48).
Alors vas-y, Seigneur ! Qu’est-ce que tu attends ? Puisque ceux qui s’opposent à toi réclament des miracles, accomplis-en un, un qui soit bien éclatant, bien convaincant. Comme ça, « ils verront et ils croiront » ! A fortiori si un mort ressuscite !
Mais est-ce si sûr ? Jésus lui-même a désamorcé cette illusion dans la parabole du mauvais riche et de Lazare : « Même si quelqu’un ressuscite d’entre les morts, ils ne seront pas convaincus » (Lc 16, 31).
En fait, même ceux qui ont eu la chance de voir Jésus ressuscité, comme les disciples dont parle Matthieu à la fin de son évangile, ont eu des doutes : « Et quand ils le virent, ils se prosternèrent ; d’aucuns cependant doutèrent » (Mt 28, 17). Voir pour croire, donc, ce n’est pas automatique !

Bref, c’est bien compliqué !
Il y a ceux qui ne voient pas et qui ne croient pas — c’est la plupart des gens.
Il y a ceux qui voient et qui ne croient pas, comme les élites de Jérusalem, voire certains disciples, dans un premier temps du moins.
Il y a ceux qui voient et qui croient, comme les apôtres, et Thomas lui-même, finalement. Pour eux, c’est facile.
Et puis il y a ceux qui ne voient pas et qui croient : ce sont tous ces bienheureux — et nous en faisons partie ! — dont parle aujourd’hui Jésus, et qui ont une béatitude de plus que les apôtres : « Heureux ceux qui n’ont pas vu et qui ont cru. »
De ces croyants qui ne sont pas comme saint Thomas, l’évangile de Jean nous a offert à Pâques une belle icône : le disciple bien-aimé. À peine est-il entré dans le tombeau de Jésus que l’évangéliste nous dit : « Il vit et il crut. » Et que vit-il de plus que les autres ? Rien. Juste un tombeau vide, un signe en creux, qui ne parle pas encore à Pierre ni aux autres.
On ne peut pas s’empêcher de remarquer que c’est ce même disciple qui a posé la tête sur le cœur de Jésus à la Cène ; que c’est ce même disciple qui a accompagné Jésus au Calvaire ; que c’est ce même disciple qui a pris chez lui Marie pour mère. De tous les apôtres, sans doute est-il celui qui est allé le plus loin dans l’expérience de l’intimité avec Jésus. Celui qui a goûté l’amitié, l’affection de Jésus.
Pour jouer sur les mots, on pourrait dire que chez lui, la logique du « voir et du croire » s’est inversée. Ce n’est plus « voir pour croire », mais « croire pour voir ». La foi et l’amour ont dilaté son cœur ; il a ouvert les yeux de son âme, et le voici capable à présent de discerner l’invisible.
Il est l’icône de ces chrétiens auxquels s’adresse la première lettre de saint Pierre (2e lecture) : Jésus, « sans l’avoir vu, vous l’aimez ; sans le voir encore, mais en croyant, vous tressaillez d’une joie indicible et pleine de gloire, sûrs d’obtenir l’objet de votre foi : le salut des âmes » (1 P 1, 8).

« L’objet de votre foi : le salut des âmes. »
Sans doute y a-t-il là un objet de foi aussi méritoire que celui qui est en jeu dans la liturgie de ce deuxième dimanche de Pâques.
Autrefois, on l’appelait le dimanche de Thomas. Et il convenait de mettre l’accent sur les difficultés de la foi en la résurrection du Christ, comme nous venons de le faire.
Sous l’impulsion de saint Jean-Paul II, aujourd’hui on l’appelle le « dimanche de la divine Miséricorde » ; et je voudrais, pour finir, mettre l’accent sur une autre difficulté de la foi : croire que Dieu nous aime d’un amour inconditionnel, un amour que ne conditionnent pas nos péchés, comme le répète le pape François.
Croire à la résurrection de Jésus, ce n’est pas gagné. Les sondages le montrent. Mais croire que Jésus est mort et ressuscité pour nous, « pour nous les hommes et pour notre salut », et se l’appliquer à soi-même, accepter d’être aimé à ce point, ce n’est pas si facile.
On raconte qu’un jour Mère Teresa prodiguait des soins à un lépreux repoussant. Celui-ci avait bien conscience de son état ; il dit à la sainte : « Pourquoi faites-vous cela ? » Et elle de répondre : « Parce que je vous aime. » On imagine qu’il a dû avoir du mal à la croire. Et pourtant, comme le disciple que Jésus aimait, il a pu faire l’expérience d’être aimé, et d’être aimé d’un amour qui vient d’au-delà des capacités ordinaires de l’être humain.
La foi ne consiste pas seulement à cocher les cases à la fin de chaque article du Credo (c’est déjà bien !) Elle consiste aussi à adhérer au dessein de Dieu, à mettre ses tripes dans les raisons de Dieu : — Seigneur, pourquoi fais-tu cela ? — Parce que « tu as du prix à mes yeux et je t’aime » (Is 43, 4).

Voilà qui mérite un beau : « Mon Seigneur et mon Dieu. »