«A propos de la fin du monde, j’entendis prêcher dans une église à Paris que l’Antéchrist viendrait à la fin de l’an mil et que le jugement général suivrait de peu. Je combattis vigoureusement cette opinion en m’appuyant sur les Évangiles, l’Apocalypse et le Livre de Daniel» écrivait l’abbé de Saint-Benoît sur Loire, vers 975.
Aux environs de l’an mil, comme au temps de Jésus, «on pensait que le royaume de Dieu allait apparaître à l’instant même» (Le 19, 11) et il y a tout lieu de croire, en cette fin de millénaire, que les imposteurs, les faux prophètes et les faux messies vont réapparaître pour nous proposer leurs services. «N’allez pas derrière eux». C’est par votre persévérance que vous sauverez vos vies et non en courant après ceux qui s’imaginent que «le moment de la fin est tout proche». Peut-être pensez-vous que les épidémies et les famines, les cyclones et les tremblements de terre, les guerres et les persécutions sont les signes annonciateurs de la destruction finale, les derniers soubresauts du corps de l’univers qui n’en finit pas de finir? L’Évangile nous dit: ces fléaux doivent se produire avant la fin, mais ils ne sont pas l’annonce de la fin car ils ne sont pas réservés aux temps qui précèdent la fin, ils sont de toujours.
En effet, ni la destruction du Temple en 70, ni la Grande Guerre de 14 n’ont été la fin du monde. La fin d’un monde, oui, mais pas la fin du monde. Interpréter de tels événements comme des signes du retour du Christ aurait provoqué une fièvre éphémère, bientôt suivie de déception et, sans doute, d’une crise de la foi, car alors 011 aurait cessé de vivre dans l’espérance. Les cataclysmes cosmiques relèvent d’abord de la nature et l’effondrement des empires doit beaucoup à l’orgueil obstiné de ceux qui nous gouvernent.
Quelle est donc la leçon de cet évangile? Je crois que les bouleversements qui apparaissent dans le ciel et sur la terre, doivent être, pour nous, une occasion de rendre le témoignage de la persévérance dans l’attente. C’est notre vocation de croyants, notre bonheur et notre joie de veiller dans l’attente de celui qui doit venir. Chacun sait combien il est à la fois doux et douloureux d’attendre. Mais c’est ainsi, c’est «par votre persévérance, que vous sauverez vos vies». Il ne s’agit pas de vivre dans la passivité ou l’oisiveté, «affairés sans rien faire» comme disait saint Paul aux Thessaloniciens (3, 7-12), niais de reconsidérer notre rapport au temps. Le temps, ça n’est pas seulement de l’argent, c’est ce qui nous est donné pour rendre témoignage. Et attendre, ça n’est pas rien, c’est le fondement de notre vie spirituelle: «Attendre, écrivait la philosophe Simone Weil, implique toute la tension du désir, une tension acceptée à perpétuité. Attendre, c’est obéir au temps, la soumission totale au temps oblige Dieu à envoyer l’éternité». Nous ne perdons pas notre temps à attendre. Nous ne perdons pas nos vies à attendre. La vie de ceux qui sont persécutés, la vie de ceux qui sont emportés par les flots de sang de l’histoire, la vie de ceux qui ont tout perdu dans les fleuves de boue et sous les trombes d’eau déversés sur eux, ces vies qui auront attendu en vain quelque secours ne sont pas perdues à jamais pour Dieu. La réponse à notre attente, c’est l’éternité, la vie même de Dieu à laquelle il nous donne de communier dès à présent.
Car dans son attente l’homme rejoint quelque chose du mystère de Dieu. Il rejoint l’attente de Dieu: «Dieu attend avec patience que je veuille bien enfin consentir à l’aimer. Dieu attend comme un mendiant qui se tient debout, immobile et silencieux, devant quelqu’un qui peut-être va lui donner un morceau de pain. Le temps est cette attente. Le temps est l’attente de Dieu qui mendie notre amour».
Dieu nous demande de lui faire confiance: dans la persécution, ne vous souciez pas de votre défense, «moi-même je vous inspirerai un langage et une sagesse»; dans le danger, ne cherchez pas à sauver d’abord votre vie car celui qui veut sauver sa vie la perd (Lc 17, 33). La persévérance est impossible sans cette confiance en son amour invincible et sans cette espérance du ciel. C’est cette masse d’espérance, qui monte de la terre et qui traversera les mondes, qui nous obtiendra, un jour, la venue du Royaume.