Frères et sœurs, si les lectures de la messe de la nuit ou de l’aurore de Noël font appel à la sensibilité des auditeurs, avec l’accent qu’elles mettent sur la crèche et les bergers, celles que nous venons d’entendre nous «conditionnent» très différemment: elles nous orientent vers une méditation théologique du mystère que nous célébrons, elles nous interrogent sur la signification. Exit la sensibilité, c’est déjà la raison éclairée par l’esprit qui est convoquée. Parmi les différentes questions qui sont soumises à cette raison, il en est une qui a retenu mon attention: celle de l ‘universalité du message de salut. Chacune de nos lectures en effet, à sa manière, y insiste. Est-il donc vrai que «le Seigneur a montré la force divine de son bras aux yeux de toutes les nations «? Est-il vrai que «le Fils soit héritier de toutes choses?» Est-il vrai que le Verbe soit «la lumière qui éclaire tout homme venant en ce monde»? Où sont-elles donc ces foules auxquelles le salut de Noël est destinée? Qu’en est-il de cette universalité?
Vous me direz que, dans son infinie prescience, notre Dieu avait bien prévu la difficulté. Dans l’évangile de Jean en effet, il nous est dit aussi: «le monde ne l’a pas reconnu», ce Verbe fait chair. Autrement dit, il pourrait exister une réponse à ma question qui consisterait à rejeter la faute sur ceux-là même pour qui Noël n’est pas une fête: mais peut-on vraiment les considérer tous comme coupables? Tous ceux qui n’étaient pas autour de la crèche à Noël ne l’étaient sans doute pas volontairement: beaucoup plus simplement aucun ange n’est venu leur annoncer cette naissance?
Allons-nous en ce jour nous affliger sur nous, prendre le parti inverse en battant notre coulpe? Ce n’est nullement ce que je nous souhaite. Il me semble que la solution est ailleurs: elle consiste à reconnaître que Noël n’est qu’un début, l’ouverture d’un processus, celui de l’évangélisation. Nos lectures nous disent moins ce qui s’est passé il y a deux mille ans ou hier à Noël, mais ce qui doit se passer un jour dans un Noël encore à venir; et elles nous investissent d’une vraie responsabilité, celle de l’annonce de la bonne nouvelle. Oui, le Seigneur a consolé son peuple, oui, il a montré la force divine de son bras, mais nous sommes maintenant invités à le faire savoir d’un bout à l’autre de la terre, à devenir ces messagers de la bonne nouvelle dont parle le prophète Isaïe.
Noël d’ailleurs commence un cycle, qui va se poursuivre avec la visite des Mages à l’Épiphanie, avec le baptême de Jésus, avec les noces de Cana, et à chaque étape de ce cycle il nous sera rappelé la nécessité de la prédication de l’évangile: à ceux qui sont loin, avec tous les mages; aux pécheurs et à tous ceux qui, à la recherche de l’eau vive, se tournent vers n’importe quel Jean-Baptiste; à ceux qui n’ont plus de vin, et que la tristesse menace. Tous en effet sont invités à venir à Jésus pour trouver en lui la source de la vie. «En lui était la vie, et la vie était la lumière des hommes».
En référence à la vocation première d’Adam, les pères de l’Église aiment à rappeler que Dieu s’est fait homme pour que l’homme devienne Dieu: la nuit dernière, nous avons fêté une naissance; mais la naissance de Jésus n’a de sens que comme préalable à la renaissance de l’homme. C’est cela que nous sommes sans retard invités à considérer, pour nous-mêmes d’abord, pour tous ceux qui nous entourent ensuite. Un homme peut-il renaître, étant vieux, demandera un jour Nicodème à Jésus? Oui, répondra Jésus à Nicodème, à condition de naître d’eau et d’Esprit; oui, répond déjà saint Jean aujourd’hui, le Verbe a donné à chacun de pouvoir devenir enfant de Dieu, à condition de croire en son nom.
Frères et sœurs, Noël n’est pas derrière nous mais sans cesse devant nous, comme un appel: l’universalité de Noël est à construire chaque jour.