Par la foi, le Christ devient intérieur


Frères et sœurs, avez-vous remarqué que l’Évangile distille parfois des petits enseignements directement à notre intention ? Par exemple, quand Marie de Béthanie oint Jésus d’un parfum de grand prix, le Christ affirme que partout où l’on proclamera l’Évangile on fera mémoire de cet événement (Mc 14, 9). C’est une allusion directe à la vie de l’Église qui relira cet événement. Il en va de même dans notre Évangile, qui donne l’essentiel des apparitions de Jésus aux apôtres après la Résurrection. La nouvelle béatitude : « Heureux ceux qui croient sans avoir vu » nous est manifestement destinée. Les apparitions de Jésus sont destinées aux apôtres mais par les apôtres, c’est aussi pour nous que Jésus apparaît ressuscité.
Croire sans avoir vu, telle est la condition du chrétien depuis bientôt 2 000 ans.
Et pourtant, tout l’Évangile insiste sur la réalité corporelle du Christ. De même qu’il n’a pas envoyé un spectre le remplacer sur la Croix, Jésus ne laisse pas les disciples croire aux fantômes. Il se laisse voir corporellement, il se laisse toucher, il mange ; et ceci, pour bien montrer qu’il est toujours le Verbe incarné. Mets tes doigts dans mes plaies, dit-il à Thomas ; mets ta main dans mon côté transpercé. Regarde-moi, touche-moi. Je suis bien réel, je suis bien corporel.
Mais est-ce bien là l’essentiel ? Pendant la vie apostolique du Christ, les disciples l’ont vu de près et cela ne semble pas avoir eu beaucoup d’effet. Le Christ a vécu avec les Douze dans la plus grande proximité, comme un maître vit avec ses disciples. Les Douze étaient là pour recueillir son enseignement, pour observer ses actions. Pendant trois ans, l’intimité du Christ leur a tenu lieu de famille, exactement comme le faisaient les disciples d’un sage dans l’Antiquité. Mais cela n’a marché qu’à moitié. Les disciples ne comprennent pas les annonces de la Passion qui sont l’enseignement principal du Christ. Et lorsque Jésus délivre l’aboutissement de son enseignement du haut de la Croix, ils sont presque tous partis. Même Jean, qui est présent, ne croit que lorsqu’il entre dans le tombeau vide au matin de la Résurrection. En entrant dans le tombeau, il vit et il crut, nous dit saint Jean lui-même. Les Douze sont bien disciples du Christ mais la foi n’est pas simplement le fait de suivre le Christ et de l’écouter comme un maître, c’est une attitude qui va beaucoup plus loin. Ce n’est pas uniquement la confiance en un homme éminent, c’est l’abandon à Dieu lui-même comme Dieu.
L’essentiel n’est donc pas de voir le corps du Christ avec ses yeux de chair. L’essentiel est de voir la divinité du Christ avec les yeux de la foi. Si elle n’est pas suffisante, la vue corporelle est pourtant nécessaire et elle est le fondement de la foi. Aujourd’hui même la foi de l’Église repose sur le témoignage des apôtres. Ils ont vu de leurs yeux le Christ ressuscité et c’est pour cette raison que nous croyons. Saint Luc, dans son Évangile, affirme bien s’appuyer sur le récit de ceux qui furent témoins oculaires (Lc 1, 2). Même l’apostolat de saint Paul découle de son expérience du Christ ressuscité sur le chemin de Damas.
À partir du fait historique et palpable, il faut donc se laisser conduire à la réalité du Christ. Et cela passe par une présence un peu différente qui, paradoxalement, nécessite le départ du Christ. Dès sa résurrection, le Christ annonce qu’il va s’en aller : « Je monte vers mon Père et votre Père, dit-il à Marie-Madeleine » (Jn 20, 17). Ce départ est nécessaire pour entrer dans la plénitude de la vérité du Christ. « Si je pars, je vous enverrai le Paraclet ; quand il viendra, lui, l’Esprit de vérité, il vous guidera dans la vérité tout entière » (Jn 16, 7.13).
Avec la vue corporelle, le Christ reste extérieur. Par la foi, le Christ devient intérieur. Pour entrer dans la vérité du Christ, il faut donc en vivre intérieurement. De la même manière, une partition n’est pas de la musique. Il faut que le musicien vive de la partition en lui-même pour en comprendre toute la profondeur. Cette réalité intérieure qui nous conduit au Christ, c’est le Saint-Esprit. Le temps de Pâques est le rayonnement de la résurrection du Christ mais il est aussi orienté par l’attente de l’Esprit Saint. L’avènement de l’Esprit Saint sera l’entrée définitive dans le mystère de la Résurrection. La Pentecôte est l’achèvement de Pâques.
Pendant ce temps pascal, voici donc notre tâche : nous imprégner de la résurrection du Christ et demander à l’Esprit Saint de nous y faire entrer. Le philosophe Nietzsche regrettait que les chrétiens n’aient pas vraiment des têtes de « sauvés ». Il était sans doute mal placé pour donner des leçons d’épanouissement, mais cela peut être le programme de notre temps pascal : s’approprier la Résurrection par la foi pour en rayonner autour de nous. Que le Saint-Esprit nous inonde pour cela de sa lumière. Amen.

