Homélie du 14 février 1999 - 6e DO

« Par le chemin de l’Évangile intérieur »

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Les plus anciens parmi nous se souviennent sans doute de ce livre paru en plein milieu de la seconde guerre mondiale, du Père Godin, « France, pays de mission. » Il nous rappelait que la mission ne concerne pas seulement les terres lointaines, mais aussi, en même temps, notre propre pays: chez nous.

Pourtant Jésus appela bien ses disciples à savoir quitter père, mère, frères, sœurs, maison, champs. Nous en sommes témoins, c’est une réalité évangélique qui est vécue directement et pleinement par ceux qui partent en mission pour des terres éloignées, géographiquement et culturellement (Mt. 19,29). Cet appel sera repris par Jésus dans ces dernières paroles: « Allez donc, de toutes les nations, faites des disciples »(Mt. 28,19).

Mais, pour cela même, dans l’Évangile de ce jour, le Christ nous invite à envisager ce qui nous est plus proche, notre propre cœur, comme terre de mission, comme ce pays où doit retentir et s’enraciner aussi, en même temps, la Bonne Nouvelle du salut. En effet Jésus proclame ici, devant nous, ce que Maurice Zundel nomme « L’Évangile intérieur ».

Par cette grande prédication qui inaugure la vie apostolique de Jésus dans l’Évangile de Matthieu, nous sommes invités à passer d’une vie « réglée » à une vie « régulière », de 3’extériorité de la loi, à la même loi, en son intériorité: de ne pas en rester simplement à la lettre de la loi, au risque alors de tomber dans le ritualisme formel, mais d’accéder au sanctuaire de la loi, à l’esprit de la loi: l’esprit qui ne dispense pas des impératifs premiers, mais qui éclaire la raison et donne foi, pour les accomplir, non pas superficiellement, mais en profondeur, réellement: « en esprit et en vérité » (Jn, 4,24). La loi ancienne est comme la pointe visible de l’iceberg qu’est la loi nouvelle. Jésus ne nous invite pas simplement à l »‘observer » de l’extérieur, mais à l’habiter de l’intérieur, ou plus exactement, à se laisser habiter intérieurement par elle. Elle est plus la loi imposée de l’extérieur: elle est la loi proposée de l’intérieur. Elle n’est plus seulement la loi gravée sur des tables de pierre qui nous sont extérieures, mais elle nous est intérieure (Jr. 31,33), gravée sur notre cœur de chair par celui qui vient changer nos cœurs de pierre en cœur de chair: par celui qui inscrivant sa loi d’amour en nos cœurs, écrit en même temps, en son amour infini, notre nom à chacun, sur la paume de ses mains, jusqu’avec les clous de notre péché. A vin nouveau, outre neuve (Mt. 9,17): à loi ancienne, ancienne Alliance, à loi nouvelle, nouvelle Alliance.

Cette loi nouvelle est signe de la prévenance de Dieu. Elle est préventive, dirait-on aujourd’hui. Par elle, ce n’est pas à une introspection narcissique que le Christ nous appelle, pour nous enfoncer dans nos profondeurs: mais c’est à avancer vers Lui, le regard fixé sur Lui, dans la pleine lumière de son amour

Jésus n’a de cesse de nous inviter à l’évangélisation intérieure, à évangéliser les profondeurs de l’âme, de l’esprit, du corps, du cœur: cette terre intérieure, aux horizons si vastes, aux paysages si étendus, cette Galilée intérieure: terre du regard, de la parole, des sentiments, des passions, de l’imagination, de la raison, de la conscience, de la mémoire, de l’intelligence, de la volonté. Elle est en partie terre qui demeure païenne, récalcitrante, fermée à la grâce: elle nous effraie tant, souvent, que nous préférons l’ignorer chez nous, tout en la connaissant parfois avec tant de lucidité chez le voisin: terre à retourner. Elle est en partie terre chrétienne – terre à cultiver. La lumière intérieure que le Christ nous apporte, à laquelle il nous invite, cette « lucidité », n’est pas pour nous accabler, mais pour nous relever: « Celui qui fait la vérité, vient à la lumière » (Jn. 3,21), « La vérité vous rendra libre » (Jn. 8,32).

Mais pour retrouver, reprendre ce chemin de l’évangélisation intérieure, nous ne sommes pas seuls et ne devons pas rester seuls: Jésus lui-même nous précède dans notre Galilée intérieure (Mt. 28,27): « Il est celui qui est plus intérieur à nous-mêmes que nous ne le sommes nous-mêmes à nous-mêmes » (saint Augustin). Il se donne à nous comme guide, pour nous reconduire du Père, dans l’Esprit, en l’Église, par ses témoins: pour nous y mener, lui qui est « le Chemin, la Vérité et la Vie » Jn. 14,6, par ce chemin intérieur dont nous avons perdu la trace, et la connaissance même, parfois.

L’évangélisation intérieure est le passage obligé de toute évangélisation de nos frères: mon premier frère, n’est-il pas moi-même, « Aime ton prochain comme toi même »(Mt. 15,4)? Pour emprunter ce chemin de l’évangélisation intérieure, Dieu nous a donné, en nous créant, une clef incontournable dans les facultés de l’âme, que nous, que notre monde d’aujourd’hui n’aimons pas utiliser, faisant peur parfois même à certains: celle de la volonté. Si ce n’est pas seulement une question de volonté, c’est aussi une question de volonté. « Que votre oui soit oui, que votre non soit non »: Oui, « tu as devant toi, la vie et la mort, l’eau et le feu: fais ton choix « (Si. 15,16-17). S’il est vrai que la liberté de chacun a un champ souvent bien réduit par des héritages, humains, psychologiques, parfois lourds à gérer, cette liberté demeure, quoiqu’il en soit, pour les choses modestes, à différents degrés, selon les personnes, selon leur histoire. S’il n’est pas toujours possible d’accéder à cette liberté pour des grandes décisions, elle reste toujours accessible pour des décisions plus petites, qui permettront, orientées, ordonnées dans le sens de la Loi nouvelle qu’est la Charité, de retrouver, par la grâce du Seigneur ainsi accueillie au jour le jour de l’humble fidélité assumée, la liberté perdue. « Car cette Loi que je te prescris aujourd’hui n’est pas au-delà de tes moyens ni hors de ton atteinte… Car la parole est tout près de toi, elle est dans ta bouche et dans ton cœur pour que tu la mettes en pratique » (Dt. 30, Il + 14).

Alors, « laissons-nous alors guider par l’Esprit de Dieu qui voit le fond de toutes choses, et même les profondeurs de Dieu » (l Co, 2, 10), « laissons-nous armer de puissance par son Esprit afin que se fortifie en nous l’homme intérieur » (Ep. 3,15), par celui qui ne regarde pas à l’apparence mais à l’âme (1 Sam 16,7), qui sonde les cœurs et les reins (Ps. 7,10). Il est le Missionnaire en notre âme, et fera de nous des missionnaires selon son cœur, quelle que soit notre place dans l’Église, quelle que soit la terre qu’il nous confie: c’est la vocation de tout baptisé. Pour cela, laissons la parole du Christ devenir notre Évangile intérieur. « Laissons le Christ habiter en nos cœurs par la Foi, afin que nous soyons enracinés, fondés dans l’Amour » (Ep. 3,17): grâce d’abandon à accueillir.

Se « laisser faire » en vie spirituelle, ce n’est pas rien faire: cela même est ultimement le fruit d’une décision personnelle de notre part, mettant en œuvre aussi notre volonté . la plus oubliée, aujourd’hui, des trois facultés de l’âme que sont la mémoire, l’intelligence et la volonté, et en lesquelles saint Augustin reconnaît ce en quoi nous sommes plus spécifiquement créés à l’image et à la ressemblance de Dieu. Allons à Dieu, avec nos frères, par tout ce en quoi, en nous, nous sommes à son image et ressemblance, par le chemin de l’Évangile intérieur que le Christ nous a ouvert sur la croix, jusqu’au cœur de son mystère d’Amour.

 

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