Homélie du 17 septembre 2017 - 24e dimanhe du T.O.

Pardonner coûte cher

par

fr. Ludvik Grundman

Cent deniers, c’est une grosse somme. Cela équivaut à peu près à un salaire trimestriel. Imaginez donc, frères et sœurs, que quelqu’un vous doive plusieurs milliers d’euros. Je suppose, que, sans peut-être le prendre à la gorge, vous voudrez qu’il vous les rende. Et vous l’exigerez. Et cela se comprend fort bien, vous avez une famille dont vous devez vous occuper. Cents deniers, c’est beaucoup ; et quand le Seigneur nous demande de pardonner cela nous coûte beaucoup. Cela coûte beaucoup, au moins pour deux raisons.

D’abord, parce qu’il faut pardonner à ceux qui ne le méritent pas. À des gens qui ont fait du mal, qui nous ont fait du mal. Il faut pardonner à des pécheurs. Il faut pardonner les péchés. Et le péché, c’est grave. Pardonner ne signifie pas de dire « c’est rien ». Trois, cinq ou dix mille euros, ce n’est pas rien. Et le péché non plus. Pour nous racheter de nos péchés, le Seigneur a payé de sa vie. Et les conséquences néfastes des péchés, nous les payons tous les jours. Chaque péché, frères et sœurs, nuit aux autres, chaque péché nourrit la haine et l’injustice qui existe dans le monde. Chaque péché rend la vie des autres moins belle, moins joyeuse. Oui, frères et sœurs, pardonner aux autres coûte cher, parce que les péchés des autres nous coûtent cher.

Mais il y a une seconde raison, bien plus profonde. Il nous est difficile de pardonner, parce que nous-mêmes nous sommes des pécheurs. Il existe une idée assez répandue selon laquelle, plus on est pécheur, plus on est miséricordieux. Or, c’est faux, et la parabole d’aujourd’hui l’illustre à merveille. Au contraire, les plus miséricordieux sont ceux qui n’ont jamais péché – Jésus et sa sainte Mère ! Notre propre péché ne nous rend pas solidaires des autres pécheurs ; au contraire, il nous enferme dans notre égoïsme. C’est son péché qui rend le serviteur impitoyable. En effet, si notre péché nous empêche d’être bons même avec ceux qui nous aiment, alors a fortiori il nous empêche de pardonner à ceux qui nous ont offensés.

Heureusement, il y a une solution. Et nous, les dominicains, nous sommes particulièrement bien placés pour vous la révéler. Vous avez pu le voir récemment : avant la profession religieuse, nous demandons tous « la miséricorde de Dieu et la vôtre ». Vous voyez, frères et sœurs, nous, dominicains, sommes de si grands pécheurs que la miséricorde de Dieu ne nous suffit pas : nous avons besoin aussi de celle des hommes.

Commençons par la miséricorde de Dieu. Il nous l’offre de multiples manières, et tout spécialement dans le sacrement de la réconciliation. Il l’a institué non pas pour nous rappeler nos péchés, mais pour nous les pardonner. Il veut nous pardonner tout. Cents deniers, disions-nous, c’est beaucoup ; mais dix mille talents, c’est une somme énorme, l’équivalant d’un budget d’état. Cependant nous ne devrions pas attendre que notre dette s’accumule de telle sorte. Au contraire. La confession régulière nous apporte non seulement le pardon régulier de nos péchés, mais elle nous apprend à pardonner à notre tour… et à pardonner régulièrement. En effet, pardonner s’apprend. Péniblement, lentement. Nous avons besoin d’entendre souvent « tes péchés te sont pardonnés » pour pouvoir constamment pardonner aux autres.

Mais il nous faut aussi la miséricorde des hommes. La miséricorde divine est à sens unique, mais la miséricorde humaine est réciproque. Nous sommes appelés à pardonner aux autres… et à demander leur pardon. Pécheurs sans cesse pardonnés, nous avons besoin du pardon des autres pécheurs. Peut-être plus grands pécheurs que nous-mêmes. Certes, il est inutile de vouloir se comparer pour savoir qui a péché le plus. Mais on peut toujours demander pardon, même à plus petit que soi. Un chef peut demander pardon à ses employés. Un maître à ses élèves. Un parent à ses enfants.

C’est beaucoup, me direz-vous. Oui, le Seigneur nous demande beaucoup. Mais il nous donne infiniment plus. Il nous donne son Fils unique qui a payé toutes nos dettes et qui nous apprend à pardonner