Partir pour… ça change tout.
Partir, c’est triste… que de larmes sur un quai de gare…
Partir pour… c’est joyeux. Partir pour… peut-être revenir,
Partir en mission.
Jésus vient de nous le dire : « Je pars pour vous préparer une place. » Après la dernière cène, le lavement des pieds, le départ de Judas dans la nuit, le don du commandement nouveau, « aimer comme Jésus nous a aimés », son ultime testament… Jésus part pour revenir nous mettre à notre vraie place dans la vraie vie. Dans la nuit du Jeudi Saint, Jésus parle de sa mort et de sa résurrection. Dans le temps pascal nous comprenons qu’il s’agit de l’Ascension. « Je monte vers mon Père et votre Père », dit le Ressuscité à Marie-Madeleine le matin de Pâques.
En nous préparant pour la fête, le couronnement des fêtes du Christ à l’Ascension dans une quinzaine de jours, ne sortons pas les mouchoirs comme lors d’un départ de tristesse : « Il est bon que je m’en aille, car d’auprès du Père il enverra l’Esprit Saint » (Jn 16, 7). Jésus part pour que vienne l’Esprit !
Et dans le temps de l’Église après Pentecôte, nous nous tiendrons dans l’espérance du Royaume pour demeurer avec Lui dans la lumière sans fin. Il est grand le mystère de la foi : « Nous proclamons ta mort, nous célébrons ta résurrection, nous attendons ta venue dans la gloire. »
Le jeune bienheureux Pierre Claverie est aussi parti pour. Il a vécu heureux à Alger dans une famille où l’on s’aime. Et Pierre fondera sa joie sur la reconnaissance de cette famille où l’on s’écrit chaque semaine jusqu’à la mort. Joie partagée jusqu’au bac avec la troupe scoute Saint Do, qu’il réunira à Prouilhe juste avant l’été 1996, sachant la menace de mort qui plane sur lui. Il sait qu’il part pour ne plus revenir et il demeure ferme dans ce service de l’Église d’Algérie dans la tourmente. Il sera assassiné le 1er août.
De cette joie formatrice, il part pour faire ses études d’ingénieur à Grenoble, le cœur serré, et comprend alors que son pays est en guerre. De là, il part pour Paris où il entre chez les dominicains de la province de France en 1958. Il retrouve la joie de vivre, de donner un sens à sa vie comme une mission de frère prêcheur. Au terme de sa formation, après avoir été ordonné prêtre en 1965, il demande à partir pour l’Algérie. Entretemps il y a eu la fin de la guerre d’Algérie en 1962 et alors que lui était parti d’un pays heureux, il a découvert en 1967 cette Algérie indépendante qui a beaucoup changé et qui devient sa terre de mission.
Quand s’abat la terrible catastrophe humaine d’une guerre civile, comme les autres martyrs de cette Église réduite comme une peau de chagrin, mais bien présente au milieu des jeunes, des souffrants, des migrants et des plus vulnérables, Pierre reste à en mourir dans une mission de présence. À Prouilhe il dira : « On n’abandonne pas un mourant, on reste à ses côtés, lui tenir la main et éponger son front. » Rester par amitié en témoignage de l’amitié de Dieu qui envoie ses amis en mission pour vivre d’amitié. Pierre est missionnaire de la charité jusqu’au bout. Il est loin des statistiques de baptême, de l’efficacité pastorale quantitative. Il est là. Tout simplement. Sans succès, mais sans peur, sans fuir… Telle est la mission du disciple missionnaire : être là, tisser des liens d’amitié, faire demeurer l’amour de Dieu.
Avec de nouveaux saints et bienheureux, sous nos yeux, nous voyons s’affermir les martyrs non plus de la foi comme au premier temps de l’Église mais de la charité comme l’a si bien exprimé saint Jean-Paul II. Et Pierre a éclairé de sa parole et de sa vie ce nouvel âge qui s’ouvre devant l’Église. Se tenir dans la fracture qui déchire l’humanité et qui est cause de tant de souffrances et tant de victimes. Fracture des guerres, des catastrophes, des épidémies, des famines !
Et voici le dimanche 12 mars 2000, la Bonne Nouvelle pour le troisième millénaire que le même Jean-Paul II a proclamé au Colisée : l’Église n’est plus d’un côté de la fracture contre l’autre. Elle ne créera pas une armée pour faire plier autrui. À l’exemple de Pierre Claverie, elle se tient dans la fracture provoquée par d’autres et elle s’y tient par charité au nom de Dieu.
Bonne Nouvelle dont Pierre et les autres martyrs d’Algérie sont parmi les premiers signes vivants, l’Église comme telle a déposé les armes. Dans cette fracture où les extrêmes tiennent en otage la population d’un pays lors d’une guerre civile, dans cette fracture de l’islam contre l’islam, Pierre et ses compagnons se tiennent avec les seules armes de l’amour désarmé, présence physique au risque de sa vie qui est aussi présence du Corps du Christ qui est l’Église. Notre vocation chrétienne au 3e millénaire est de nous tenir au milieu du monde tel qu’il est comme des artisans de paix, des bâtisseurs d’amitié quand le monde se fracture. Chaque baptisé est appelé à vivre là où il est en témoin de la miséricorde de Dieu jour après jour. Dieu l’appelle à partir loin de ce qui conduit à la mort pour une mission d’amour et de paix.
Pierre, bienheureux à la suite de Jésus : tout simplement merci.