Saint Luc nous a rappelé le prologue du ministère de Jésus à Nazareth. Il y a proclamé qu’aujourd’hui les Promesses de Dieu allaient se réaliser. Puis son rejet avait préludé de loin à sa Passion. Avant de nous faire connaître la Bonne Nouvelle qu’Il allait annoncer, il a raconté sa première journée à Capharnaüm, récit lu l’an dernier en saint Marc. N’est-il pas caractéristique qu’aussitôt il nous ait annoncé l’appel des premiers disciples ? Cela ne nous révèle-t-il pas sa première préoccupation ? Avant de donner son Enseignement, il faut que des hommes en soient les dépositaires, les garants responsables, déjà l’embryon de son Église.
Venons-en au récit: Il a commencé à enseigner, et bien des gens se pressent pour l’écouter. Alors, Lui, Fils de Dieu, Tout Puissant, Il veut avoir besoin des hommes. Pour S’adresser à la foule, chaire improvisée, Il demande à Pierre de mettre sa barque à sa disposition. Puis, quand Il a parlé, voici l’inattendu: Il lui demande de jeter les filets. Pierre, marin, sait qu’il n’y a rien à prendre, le travail de la nuit n’a rien donné. Pourtant, il fait confiance au terrien qu’est Jésus et fait ce qu’Il lui demande. Mais remarquons surtout sa réaction à la vue de la pêche miraculeuse: «Seigneur, éloigne-Toi de moi, car je suis un homme pécheur!»
Isaïe avait réagi de même quand le Seigneur s’était manifesté à lui dans le Temple. Depuis bien longtemps, les hommes s’étaient sentis bien petits devant les forces de la nature, et ils révéraient Celui ou ceux qu’ils pensaient en être les maîtres. Abraham avait appris à n’adorer qu’un seul Dieu. Au temps de Moïse Il s’était manifesté à travers des phénomènes terrifiants et avait exigé d’être adoré Lui seul! Maintenant le Temple construit à Jérusalem, Il avait montré qu’Il voulait y résider, c’était désormais là qu’on devrait l’y adorer. Pour qu’il y entraîne le Peuple, Il se manifeste à Isaïe en la Splendeur de cet Être immense dont les pans du manteau remplissaient le Temple, avec les Séraphins qui criaient «Saint, Saint, Saint!» Les pivots des portes tremblaient, la fumée rappelait la Nuée qui avait rempli le Temple à sa dédicace, signe de la divine Présence. A travers la manifestation de cette grandeur, le prophète saisit une bien autre dimension, celle de Sa Sainteté!
«Malheur à moi, je suis perdu!» Par ses lèvres transitent ses pensées d’où découlent ses actions. Elles sont impures comme celles de son peuple. Aussi ne peut-il pas approcher de Celui qui est le Tout-Autre, infiniment au-dessus de nous, mais aussi tout étranger à nos compromissions, nos égoïsmes. Mais si cette distance est pour nous infranchissable, elle ne l’est pas pour Lui. Dans son Amour, Il veut nous rendre vraiment dignes de l’approcher. C’est le signe de ce charbon ardent qui, provenant de l’Autel, touche ses lèvres, le purifie de son péché. Dieu ne l’a pas simplement oublié, mais Il a transformé son cœur, et aussitôt il se montre prêt à répondre à l’appel! «Je serai ton messager, envoie-moi!»
La réaction de Pierre est analogue. Il n’est plus dans le Temple, mais dans la nature. La quantité de poissons capturée lui fait percevoir qu’avec Jésus, il est en présence d’une Puissance qui ne peut venir que de Dieu! Il en éprouve un effroi semblable à celui d’Isaïe, il se sent indigne de l’approcher. Mais Jésus comble la distance. Il le transfigure au plus profond de lui-même. Il lui dit: «N’aie pas peur!» Désormais, sa vie va se déployer à un tout autre niveau. Au lieu du rase-mottes d’un simple métier de subsistance, il est appelé à se consacrer à l’immense Œuvre divine du rassemblement des hommes dans le Royaume de Dieu. Il reçoit de Lui cette nouvelle force avec laquelle il répond à l’appel: il sera désormais «Pêcheur d’hommes»!
Paul, lui, méprisait ce Jésus qu’il considérait comme imposteur puisque Dieu l’avait laissé crucifier. Quand il a été ébloui par sa Splendeur de Ressuscité, Il a été saisi par sa Sainteté. Il a confessé son indignité, d’avoir été choisi, lui, le persécuteur! Baptisé, transfiguré jusqu’au plus profond de lui-même, désormais il s’est consacré au service de la Bonne Nouvelle de Jésus avec cette ardeur qu’aucune persécution ne pourra arrêter! Jusqu’à la mort, Il proclamera la Bonne Nouvelle de Jésus Christ ressuscité, Fils de Dieu qui était allé, par amour pour nous les hommes jusqu’à accepter de subir la mort de la Croix!
Et nous, à notre tour réunis pour l’Eucharistie, sommes-nous la foule qui se pressait pour l’écouter? Depuis plus ou moins longtemps nous L’avons découvert et accueilli ses paroles. Sachons demander à l’Esprit de nous faire leur ressembler, Il a toujours à nous le faire mieux connaître. Mais surtout, comme Pierre et ses compagnons, qu’Il nous aide à saisir ce qu’Il est vraiment, Fils Unique de Dieu, si loin au-dessus de notre médiocrité. À la fois rendons-nous mieux compte que, de nous-mêmes, nous ne saurions nous approcher de Lui, mais que, comme pour Isaïe, Il approche le charbon ardent de nos lèvres, comme à Pierre, Il nous dit: «N’aie pas peur !» Alors, avant de l’accueillir tout à l’heure sur l’autel, de le recevoir dans la communion, après l’avoir confessé «Dieu né de Dieu», mettons toute notre ardeur à lui chanter à l’égal du Père: «Saint, Saint, Saint»! Alors, qu’Il fasse briller davantage dans notre cœur un reflet de sa Sainteté. Ainsi seulement, nous pourrons vraiment répondre son Appel de nous envoyer à nos frères. C’est tout le prix de notre foi: si pour la vraie joie de tous par toute notre vie et quelquefois par notre parole, nous pouvons porter témoignage de Lui, n’est-ce pas à la mesure de ce qu’il nous est donné de vivre, cœur et esprit illuminés de sa Splendeur?