Homélie du 14 avril 2013 - 3e DP

Quelqu’un sur la route

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Dès qu’ils eurent reconnu Jésus à la fraction du pain, les disciples sont revenus à la ville pour annoncer la grande nouvelle: Jésus est vivant; il est ressuscité d’entre les morts. Sitôt Jésus reconnu, ils se sont trouvés investis d’une mission: dire la Bonne Nouvelle. Ce ne fut pas pour eux seulement la surprise de la reconnaissance, la joie de retrouvailles imprévues, mais la conscience qu’ils étaient désormais dépositaires d’un trésor à partager, donc d’une mission.

Nous voilà, ce troisième dimanche de Pâques, tous ensembles rassemblés pour la messe. Le mot «messe» dont nous savons qu’il transcrit le mot latin employé jadis au terme de la célébration était un envoi: ite missa est, c’est-à-dire allez c’est l’envoi. La messe au sens chrétien du terme n’a guère de rapport avec le langage des sportifs et des politiques qui disent «la messe est dite» quand la situation est irréversible. Non, la messe c’est un envoi.

Le rapprochement entre la finale du récit des pèlerins d’Emmaüs n’a rien de fortuit. Il est intentionnel chez saint Luc où comme dans les autres évangiles, le récit des événements de Pâques dit le fondement de la vie chrétienne, la fondation de l’Église, peuple de Dieu, l’inauguration du Règne de Dieu. Le récit des pèlerins d’Emmaüs a une importance particulière. Il y a deux disciples. Ils ne sont pas du nombre des apôtres. L’un d’eux s’appelle Cléophas – ce qui confirme la réalité de l’événement dont il a pu témoigner par la suite. L’autre n’a pas de nom parce qu’il est là à notre place. Reconnaître dans le récit des pèlerins d’Emmaüs le fondement de la vie chrétienne ne repose pas seulement sur l’envoi qui clôt notre célébration eucharistique. Tout le récit l’évoque.

Dans la liturgie, il y a d’abord ce que d’aucuns appellent «la liturgie de la parole». On proclame les Écritures selon l’ordre qui a été instauré par Jésus pour les pèlerins d’Emmaüs: «En commençant par Moïse et parcourant les prophètes?» Cela tout au long de l’année où la première lecture est tirée de l’Ancien Testament et la seconde des évangiles. Nous l’avons fait avec ampleur pendant la vigile pascale. Cette lecture est structurée part le principe d’interprétation donné par Jésus: les Écritures le concernent; elles l’annoncent; elles trouvent en lui leur point d’équilibre. Tout converge vers un point et un seul: la vie, la mort et la résurrection de Jésus. Le maître mot est donc le verbe accomplir.

La deuxième partie du récit concerne un repas désigné par un geste: «la fraction du pain». Dans le monde juif au temps de Jésus, le geste est posé par le père de famille ou celui qui préside la communauté. Il est employé par Luc dans son deuxième livre, les Actes des apôtres, et dans le Nouveau Testament, pour désigner ce que nous appelons la messe, l’eucharistie ou le Très Saint Sacrement du Corps et du Sang de Notre-Seigneur, ce qui est appelé dans la liturgie «le repas du Seigneur». Pourquoi Luc a-t-il privilégié ce mot? Il rassemble tous les repas de Jésus avec les siens. Il ne s’agit pas d’un acte de piété, d’une vieille habitude, d’une routine religieuse, mais d’un acte fondateur. C’est au cours d’un repas que Jésus a manifesté la générosité de Dieu en rompant le pain avec les publicains et les pécheurs; c’est au cours d’un repas que Jésus a accueilli la pécheresse pour lui donner amour et pardon; c’est en commençant par bénir et rompre le pain que Jésus a nourri les foules dans le désert. C’est au cours d’un repas que Jésus a reçu l’onction de Marie de Béthanie en gratitude pour avoir arraché son frère Lazare à la mort. Plus encore! C’est au cours du dernier repas que Jésus, par le pain rompu et la coupe partagée, a dit le sens de sa vie donnée, corps rompu et sang versé. Et surtout et bien davantage encore, ce furent les repas des disciples avec le Ressuscité. Pierre se présente à la foule comme témoin «nous qui avons mangé et bu avec lui après sa résurrection d’entre les morts» (Ac 10, 41).

Ainsi le récit des pèlerins d’Emmaüs n’est pas une histoire du passé, mais bien le fondement de la vie chrétienne, le lieu où notre foi prend forme et force. Que faisons-nous maintenant, sinon d’être rassemblés par le Ressuscité? Il nous donne d’entendre les Écritures qui éclairent notre intelligence et réchauffent notre cœur. Il nous donne part au sacrement de son corps et de son sang, pain rompu et coupe partagée, sanctifiés par l’Esprit Saint.

Il y a mille et une raisons de le vivre. Peut-être en est-il une qui importe aujourd’hui. Comme les disciples d’Emmaüs, nous sommes dans les épreuves, au-dedans et au-dehors. Or sur la route où nous allons, quelqu’un marche avec nous. Sa parole habite notre cœur. Le pain de vie et la coupe du salut nous fortifient car en communiant au sacrement du corps et du sang du Seigneur ressuscité nous avons part à la vie éternelle.

N’entendez-vous pas quelqu’un? Il vous dit: «Je me tiens à la porte et je frappe. Si quelqu’un entend ma voix et m’ouvre la porte, j’entrerai chez lui et nous mangerons lui avec moi et moi avec lui» (Apocalypse).