À chaque célébration eucharistique, peu avant la communion, nous prions pour l’unité des chrétiens. Ce n’est pas là intention de prière circonstancielle, mais le déploiement de la vérité de la prière chrétienne qui se fait en union avec le Christ qui a prié pour que ses disciples soient un. Il l’a fait dans la prière habituellement appelée «prière sacerdotale», parce qu’elle est bâtie sur le plan de la prière solennelle que le grand prêtre, entré dans le saint des saints du Temple de Jérusalem adressait à Dieu (Jn 17). Il priait pour lui, pour ceux qui étaient avec lui dans le sanctuaire et pour tout le peuple. Ainsi Jésus prie-t-il pour lui au moment de vivre sa Pâque; il prie pour les disciples qui sont avec lui et il prie enfin pour tous ceux qui viendront se joindre à la communauté des croyants, ces innombrables disciples, dont nous faisons partie. C’est pour nous aussi que Jésus demande à son Père «qu’ils soient un».
Cet appel à l’unité repose sur la reconnaissance du fait suivant. De même que les disciples ne sont pas la copie du même modèle, de même les communautés qui viendront après eux ne seront pas identiques. Une telle prière de Jésus est un défi aujourd’hui. Tout au long des siècles, les chrétiens se sont divisés. Les différences sont devenues des antagonismes marqués par un esprit de jalousie, de rivalité, d’égocentrisme… La racine de cette spirale de violence est simple à discerner: se prendre pour le centre et renvoyer les autres à la périphérie, ou encore se prendre pour la réalisation optimale de la volonté du Christ et voir chez les autres une forme dégradée, voire méprisable… Il est difficile à chacun de se penser comme un parmi d’autres; il est encore plus difficile aux communautés de se penser comme une parmi d’autres… Il est bien difficile d’entendre que Jésus nous dise qu’il y a de nombreuses demeures dans la maison de Dieu. Il nous faut donc faire effort pour entrer dans la prière de Jésus. Pour le faire en vérité remarquons d’abord que l’expression «être un» dit plus que être uni comme les pièces d’une machine; elle dit une unité plus radicale, dans la mesure où elle parle de la même vie selon les images que Jésus a employé: celle de la vigne en particulier – tous les sarments sont le corps du Christ et, tous ensemble, ils sont la même vigne qui est le Christ (Jn 15,1s).
Remarquons surtout que Jésus dit à son Père: «Qu’ils soient un comme nous sommes un». Or l’unité du Père et du Fils n’est pas une confusion, c’est au contraire dans la mesure où chacun est lui-même que l’autre est lui-même. Pour que le Père soit père, il faut que le Fils soit fils et pour que le Fils soit fils, il faut que le Père soit père… Ainsi les chrétiens seront vraiment un comme le Père et le Fils si chacun est lui-même dans ce qui le façonne et si chaque Église chrétienne est elle-même – à raison de son histoire, de sa culture, de sa tradition. Il y a une irréductible diversité.
Mais cette diversité est davantage que ces éléments sociologiques; elle vient de la nature de la foi qui est un rapport vivant avec Dieu. Or Dieu est au-delà de tout ce que nous pouvons saisir tant par notre intelligence que par notre manière de vivre. Nous ne pouvons pas épuiser la richesse de l’être de Dieu dans une seule manière d’être et de vivre la foi. Pour cette raison, il est sain que les disciples de Jésus, baptisés dans l’eau et dans l’Esprit soient différents et que les communautés vivent leur foi et les sacrements de la foi de manière différente. La demande de Jésus le reconnaît et pour cette raison, il demande à ce que cette diversité ne soit pas source de mort. C’est en ce sens que le concile Vatican II a mis au premier rang de ses soucis l’œcuménisme, la construction de l’unité des chrétiens sans abolir les différences. Cette tâche est actuelle. Qui en France ignore que nous portons encore les séquelles des guerres de religions? Qui ne voit avec grande douleur la disparition des chrétiens d’Orient sous la pression islamique – or au temps où la chrétienté latine était toute-puissante et aurait pu les aider à se développer, il faut bien constater qu’ils étaient traités avec le plus grand des mépris. Aujourd’hui les opposants à Vatican II accumulent mensonges et provocations pour détruire le souffle de l’œcuménisme… Les difficultés ne manquent pas, mais Jésus nous donne la clef pour les vaincre.
Le premier point est la vérité. «Consacre les dans la vérité!». La vérité est celle de Dieu; ce n’est pas la nôtre, dont nous serions propriétaires… La vérité est une aventure car plus on avance, plus on sait que l’on ne sait que peu de choses et qu’il y a encore beaucoup à apprendre et à découvrir. La vérité est symphonique et plus on y avance, plus on a besoin de la présence d’autres qui sont vraiment autres. La vérité est reçue dans la foi et celle-ci nous fait participer à la vie de Dieu qui passe tout ce que nous pouvons en percevoir ou même en soupçonner. Cette exigence n’a rien perdu de son actualité et il importe que les chrétiens aujourd’hui soient dans le monde les témoins d’une unité qui brise avec les deux grandes tentations des temps modernes: le totalitarisme et le sectarisme.
Le deuxième point est que cette vérité est donnée dans la parole de Dieu: «Ta parole est vérité» dit Jésus. Ainsi nous sommes confirmés dans notre application à lire la parole, de l’étudier d’en vivre, car tous ici avons fait l’expérience que de Dieu vient une vérité qui rend libre.
«Qu’ils soient un comme sommes un». Nous savons que le Père et le Fils sont un dans leur amour commun, l’Esprit Saint. Nous attendons sa venue au terme de notre Pâque.