Homélie du 29 mai 2022 - 7e Dimanche de Pâques

« Qu’ils soient un »

par

Avatar

Ce 7e dimanche de Pâques, nous continuons la lecture de ce qu’on appelle dans Saint Jean le Discours après la Cène, le Discours d’adieu, ou encore le Sermon du Seigneur. Ici, pas de paraboles, pas de miracles, pas de Samaritain ni de Samaritaine, pas de Pharisien ni de Pharisienne mais un long monologue, parfois interrompu par les questions des disciples, des questions qui disent leur incompréhension ou leurs angoisses. Ce monologue s’achève par une prière, une prière pour l’unité : « Père, qu’ils soient un en nous, pour que le monde croie que tu m’as envoyé ; qu’ils soient un comme nous sommes un : moi en eux et toi en moi » (Jn 17, 20-26).

Mes frères, si Jésus demande au Père que les disciples soient un c’est qu’ils ne le sont pas ! Ils tirent chacun à hue et à dia, ils discutent pour savoir qui est le plus grand, qui siégera à sa droite et à sa gauche ! Il leur faudra beaucoup de temps, à la mesure des révélations progressives de l’Esprit Saint, pour comprendre que l’unité, si nécessaire pour que le monde croie, ne vient pas d’un vouloir d’homme, mais qu’elle ne peut venir que de Dieu, qu’elle se reçoit comme un don. Dans l’Église naissante, elle ne sera pas non plus réalisée d’emblée : « L’un dira : Moi, je suis à Paul ; et l’autre : Moi, je suis à Apollos ; — Et moi, à Pierre ; — Et moi, au Christ. Le Christ est-il divisé ? », leur demande saint Paul, « serait-ce Paul qui a été crucifié pour vous ? Ou bien est-ce au nom de Paul que vous avez été baptisés ? » « Puisqu’il y a parmi vous de la jalousie et des disputes n’êtes-vous pas charnels et votre conduite n’est-elle pas tout humaine ? » (1 Co 1 et 3).

On voit bien que, dès les origines, l’unité est difficile. L’Église est née fragmentée et elle n’a pas cessé de se fragmenter au cours des temps du même mouvement qui la faisait se répandre en divers lieux, peuples et langues. Et aujourd’hui, cette fragmentation s’accentue de façon inquiétante, plus sournoise que les grandes divisions d’autrefois. Pour parler comme les politologues, la tendance est à l’archipel. La société française est devenue un « archipel », écrit par exemple Jérôme Fourquet : « Nous sommes confrontés à un processus “d’archipélisation” croissante du corps social. De multiples lignes de faille — éducative, géographique, sociale, générationnelle, idéologique et ethnoculturelle —, s’entrecroisent, engendrant autant d’îles et d’îlots plus ou moins étendus. » Mais « le grand basculement », c’est « la dislocation de la matrice catholique de la société française, […] la matrice séculaire judéo-chrétienne, déjà fortement affaiblie, [vouée] à disparaître à l’horizon d’une génération » (L’archipel français, p. 10-15). C’est évidemment effrayant et pénible d’entendre cela mais si nos communautés suivent le même chemin que le monde ou, pour le dire avec saint Paul, si notre conduite est encore tout humaine, si nous ne serrons pas les rangs autour de ce qui nous fait vivre, nous allons tout simplement disparaître. C’est une question existentielle : sans unité, nous n’existerons plus.

Alors, je sais ; beaucoup d’entre vous ont envie de s’en aller, ou sont déjà partis, fatigués et déçus : de nous, de l’Église telle qu’elle est et du monde tel qu’il va. Mais ces déceptions ne laissent envisager qu’une seule hypothèse : seule l’unité qui vient du Père par le Fils nous offre la force d’endurer les épreuves, de faire avec le réel, de sortir de l’entre-soi et d’aller vers le monde. Car le monde est devenu à lui-même une telle énigme, il se trouve confronté à des questions si redoutables, à de si profondes divisions, qu’il n’est pas permis aux chrétiens de déserter et — je vais le dire de manière très concrète —, qu’il ne nous est pas permis, à nous ici, dans cette église des dominicains de Toulouse, de déserter cette liturgie qui s’est construite depuis un demi-siècle, non pas autour de tel ou tel compositeur mais autour de la prédication de la Parole de Dieu.

Encore faut-il que nous croyions à notre capacité de renouveau, à la nouveauté inépuisable du Christ qui, comme dit saint Irénée de Lyon, « en apportant sa propre personne, a apporté toute nouveauté, la Nouveauté qui viendrait renouveler et revivifier l’homme » (Contre les Hérésies, IV, 34, 1). 2 000 ans après, nous sommes toujours dans les commencements de l’ère chrétienne, aimait à dire le cardinal Lustiger : « Chaque jour le Seigneur vient. Il vient dans la nouveauté de sa gloire. Les événements sous nos yeux l’attestent, pourvu que nous acceptions d’en croire les yeux de notre foi : les siècles n’ont pas épuisé la nouveauté irréductible du Christ. Le cours des temps commence seulement à manifester l’originalité singulière du christianisme » (Dieu merci, les droits de l’homme, p. 449). Croyons-nous que la nouveauté du Christ est encore capable de renouveler et de revivifier l’homme ? Que l’annoncer au monde est ce qui importe le plus, au final ? Que c’est de cette nouveauté que le monde a le plus besoin ? Que nous en sommes les témoins ? Pour être crédibles, sommes-nous prêts à tendre de toutes nos forces vers l’unité afin de la recevoir comme un don et d’en goûter tous les fruits ?