Frères et sœurs, si voulons bien comprendre ce que signifient les cendres que nous allons recevoir, il faut remonter à l’origine. Le jour où Dieu créa la femme, Adam s’écria : « Voici l’os de mes os et la chair de ma chair. Elle, on l’appellera Isha, car elle a été tirée de Ish » (Gn 2, 23). Jouant avec les lettres de ces deux mots, une tradition juive en fait jaillir deux autres : Dieu et feu. Ainsi, continue cette tradition, lorsque Ish et Isha sont en communion ensemble et avec Dieu, ils sont unis en un même feu qui ne les consume pas. En revanche, si Dieu est mis de côté, si le péché entre dans la relation, il ne reste qu’un feu extérieur, qui dévore et détruit l’un et l’autre, ne laissant que désolation et cendres derrière lui. Des cendres, comme celles que nous allons recevoir.
Elles sont la figure de ce qui reste de notre vie lorsqu’elle est conduite par le péché qui, comme un feu, détruit notre personne. Ses combustibles se nomment, selon saint Paul : « fornication, impureté, débauche, idolâtrie, magie, haines, discordes, jalousie, emportement, disputes, dissensions, scissions, sentiments d’envie, orgies, ripailles et choses semblables » (Ga 5, 19-21). Il n’est pas anodin que les cendres d’aujourd’hui proviennent des rameaux, ceux que nous levions au-dessus de nos têtes en proclamant Jésus notre Roi (cf. Jn 12, 12-15). Aujourd’hui, en recevant les cendres, nous reconnaissons publiquement que nous sommes pécheurs, que nous portons en nous un péché qui engendre la mort, que Dieu n’a pas été le Roi de notre vie. Nous tombons les masques et proclamons : j’ai péché contre Dieu, j’ai besoin de sa miséricorde et de votre soutien frères et sœurs pour me reprendre, pour m’éloigner du péché et de la mort, pour cheminer vers Dieu.
C’est alors que la liturgie va nous faire bénir les cendres. Elles vont dorénavant porter la trace de Dieu. Qu’est-ce que cela signifie ? Lorsqu’on les mélange avec de l’eau et de l’huile, les cendres qui salissaient se transforment et deviennent du savon. L’eau et l’huile sont des figures de l’Esprit Saint qui transfigure le sens de notre péché, en retourne le sens, « faisant surabonder la grâce, là où le péché abondait » (Rm 5, 20), là où nous nous étions séparés de Dieu. Il fait toute chose nouvelle. Les cendres bénies que nous recevons deviennent alors appel à la miséricorde, proclamation de la victoire de Dieu qui, comme un feu, réduit en cendres le mal (cf. Dt 4, 24 ; 9, 3 ; Ps 97, 3). Cette victoire, c’est celle de Jésus sur la Croix. Ces cendres sont appel et marque de l’action de l’Esprit Saint qui met en lumière le péché (cf. Jn 16, 8) pour le détruire, en retourner le sens et ainsi faire croître en nous les sentiments qui étaient dans le Christ Jésus (cf. Ph 2, 5).
Les cendres ont donc une double signification : elles mettent en lumière notre état de pécheur et notre péché et elles appellent en nous la victoire de la Rédemption, elles sont notre consolation et notre espérance dans le Salut de Dieu comme l’écrit l’Apôtre saint Jean : « Si nous confessons nos péchés, Dieu est assez fidèle et juste pour remettre nos péchés et nous purifier de toute injustice » (1 Jn 1, 8-9). C’est ainsi que les cendres intercèdent pour que l’Esprit Saint agisse en nous. Il est cette eau qui « lave ce qui est souillé et baigne ce qui est aride ». Il est cette huile qui « guérit ce qui est blessé ». Il est ce feu qui éclaire et met en lumière notre péché, qui « assouplit ce qui est raide, réchauffe ce qui est froid. Sans lui, rien en l’homme qui ne soit perverti » et qui ne tombe en ruines, en cendres.
Mais attention : cela n’est pas magique ! Il ne suffit pas de dire « Seigneur ! Seigneur ! » et d’attendre que la grâce fasse tout le travail. Dieu veut notre coopération, notre collaboration car « il ne veut pas nous sauver sans nous » (S. Augustin, Sermon 169, 11, 13). Durant ce carême, nous allons jeûner pour faire l’expérience d’un manque sensible qui va nous rappeler le manque spirituel, révélant l’état de mon âme lorsqu’elle n’est pas nourrie de Dieu. Alors, je vais donner du temps à l’écoute de Sa Parole, à la prière, à la vie sacramentelle. Et Dieu ouvrira mon cœur au petit qui appelle, au pauvre qui est peut-être juste là à côté de moi. Et je répondrai, « aimant alors Dieu et mon prochain de tout mon cœur, de toute mon âme et de tout mon esprit, dans la mise en pratique d’un seul et même commandement » (Mt 22, 36-40). Alors le Royaume de Dieu progressera en nous et autour de nous. « La multitude des croyants aura un seul cœur et une seule âme » (Ac 2, 42-46 ; 4, 32-34). Portant en nous les trésors et le feu divins, nous les transmettrons autour de nous. Et le Christ contemplera la réalisation de son désir lorsqu’il disait : « Je suis venu allumer un feu sur la terre, comme je voudrais qu’il soit allumé » (Lc 12, 49). Que l’Esprit Saint transfigure notre vie afin que resplendisse en chacun « le Christ qui est l’image du Père (Col 1, 15), « qui est le Chemin, la Vérité et la Vie » ! (Jn 14, 6). Bon carême !