Une foule s’avance, la rumeur enfle : « C’est Jésus… » D’une marche grave et décidée, Jésus monte à Jérusalem. Par trois fois, il a annoncé que là-bas les méchants vont le maltraiter, le mettre à mort et, le troisième jour, il ressuscitera [1]. Ultime montée pour affronter la mort.
La foule, on ne sait jamais avec elle, aussi affirmative que versatile. Arrivée à Jérusalem, elle applaudira son roi : hosanna au fils de David ! Mais le roi se fait serviteur et il vient donner sa vie à Jérusalem [2]. Et la foule criera à Pilate qui voulait relâcher le roi des Juifs : « Crucifie-le ! » (Mc 15, 9-13).
À la sortie de Jéricho, juste avant la montée, un mendiant aveugle. On l’a conduit dès le matin à sa place, à côté du chemin. Comme tous les matins et tous les jours de sa vie, il portera le manteau du mendiant. L’aveugle sera classé comme mendiant pour vivre de pièces jaunes. Tout est en ordre à côté du chemin.
Sauf qu’un aveugle a l’ouïe fine. Il entend dans la rumeur de la foule le nom de Jésus [3]. Il est aveugle mais dans sa nuit il recherche à l’intérieur la lumière du Christ (Jn 8, 12). Alors il crie de toute sa voix car il n’a plus que cela pour crier son existence. C’est qu’il a une vie et il a un nom comme Jésus, fils de David, il s’appelle Bartimée, fils de l’honneur [4]. Il a donc une entière dignité d’homme même si on le laisse de côté.
Dans sa foi, il anticipe Jérusalem : « Jésus, fils de David, prends pitié de moi ! »
Mais la foule veut Jésus pour elle et dans cette foule il y a sa garde rapprochée, les apôtres, les disciples. On veut le faire roi (Jn 6, 15). Alors faisons taire ce mendiant. Il n’est rien et Jésus est à nous pour que tout soit dans l’ordre.
Alors Bartimée crie de plus belle et là, miracle : Jésus s’arrête.
On ne s’arrête pas quand on est en mission pour le salut du monde. La foule porte son leader et on n’arrête pas une foule. Qui va s’arrêter quand le temps s’accélère, que l’on n’a plus le temps pour mille choses à faire et que Dieu, les autres, le reste attendront comme ce mendiant qui attendra toute sa vie…
Miracle : Jésus s’arrête. À la montée de Jéricho à Jérusalem, Jésus s’arrête devant Bartimée comme le Bon Samaritain devant l’homme tombé aux mains des méchants (parabole du Bon Samaritain, Lc 10, 29-37). Et pourtant Jésus est bien le prêtre selon l’ordre de Melchisédek pour l’éternité (deuxième lecture).
Devant Bartimée comme devant Zachée, Jésus est celui qui s’arrête au nom de Dieu pour regarder et écouter ceux que le monde met de côté ou que les « purs » ne veulent pas voir et que les savants ne veulent pas entendre.
Miracle : Jésus s’arrête devant Bartimée. Il écoute la foi et appelle à la vie. « Confiance, il t’appelle. » Alors la rencontre devient possible, vraie. Elle bouleverse le cœur de Jésus et la vie de Bartimée qui bondit et jette son manteau. Il ne le mettra plus puisqu’il existe dans sa dignité d’homme et dans la confiance de Dieu. Il existe enfin. Le dialogue est donc possible dans une rencontre en vérité. Face à face.
Jésus n’est-il pas l’envoyé du Père, la Parole de Dieu fait homme ? Parole qui n’est pas un message virtuel mais le Verbe fait chair. En Jésus, Dieu parle à hauteur d’homme, les yeux dans les yeux. Une Parole que vérifie la vie ; une vie, un évangile qui vérifie la Parole. Alors les simples comprennent (Ps 118, 122-130 ; Mt 11, 25-30). Jésus, le Christ, à l’écoute de son Père et à l’écoute du petit qui est sans aide pour guider l’aveugle et le boiteux vers le Royaume (première lecture).
Miracle d’un étonnant dialogue :
Jésus dans une infinie délicatesse : « Que veux-tu que je fasse pour toi ? » Dieu est celui qui respecte le plus l’homme sur cette terre [5]. Tout le monde sait que ce mendiant est aveugle, pourquoi lui poser cette question ? Dieu sait tout et tout le monde le sait.
Jésus attend que Bartimée laisse monter en lui le désir de voir, le désir de le voir, les yeux dans les yeux.
Devant la douceur de la Parole de Jésus [6], Bartimée exprime sa tendre humilité : « Rabouni, que je vois ! » Il reconnaît le maître et exprime déjà une vraie amitié. Comme Marie-Madeleine au matin de Pâques au pied du Ressuscité [7] ! Ce matin même de Pâques où Jean dit de lui-même dans le tombeau vide : « Il vit et il crut. » Alors que voit-il ? Rien, l’absence, le vide. Que croit-il ? Tout, la présence du Christ Ressuscité, la nouveauté.
La vie de Bartimée bascule dans la nouveauté.
Il croit et il voit. « Va, ta foi t’a sauvé. »
Il voit celui en qui il croit et il bondit à sa suite, je crois qu’il a dansé tout le long du chemin.
Il a dansé de joie comme David devant l’Arche (2 Samuel 6, 14-15) !
Il suit Jésus vers le Royaume [8].
Maintenant mon frère, ma sœur, je te propose une seule question à laquelle répondre dans la profondeur de ton silence. Pas tout de suite. Quand ce sera mûr. Laisse Jésus te regarder et te demander : « Que veux-tu que je fasse pour toi ? » Et il le fera !
Notes :
[1]. Troisième annonce, juste avant de quitter Jéricho (Mc 10, 32-34).
[2]. « Le fils de l’homme n’est pas venu pour être servi mais pour servir et donner sa vie en rançon pour la multitude » (Mc 10, 45, soit deux passages après la sortie de Jéricho).
[3]. La foule s’est divisée à propos de Jésus que certains reconnaissent comme le Christ mais qui doit venir non de Nazareth mais de la descendance de David à Bethléem (cf. Jn 7, 40-43). Sur le nom de Jésus, voir Mc 9, 38-40.
[4]. Voir aussi le nom de Timothée, « honneur-Dieu ».
[5]. Quand le ciel s’adresse à la terre que de délicatesse et de simplicité. Marie à Bernadette qui n’a pas pu aller à l’école : « Voudriez-vous me faire l’honneur de venir »…, et Bernadette : « Elle m’a parlé comme à une personne… »
[6]. Qui contraste avec l’exigence des fils de Zébédée, dimanche dernier, dans le langage du pouvoir : « Maître, ce que nous allons te demander, nous voulons que tu le fasses pour nous » (Mc 10, 35).
[7]. Relire tout le chapitre 20 de Luc
[8]. Il y a deux dimanches (28e dimanche B) ; l’homme riche dont nous ne connaissons pas le nom, restait dans l’infinie tristesse de ses grands biens sans pouvoir suivre Jésus.