Homélie du 5 février 2023 - 5e Dimanche du T. O.

Sel de la terre et lumière du monde

par

fr. François Le Hégaret

« Sel de la terre » et « Lumière du monde ». Voilà bien des prétentions audacieuses dans ces titres que nous adresse Jésus. Ne serait-ce pas un peu orgueilleux de notre part de nous croire ainsi ? A-t-on vraiment le droit de nous considérer de la sorte, surtout quand on connaît les difficultés actuelles de l’Église telles qu’elles sont exposées dans la presse ? Si cette désignation ne venait pas du Christ lui-même, il y aurait tout lieu de les rejeter. Mais le texte est clair. Et en plus le Christ ne dit pas : « Si vous faites ceci ou si vous faites cela, vous serez le sel de la terre et vous serez la lumière du monde. » Il dit : « vous êtes ». Cela fait partie de notre être même de disciple. Alors penchons-nous un peu plus profondément sur ces titres.

D’abord, « vous êtes le sel de la terre » ; Ce sel est assez semblable à la semence que nous trouvons dans la parabole du semeur, donc à la parole du Royaume selon l’interprétation même que nous donne Jésus (cf. Mt 13, 19). Cette semence est jetée sur différentes terres ; elle peut produire du fruit en abondance, mais parfois, jetée au bord du chemin, « elle a été foulée aux pieds et les oiseaux ont tout mangé », comme nous le rapporte saint Luc (8, 5). S’il y a bien une ressemblance entre ces images, celle du sel ici apporte une nuance. Elle représente davantage l’homme qui reçoit avec enthousiasme la parole avec foi. Ce fut le cas de Pierre qui déclare, après avoir entendu le Christ à la synagogue de Capharnaüm : « Seigneur, à qui irions-nous ? Tu as les paroles de la vie éternelle ? » (Jn 6, 68). Ces hommes-là, qui reçoivent la parole avec foi, sont capables d’apporter au monde ce goût toujours nouveau des réalités éternelles, divines, dans le quotidien du monde. Sans eux, ce monde resterait englué dans la banalité des choses. Les disciples, dans la fidélité à la parole reçue du Christ, par leur foi, sont ainsi ce sel de la terre. Par contre, si ce sel s’affadit, si cette parole est reçue comme une parole humaine, si la foi disparaît, il n’y a plus de disciple. Ne nous pensons pas à l’abri d’une telle tentation. Beaucoup de ceux qui avaient entendu le discours de Jésus sur le pain de vie sont partis, car ils trouvaient sa parole trop dure (cf. Jn 6, 60). Nous pouvons tout à fait être tentés de choisir une parole plus moderne, plus dans l’air du temps, à la parole du Christ. Mais alors, qui nous permettra de « discerner quelle est la volonté de Dieu : [et donc] ce qui est bon, ce qui est capable de lui plaire, ce qui est parfait [à ses yeux] » (Rm 12, 2) ?

« Vous êtes la lumière du monde. » Petite question préalable : qui est véritablement la lumière du monde ? Comme vous connaissez les évangiles, vous savez que, en réalité, c’est le Christ. Par deux fois, dans l’Évangile de Jean, Jésus déclare : « Je suis la lumière du monde » (Jn 8, 12 ; 9, 5), et le thème est abondamment présent dans l’ensemble de cet évangile. À chaque fois que le Christ se présente comme lumière, il se présente aussi comme le chemin qui conduit au Père. Ainsi, Jésus dit : « Je suis la lumière du monde. Qui me suit ne marchera pas dans les ténèbres, mais il aura la lumière de la vie » (Jn 8, 12). Le vrai disciple est d’abord celui qui a décidé de marcher à la suite du Christ, dans sa lumière. Le chemin véritable, le disciple ne le voit pas. Mais c’est en marchant au plus près du Christ, en mettant ses pas dans les pas du Christ, qu’il arrive à bon port. Alors, à son tour, il rend manifeste aux yeux du monde le chemin qu’il a emprunté : il est lumière vers Dieu pour le monde. Ce n’est pas lui qui a tracé le chemin, ce n’est pas lui qui a choisi la route à prendre, mais il a fait comme son Maître, il a pris le même chemin. Certes, il ne le fait pas tout seul. L’image de la ville empruntée par le Christ fait bien sûr penser à Jérusalem, dont les lumières guidaient les pèlerins vers le sanctuaire. Il s’agit ainsi de l’Église, de l’ensemble des chrétiens, qui nous mène vers le Christ. D’où cette demande de Jésus de mettre cette lampe sur le lampadaire : pensons à ceux qui nous suivent, ne jouons pas la montée en solo.

Sel de la terre et lumière du monde. Ces deux titres sont donc inséparables de la qualité du disciple, de celui qui suit le Christ au plus près, de celui qui fait sa volonté. Mais justement, c’est également par ces titres mêmes que l’on reconnaît le vrai disciple. Ceux qui falsifient la parole de Dieu, ceux qui veulent mener leur voie propre sans le Christ ou l’Église, ne peuvent prétendre être de vrais disciples.

Ces titres, enfin, ne sont pas là pour servir de gloire aux disciples du Christ. Saint Paul, tout apôtre qu’il était, ne ressentait en lui que faiblesse et crainte face à la mission qui lui était confiée. Mais c’est justement dans cette faiblesse qu’il a reconnu la puissance de Dieu. Si certains hommes étaient amenés à reconnaître la force de la parole de Dieu ou une lumière sur le chemin vers Dieu dans nos actes, que cela soit pour la seule gloire du Père qui est dans les cieux.