Homélie du 8 septembre 2002 - 23e DO

Si ton frère vient à pécher

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Frères et sœurs, je vous avoue que je confesse très peu. Mais il m’est arrivé tout récemment de confesser dans un de ces vieux confessionnaux dans lesquels le prêtre, confortablement installé, et muni de quelque pieuse lecture, peut paisiblement attendre les pénitents. Ceux-ci en réalité étaient peu nombreux, me laissant ainsi le loisir de me préparer à la prédication d’aujourd’hui. Mais, à vrai dire, la lecture des premiers mots de l’évangile que nous venons d’entendre troubla un peu la paix de mon attente: «Si ton frère vient à pécher, va le trouver». Je me suis tout à coup demandé ce que je faisais paisiblement assis dans ce confessionnal à attendre pieusement les brebis égarées. Certes, il est bien loin le temps où les prédicateurs couraient les routes pour exhorter au repentir, plus lointaine encore, l’époque où les pécheurs devaient se proclamer publiquement et accomplir au grand jour d’effroyables pénitences. Il n’est bien sûr pas question de revenir à ces pratiques d’un âge révolu. Mais en même temps, n’avons-nous pas tendance aujourd’hui à considérer le péché comme une affaire exclusivement privée? Pourvu que je ne fasse pas de mal à mon prochain, en quoi mon intimité devrait-elle intéresser l’Église, et à la limite, qu’ai-je besoin d’un prêtre pour me réconcilier avec Dieu? La liturgie de ce jour nous montre au contraire que la réconciliation avec Dieu est inséparable de la réconciliation avec son corps qui est l’Église: cela pour trois raisons que nous donnent les trois paragraphes de notre évangile.

D’abord, avez-vous remarqué que Jésus ne dit pas «si ton frère vient à pécher contre toi», mais, tout simplement «si ton frère vient à pécher»? En effet, si le Christ nous demande de nous faire les gardiens de nos frères, c’est parce que tout péché, en tant que tel, fût-il solitaire, absolument secret, et apparemment sans conséquences sur autrui, affecte en réalité la communauté tout entière. Certes, le péché blesse d’abord le pécheur lui-même, c’est ce que l’on appelle l’attrition, et le pénitent se rend compte qu’il a également blessé Dieu, c’est ce que l’on appelle classiquement la contrition, mais n’oublie-t-on pas trop souvent que notre péché blesse aussi l’ensemble de nos frères et sœurs? On a, au XXe siècle, rappelé que les racines du péché n’étaient pas uniquement personnelles, qu’il existait même des « structures sociales de péché », voire « une culture de mort ». Mais en ce début de XXIe siècle, le phénomène de ce que l’on appelle la « mondialisation » ne nous inviterait-il pas à prendre davantage conscience des conséquences sociales de notre péché personnel? Toute pensée mauvaise, toute parole injuste, toute colère rentrée blesse l’Église, et pèse même sur l’univers tout entier, comme en témoigne merveilleusement, et dans un style tout franciscain, le starets des Frères Karamazov: «L’univers, dit-il, ressemble à l’océan: tout s’épanche et communique – on ébranle un seul point, et cela retentit à l’autre bout du monde. Mettons qu’il soit insensé de demander pardon aux oiseaux: mais les oiseaux seraient plus légers, et les enfants aussi, et tout être qui vit auprès de toi, si toi-même étais meilleur que tu n’es actuellement – ne serait-ce que d’une goutte, d’une goutte dans l’océan, je te le dis. Alors tu prierais aussi les oiseaux, saisis tout entier par l’amour comme dans une sorte d’extase: tu les prierais qu’ils te pardonnent tes péchés». Oui, frères et sœurs, il n’y a pas de péché privé, ni dans ses causes, ni dans ses conséquences «si un membre souffre, tous les membres souffrent avec lui» (1 Co 12, 26-27). C’est pour cela que nous nous confessons en Église, devant un confesseur qui, même seul au fond de son confessionnal, et même s’il est le témoin du Christ par lequel Dieu nous réconcilie, représente également, et peut-être même avant tout, nos frères et sœurs, les enfants, et les oiseaux peut-être aussi, l’univers tout entier, le corps du Christ que nous avons blessé.

Mais Jésus donne aux apôtres un deuxième enseignement: «Je vous le dis en vérité, si deux d’entre vous, sur la terre, unissent leur voix pour demander quoi que ce soit, cela leur sera accordé par mon Père qui est aux cieux». La confession est un acte ecclésial, non seulement parce que le péché a toujours une dimension communautaire, mais parce qu’elle est toujours le fruit de la prière de deux personnes manifestant celle de l’Église. Certes, il est évident que l’expression orale du péché, en elle-même, possède une grande force, car les péchés, comme les vampires, disparaissent au grand jour. Nous sommes tous comme ce Raskolnikov de Crime et Châtiment, tous nous avons besoin de dire, non pas tant ce que nous avons fait, mais l’état de rupture et de misère dans lequel nous nous trouvons. Mais cette explication purement psychologique de la confession, si elle est importante, humaine, et assumée par le sacrement, n’est pas suffisante. Le rôle du confesseur n’est pas forcément celui d’un psychologue, ni même d’un père spirituel il est avant tout de faire du pénitent… un confesseur, un confesseur de la foi au pardon de Dieu manifesté en Jésus-Christ. Mais il faut être deux pour cela: être deux, c’est être toute l’Église. Écoutons encore notre starets: «Crois jusqu’à la fin, même s’il arrivait que tous les hommes soient séduits et que tu restes le seul à croire. […] Mais si deux hommes comme toi se réunissent, alors voilà le monde entier, le monde de l’amour vivant. Embrassez-vous l’un l’autre tendrement, et louez le Seigneur: car bien que vous soyez seulement deux, sa vérité est accomplie».

Enfin, Jésus donne au rôle des apôtres une troisième dimension: «tout ce que vous lierez sur la terre sera tenu au ciel pour lié, et tout ce que vous délierez sur la terre sera tenu au ciel pour délié». Vous rappelez-vous dans l’évangile un autre passage où Jésus demande à ses apôtres de délier? C’est celui du rappel à la vie de Lazare. C’est certes le Christ qui réveille son ami, mais là aussi c’est aux disciples qu’il demande de le délier. Les pères de l’Église interprétaient ce passage en disant que si c’est le Christ qui pardonne, c’est l’Église qui délie. Et de fait, l’Église, mieux que nous, sait en quoi nous l’avons blessée. À la limite, ce n’est pas à nous d’évaluer, de façon parfois narcissique, la gravité de nos transgressions. Car il est bien rare que nous sachions où se cache notre vrai péché: peut-être que ce que nous percevons aujourd’hui comme une transgression nous paraîtra demain sous un jour transfiguré, tandis que nos meilleures intentions peuvent paver des enfers sous les pieds de nos prochains. Le roi David lui-même, avec Bethsabée, n’éprouvait aucun remord jusqu’à ce que le prophète Nathan lui raconte l’histoire d’un voleur de brebis et finisse par lui dire: «Cet homme, c’est toi». Tel est aussi, parfois, le rôle du confesseur.

Ainsi, frères et sœurs, parce qu’il n’y a pas de péché privé, il n’y a pas non plus de pardon privé. Le pardon est donné par la communauté: c’est elle qui prie pour les pécheurs, c’est elle qui, par son témoin, délie les enchaînés. Alors confessons-nous, confessons notre foi au pardon du Christ: et les oiseaux, peut-être, seront plus légers.

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