Homélie du 13 juin 2021 - 11e dimanche du T. O.

Symbole et parabole

par

fr. Joël-Marie Boudaroua

« Il ne leur parlait pas sans parabole mais, en particulier, il leur expliquait tout » (Mc 4, 26-34).
Mes frères, les paraboles de Jésus ne sont pas des petites histoires sans prétention, « des petits récits réalistes et primesautiers », comme le rappelle l’excellent Dictionnaire Jésus, ce sont des textes difficiles qui « cachent leur subtilité dans une étonnante économie de moyens », une étonnante économie de mots. Quand ce que Jésus dit est inaudible parce que ses auditeurs sont incapables de l’entendre ou indicible parce qu’il s’agit d’une réalité trop haute, il emprunte « le chemin détourné des paraboles » (A. Marchadour). Et là, il semble s’éloigner du réel en se tournant vers la fiction, mais en vérité il est au centre du Mystère du Royaume, déjà là et pas encore là… Le sens commun l’affirme, devant les réalités difficiles à saisir, — et le Royaume en est une —, on n’a pas toujours les mots, alors on prend un exemple, on utilise une image pour se faire comprendre : « Il en est du Royaume de Dieu comme d’un homme […]. À quoi allons-nous comparer le Royaume de Dieu, par quelle parabole allons-nous le figurer ? » La semence qui pousse d’elle-même et la petite graine de moutarde qui devient un grand arbre figurent la croissance irrésistible du Royaume, elles disent que malgré tous les obstacles que les apôtres rencontreront, rien ne pourra empêcher la progression de l’Évangile dans le monde. Ni les persécutions, ni la trahison des clercs, ni « les abus », rien ne pourra empêcher le Règne de Dieu d’étendre ses branches sur toute la surface du globe. Et tous les oiseaux du ciel, c’est-à-dire tous les peuples, y feront leur nid. Voilà pour l’explication de ces deux petites paraboles d’aujourd’hui. Car je me suis surtout concentré sur une question, à savoir : pourquoi Jésus parle-t-il en parabole ?

S’il parle en parabole, ce n’est pas seulement pour user, comme d’autres avant lui, d’un mode d’expression original et le porter à sa perfection. C’est parce que tout est parabole. Le monde est parabole, l’histoire est parabole, notre vie est parabole ne serait-ce que parce que nous ne comprenons pas tout de notre vie, son explication est dans le Ciel, en Celui qui nous a créé. « Tout signifie l’infinie complexité des rapports des créatures avec leur Créateur, écrivait le poète Paul Claudel. Il n’y a rien sur la terre qui ne soit comme la traduction concrète ou déformée du sens qui est dans le ciel [1]. » De L’Annonce faite à Marie au Soulier de Satin, de Connaissance de l’Est aux commentaires bibliques, c’est cette idée qui pénètre toute son œuvre, avec la certitude que pour transmettre son enseignement, Dieu s’exprime à la fois par l’Écriture Sainte, à travers l’Histoire et par la Création elle-même. C’est l’Écriture Sainte qui donne la clef du message inscrit dans l’espace et dans le temps mais Dieu nous enseigne aussi à travers l’histoire et dans la nature : « Tout se passe dans l’histoire comme dans la nature par rapport à Dieu » ; « tout ce qui existe est symbole — tout ce qui arrive est parabole » ; « tout est symbole dans la nature et tout est parabole dans l’événement ». L’événement, ce n’est pas ce que l’on voit au Journal de 20 h, — ça c’est la surface —, l’événement, c’est la profondeur, c’est l’histoire en train de se faire, mais qui accouche de causes depuis longtemps ensemencées, qui échappent à la plupart des hommes, qui font quelquefois leur bonheur, mais le plus souvent leur malheur. Et Dieu nous enseigne à travers cela. Dieu ne nous enseigne pas seulement par la Bible, il nous enseigne aussi dans « l’agression de l’histoire » (P. Ricœur), dans la chute des empires, dans ce que nous nommons pudiquement les « crises sanitaires » qui sont aussi une parabole de notre rapport à Dieu, de notre usage du monde et de ses laboratoires, de notre relation à l’autre, au plus petit et au plus faible, de notre relation à la nature que nous n’écoutons plus, que nous ne comprenons plus au point de trouver si peu à redire à la fabrication future d’une chimère homme/animal… Or, « la Bible est là pour nous forcer à écouter et à comprendre ce que la nature fait là sous nos yeux à exister, ce qu’elle dit et ce qu’elle fait ». Dieu nous enseigne par la Création : la nature n’est pas une illusion, c’est une allusion, « elle ne parle pas toute seule comme une folle, elle parle de quelqu’un et elle parle à quelqu’un ». Et que dit-elle ? Elle dit la gloire de Dieu, c’est-à-dire sa sagesse et sa beauté. La Création est symbole, parce qu’elle est le lieu où Dieu a laissé la trace de sa beauté, sa signature pour que nous sachions qu’Il est et un peu Qui Il est : « À la cime du grand cèdre, je prendrai une tige au sommet de sa ramure, j’en cueillerai une toute jeune, et je la planterai moi-même sur une montagne élevée ; elle portera des rameaux, et produira du fruit, elle deviendra un cèdre magnifique […], alors tous les arbres des champs sauront que je suis le Seigneur » (Ez 17, 22-24). Si les arbres savent qui est le Seigneur, alors il nous faut apprendre d’eux. Si les arbres des forêts dansent de joie, comme dit le psaume, alors il nous faut nous aussi entrer dans cette danse, entrer dans cette joie et chanter cette Création bénie du Père et sauvée par la mort et la résurrection de Jésus-Christ notre Sauveur.

Mes frères, mesurons-nous la chance qui est la nôtre d’être dépositaire de ce sublime message ? C’est un message d’espérance, de sagesse et de beauté que nous devrions porter au monde dans lequel nous vivons. Il en a besoin pour ne pas sombrer dans la désespérance. Le plus grand service que nous chrétiens puissions rendre à l’humanité c’est de lui redonner le sens de la sagesse et de la beauté véritable qui nous a guidés sur le chemin du Royaume, le sens parabolique de l’existence.

[1] P. Claudel, Journal, Bibliothèque de la Pléiade, t. I (1904-1932), p. 586-587 et p. 616 ; voir aussi t. II (1933-1955), p. 412.