Homélie du 15 novembre 2015 - 33e DO

Traverser la détresse vers l’espérance

par

fr. Gilles Danroc

Juste après, les premiers témoins ne peuvent pas parler, tétanisés, secoués de tremblements et de sanglots étouffés. L’entourage, les journalistes vont leur prêter des mots, trop petits : horreur terreur, panique, tragédie… Après il y a eu les politiques avec des discours – il faut bien, ils sont en postes – des mots, des phrases: fermeté, rendre coup pour coup, guerre, terrorisme, aller jusqu’au bout.
Et aujourd’hui nous avons besoin d’une parole, une parole simplement vraie, une parole qui perce, qui traverse cette peur qui nous déforme et nous enferme. Une parole de Dieu.
Cette parole de Dieu, nous l’entendons ensemble en ce dimanche, elle a été portée intégralement par un homme vrai qui a vécu jusqu’au bout ce qu’il a dit : Jésus de Nazareth : En ce temps-là, après une terrible détresse comme il n’y en a jamais eu
Il est descendu au profond de cette détresse que les hommes ont fomentée depuis les origines, la violence où l’homme tue l’homme.
Dans les cris de la foule et le vacarme des soldats, dans le silence assourdissant des proches qui ont fui, une parole que Jésus prononce avec force et douceur quand il parle à son père : « Père, pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu’ils font ».
Marie et Jean, seuls, se soutiennent. Ils sont debout, le regard accroché vers le haut par Jésus suspendu à la croix qui les tourne vers le Père. A sa droite le larron de la miséricorde infinie. Au pied de la croix, le centurion qui nous représente. Il est calme au milieu d’une grande frayeur quand l’obscurité se fit sur toute la terre : « Celui-ci est vraiment Fils de Dieu » (Mt 27, 45-54).
L’homme ne sait pas ce qu’il fait quand il tue, et qu’il tue au nom d’un dieu qui n’existe pas. Et Jésus sait ce qu’il fait quand il va jusqu’au bout : « Ma vie, nul ne la prend, mais c’est moi qui la donne » (Jn 10, 18). Et dans la nuit de la violence jaillit la lumière de la vie qui est don et pardon. Nous venons de l’entendre « quand le pardon est accordé, on n’offre plus les sacrifices pour les pêchés » (2e lecture). Sur la croix Jésus a tout donné, une fois pour toutes.
Et saint Paul prolonge jusqu’à nous, lui le violent converti, renversé sur le chemin de Damas par la force du Ressuscité : « Jésus a fait la paix par le sang de la Croix. Il a tué la haine » (Éphésiens 2, 14-16). Voilà le sacrifice unique qui pardonne et libère de la tentation de la violence – prendre la place de Dieu-don et détruire la vie – et de la peur qui nous ronge.

Aujourd’hui nous vivons un moment de grande détresse prophétisée par Daniel (1ère lecture) qui nous demande d’aller plus loin que la peur… « Mais en ce temps de détresse, ton peuple sera délivré ». Et Jésus nous donne une clé en faisant appel à notre intelligence. Avec ce merveilleux figuier, qui, après l’hiver, devient tendre et souple au printemps qui annonce les fruits…
Le figuier nous invite à entrer dans le temps de la vie, de la raison, et de la vie où la peur décidément hyper mauvaise conseillère, nous fait entrer dans l’absurde et l’amalgame, en miroir de ce qui fait peur. Selon le poète Hölderlin qui médite la passion de Jésus : « Plus le danger s’accroit, plus s’approche le salut. » Et là le brouillard de la peur ou de la torpeur est troué de lumière. Le figuier de la raison figure l’arbre de vie, la croix plantée sur le Golgotha dans le printemps définitif de la Résurrection. Cette croix rayonne le pardon, la miséricorde et le salut offert au monde. L’arbre de la raison annonce l’arbre de la foi : la croix de la victoire du don sur la mort, de la foi plus forte que toute peur.

Alors oui, ce monde de haine et de violence passera et l’annonce de la fin de ce monde est vraiment une Bonne Nouvelle. Oui ce ciel opaque de la violence aveugle qui frappe de nuit passera. Oui, cette terre abreuvée de sang innocent passera. Et si Dieu déchirait les cieux et nous illuminait de la Résurrection !
Car nous étions endormis dans la poussière de la terre (1ère lecture) et le mensonge d’un monde sans Dieu aux ordres des idoles stressantes du toujours plus… de violence. Et le danger nous réveille et nous ouvrons les yeux sur ce monde qui passe pour accrocher nos vies à la Parole qui ne passe pas, Parole de Dieu, Parole de vie, Parole de Résurrection, Parole définitive d’un avenir d’espérance.
Le danger nous ouvre à cet essentiel si simple : par nous-mêmes nous n’arrivons pas à arrêter la violence de la mort que l’homme donne à l’homme. Oui, nous avons besoin d’un salut qui vient d’ailleurs que nous et qui nous respecte intégralement : le don de l’amour. Et Jésus ressuscité, qui sauve le monde par sa croix, vient à nous. Sa Parole nous relève dans l’espérance que la mort n’a pas le dernier mot.
Accroche ta vie à cette Parole qui fait passer de la mort à la vie. Tu as été baptisé dans la mort du Christ pour ressusciter avec Lui. Dès aujourd’hui.

L’Espérance transcende la peur de la mort et nous ouvre à l’amour. Regardez ces gestes si vrais au lendemain de ce vendredi noir : ces fleurs, ces messages, ce formidable tag écrit en gros au pied de la statue de la République : « Tu ne tueras pas », ces bougies et cette longue file de ceux qui donnent leur sang. Souvenez-vous de cette charité toute spontanée en Allemagne où un jeune proposait une demie heure de douche au flux des réfugiés désespérés. Geste de vérité d’une humanité qui devient elle-même dans cette solidarité plus forte que la peur de l’étranger, que la peur de la mort. D’une humanité libérée des carcans statistiques de la mondialisation et qui découvre le visage réel de l’autre.
L’Espérance en une vie libérée de la peur ouvre à la charité, signature de notre humanité.
L’heure du Père, c’est l’heure de l’espérance où « Dieu sera tout en tous » (1 Co 15, 28). Car quand l’Amour de Dieu fera totale alliance avec notre amour, nous serons infiniment respectés dans notre humanité, dans notre personnalité. Alors nous serons en Christ vainqueur de la mort et nous entrerons dans la vie.
Cette heure c’est déjà aujourd’hui, si, dans la foi, tu remets toutes les victimes de la violence dans les bras du Christ ressuscité.
Si tu remets ta vie et celle de tous les tiens quoiqu’il arrive – cancer, accident, attentat, guerre ou longue vieillesse – dans l’espérance de la Résurrection.
Jour après jour, dans la patience de l’amour reçu et donné.
C’est à dire aujourd’hui même.

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