Homélie du 3 septembre 2017 - 22e Dimanche du T.O.

Trompé par Dieu?

par

fr. Timothée Lagabrielle

« Tu m’as séduit, Seigneur et j’ai été séduit. » En entendant cette exclamation du prophète Jérémie, à quoi pensez-vous ? Est-ce que vous sentez toute la puissance romantique d’une quête amoureuse de Dieu ? Est-ce que vous sentez cette découverte de l’amour pour le Seigneur qui grandit au fond du cœur du prophète jusqu’à tout envahir, jusqu’à tout transformer, jusqu’à rendre toute sa vie suave… ?

C’est ce qu’on pourrait penser en prenant cette phrase toute seule. Mais, en fait, ce que le prophète dit est tout à fait autre chose, c’est même le contraire. En prenant le texte entier (Jr 20, 7-9), nous découvrons un sens bien différent  Quand Jérémie dit cela au Seigneur, pour lui il n’est pas question d’un jeu amoureux et d’un élan du cœur vers le Bien-Aimé. Au contraire, c’est une plainte. « Séduit » a ici le sens de « trompé ». Le prophète Jérémie se plaint au Seigneur car il se sent entrainé contre son gré. Un peu comme le jour où, en sortant d’un magasin, nous regardons toutes les choses inutiles qu’un habile vendeur a réussi à nous faire désirer et acheter, et que nous pensons : « Ô habile vendeur, tu m’as parlé et j’ai été comme charmé, envouté, trompé… séduit. »

Peut-être avez-vous déjà lancé ce cri vers Dieu ? Par exemple, quand il semble si lourd d’être chrétien et qu’une lassitude arrive. Quand suivre les commandements de Dieu est ressenti comme un poids. Quand suivre Jésus revient à porter une croix ; par exemple, quand il y a à subir telle ou telle persécution parce qu’on essaye de rester juste au milieu d’un monde où l’injustice triomphe. Ou, plus largement, dans tous les différents malheurs que nous subissons. « Oui Seigneur, tu m’as trompé : tu proclames bienheureux ceux qui vivent selon ta loi, mais ma vie n’est pas belle, douce et parfumée; elle est bien plus épreuve, malheur et angoisse. »

Peut-être, je l’espère, n’est-ce pas notre cri de chaque jour. Sans doute, n’est-ce pas non plus un cri que nous lançons trop fort – que diraient les amis chrétiens s’ils m’entendaient parler ainsi ? Mais c’est un cri qui peut jaillir du fond d’un cœur éprouvé. Et alors, à ce moment-là, qu’en faire ?

Une première chose me semble sûre : ce n’est pas en se penchant sur ces malheurs, ce n’est pas en regardant de près nos épreuves que nous trouverons une réponse à ce cri. C’est perdre son temps que de chercher le sens de ce qui est absurde et qui justement n’a pas de sens en lui-même. Devant ces questions et ces malheurs, il y a à transformer notre manière de regarder et de penser. C’est bien ce que saint Paul dit aux Romains dans la seconde lecture : « Transformez-vous en renouvelant votre façon de penser. Ne prenez pas pour modèle le monde présent. » Nous trouverons le sens de nos épreuves dans la Croix de Jésus. Et pour méditer sur la Croix avec profit, un renouvellement de notre manière de penser est nécessaire. Et ce n’est pas évident, cela ne se fait pas si facilement. Saint Pierre lui-même a eu du mal à le faire. Saint Pierre lui-même, dans cette page d’Évangile, regarde la Croix avec un regard humain, au lieu de la contempler avec un regard divin. Contrairement à la semaine dernière, c’est aujourd’hui la chair et le sang qui parlent en lui, non pas le Père des Cieux.

Ce renouvellement de notre regard, nous le demandons au Seigneur, car c’est seulement par sa grâce qu’il peut se faire. Et nous le supplions avec les mots de saint Paul : « Ouvre les yeux de notre cœur à ta lumière pour que nous percevions l’espérance que donne ton appel ! » (Cf. Ep 1, 17-18)

Et ensuite, quand nous l’avons demandé, nous pouvons nous poser au pied de la Croix de Jésus et la contempler. Ce n’est pas seulement le Vendredi Saint pendant l’office de la Croix (qui est si beau à Rangueil !) que nous avons à méditer sur la Croix du Christ, mais cela peut être chaque jour. Au pied de la Croix (en s’y plaçant physiquement, si c’est possible en se mettant devant le crucifix), dans le silence, penser à l’amour de Dieu qui s’y manifeste. Penser à cet abaissement du Fils de Dieu qui va jusqu’à la mort. Penser au Salut qu’elle apporte. Laisser notre cœur être touché par cet amour.

Ensuite – peut-être l’avez-vous déjà remarqué quand vous l’avez fait – ensuite les épreuves peuvent être vues comme un moyen d’être associé à cette Croix de Jésus.

Mais, dans l’épreuve, il peut être difficile de commencer cette méditation, et c’est pour cela que nous commençons avant, quand la vie se déroule bien, pour qu’au jour de l’épreuve nous puissions faire ce lien avec la Croix. C’est bien ce que Jésus fait avec saint Pierre et les apôtres : avant la Passion, il les fait entrer dans cette contemplation.

C’est, je pense, ce qu’il nous propose aujourd’hui.