Homélie du 13 janvier 2013 - Baptême du Christ

« Tu es mon fils »

par

fr. Serge-Thomas Bonino

«Et une voix partit du ciel: « Tu es mon fils, moi, aujourd’hui, je t’ai engendré »» (Lc 3, 22). Aujourd’hui, je te donne la vie. Cette voix, la voix du Père, «voix du Seigneur sur les eaux» (Ps 28, 3), voix qui tire Jésus de l’anonymat et le désigne comme le Fils par excellence, cette voix vient de loin, de très loin même. Elle est en effet comme le prolongement, comme l’écho dans le temps des hommes d’une parole qui a résonné «au commencement» (Jn 1, 1), «dans les splendeurs de l’aurore» (Ps 109, 3), avant même la création du monde. Une parole que le Père a prononcé et ne cesse de prononcer dans l’aujourd’hui toujours actuel de son éternité. «Tu es mon Fils». Dès que le Père existe (si je puis dire), c’est-à-dire, en fait, depuis toujours, il dit une Parole, il s’exprime et se donne tout entier dans un Verbe, il engendre un Fils. Un Fils auquel il communique tout ce qu’il a, tout ce qu’il est. Un Fils qui est donc sa parfaite «Image» (Col 1, 15). «Dieu né de Dieu, Lumière née de la Lumière, vrai Dieu né du vrai Dieu.»

Ce Fils unique est aussi «le Premier Né de toute créature» (Col 1, 15). Non pas au sens où il serait lui-même une créature – il est «engendré, non pas créé»! – mais au sens où il est le modèle des créatures, au sens où les créatures ont pour vocation d’être comme un reflet, une copie lointaine de ce Fils, afin que le Père puisse retrouver et aimer en nous ce que depuis toujours il aime en son Fils, à savoir, précisément, son attitude filiale. L’attitude de qui se reçoit d’un autre et lui restitue ce don en louange et action de grâce.

Voilà pourquoi, quand les ténèbres recouvraient encore la face de la terre, l’Esprit de Dieu planait sur les eaux pour qu’en jaillisse la vie (Gn 1, 1) et une vie qui devait trouver sa forme la plus haute et sa raison d’être dans la seule créature qui pouvait sur terre se tenir devant Dieu comme au Ciel le Fils se tient devant le Père. Cette créature, c’est l’homme, créé pour être à «l’image et à la ressemblance» du Fils.

Hélas, le miroir est devenu trou noir. Loin de se comporter comme un fils, comme un miroir fidèle qui reflète la lumière qui l’inonde, Adam, à l’instar de ces fameux trous noirs dont parlent les physiciens, a absorbé la lumière. Il l’a gardée pour lui; il l’a stérilisée. Au point que Dieu, un bref instant, a songé à annuler une création qui avait désormais perdu son sens (cf. Gn 6, 6-7). Au temps de Noé, retour à la case départ: les eaux informes envahissent la face de la terre. Retour au chaos des origines. Pourtant sur ces eaux de la mort une colombe a plané: elle portait «dans le bec un rameau tout frais d’olivier» (Gn 8, 11), gage de paix et de réconciliation. Car Dieu n’a jamais renoncé à son dessein bienveillant. Il persiste à vouloir faire de nous ses fils dans le Fils.

Alors Dieu prend les choses en main. Il se choisit Israël, qu’il éduque patiemment pour en faire un peuple de fils, et (je saute quelques épisodes!) dans ce peuple il se choisit un roi, David, un médiateur qui fasse le lien entre lui et son peuple. «C’est moi, dit Dieu, qui ai sacré mon roi sur Sion, ma montagne sainte» (Ps 2, 6) et à ce roi, qui doit rendre visible en sa personne la vocation de tout le peuple, il déclare: «Tu es mon fils, moi, aujourd’hui, je t’ai engendré. Demande, et je te donne les nations pour héritage» (Ps 2, 7-8). Comme roi, comme messie sur qui repose l’Esprit, David et sa descendance entretiennent avec le Seigneur une relation unique, privilégiée, filiale en un mot: «Je serai pour lui un père, dit Dieu, et il sera pour moi un fils» (2 S 7, 14).

Et voici qu’aujourd’hui au Jourdain cette promesse se réalise au-delà de toute espérance. Jésus, fils de David, remonte des eaux et la voix du Père, tout comme la venue visible de l’Esprit, le font connaître comme le Messie, le Fils par excellence. Mais ce Messie n’est plus un fils par adoption, comme l’était David: il est le Fils éternel en personne, celui que le Père a engendré avant les siècles et qui s’est fait homme pour apprendre aux hommes ce que c’est qu’être fils.

Attention, toutefois, que le baptême de Jésus n’est encore que la répétition générale. La pleine et définitive épiphanie (manifestation) de Jésus comme Fils unique et bien aimé, ce sera Pâques, ce sera la Résurrection. Jésus va d’abord devoir s’enfoncer dans les eaux sombres de la Passion, dont les eaux du Jourdain n’étaient que le symbole. Il va s’y noyer, s’y ensevelir. Mais il en ressortira, tout ruisselant de lumière. Car, de nouveau, dans le silence du tombeau, la parole a retenti: «Tu es mon fils, moi, aujourd’hui je t’ai engendré» (cf. Ac 13, 33). Aujourd’hui, je te rends toute vie et je te constitue pour tout homme source de vie.

Ainsi Jésus ne remonte pas seul des eaux de la mort. Nous sommes avec lui. Désormais, par la foi, nous avons, nous aussi, part à cet Esprit qui crie en nous «Abba, Père» (Ga 4, 6). Nous sommes «appelés enfants de Dieu et nous le sommes» en vérité (1 Jn 3, 1)! Nous reproduisons en nous «l’image du Fils», afin, comme dit saint Paul, «qu’il soit l’aîné d’une multitude de frères» (Rm 8, 29). Telle est la grâce de notre baptême. Et ce baptême n’est pas un évènement du passé, enfoui dans les limbes de la petite enfance. Non, le baptême a ouvert en moi une source permanente. Une source toujours disponible. Quand bien même, je l’aurais obstruée par les décombres de mes péchés, elle n’a pas disparu pour autant. Elle ne demande qu’à jaillir à nouveau à plein jet.

Aussi, dès que je quitte la surface pour descendre en moi-même, dans le silence et le recueillement de la prière, alors je peux être sûr que tout ce qui s’est réalisé en Jésus lors de son baptême se réalise aussi mystérieusement en moi. Trois choses.

«Le ciel s’ouvre». C’est-à-dire que la ligne est rétablie entre la terre et le Ciel. Jésus, par sa Passion, m’a réconcilié avec le Père, de sorte que maintenant, comme dit saint Paul, j’ai «libre accès auprès du Père» (Ep 2, 18). Plus besoin de faire antichambre. Le «Père est là dans le secret» (Mt 6, 6). Il m’attend.

«L’Esprit saint descend». Jésus ressuscité ne cesse de répandre au plus profond de moi-même l’Esprit d’amour, cette charité qui est le principe même de ma vie nouvelle d’enfant de Dieu.

Enfin, si je prête l’oreille de mon cœur, par delà le fracas des eaux, plus fort que les tempêtes qui agitent ma vie, je peux entendre, discrète mais tenace, une voix, la voix du Père: «Tu es mon fils bien-aimé; en toi, j’ai mis tout mon amour».

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