Homélie du 10 juin 2001 - Trinité

Un Dieu trois

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«J’aurais encore beaucoup de choses à vous dire, mais pour l’instant vous n’avez pas la force de les porter.»
Aucun reproche mais un constat: une immaturité. Pas un mot pour tenter d’expliquer: ils ne sont pas prêts.
Comment le deviendront-ils? Comment, à notre tour, sortirons-nous de l’immaturité?
Tel sera mon propos, un peu concentré, vous m’en excuserez.

Tout d’abord, que manque-t-il aux disciples de Jésus?

La force de ceux qui ont duré et la cohésion d’un groupe qui fait corps. lis n’ont pas connu les turbulences, la perte des repaires, le doute, le trou noir. Ils sont pleins de préjugés non vérifiés; trop tendres, trop «mous», pas encore trempés comme l’acier, ils n’ont pas touché le fond, le roc, sur lequel tout faire «porter».

Alors, me direz-vous, pourquoi l’Esprit de Dieu ne leur est-il pas donné?

Tout est là, justement!
L’Esprit n’est pas un coup de baguette magique, mais ce qui anime Jésus; lequel n’est pas un baratineur mais un maître exigeant. Son Père n’est pas le Dieu supposé connu, des scribes et des docteurs de la Loi, des philosophes et des savants, ce Dieu qu’ils ont dans la tête, avant l’événement pascal. La nouvelle alliance apporte quelque chose d’inouï que n’avait pas la première, la foi chrétienne n’est pas en simple continuité avec la foi des Juifs.

Entre les deux, il y a la mort de Jésus. Les disciples la vivent comme une épreuve révélatrice, une naissance, un départ radical! Rien ne peut remplacer cette expérience, ni les mots, ni les ‘trucs’ spirituels: c’est le mystère pascal. La mort de Jésus, mort désespérante du Messie-libérateur, est plus radicalement la mort de Dieu. C’est pourquoi elle fait éclater toutes les catégories. Scandale pour les Juifs, délire aux yeux des hommes, elle est la sagesse de notre Dieu.

Pour assumer cette épreuve, à la fois terrible et nécessaire, il faut du temps. L’Esprit ne vient explicitement qu’après, comme le révélateur patient, de tout ce qui s’est imprégné. L’Esprit est celui qui personnalise chacun, qui l’aide à concevoir et formuler, avec ses mots à lui et dans sa propre sensibilité, l’expérience de Dieu qu’il a faite en Jésus-Christ. L’Esprit établit la communication, il rassemble, il est l’âme de l’Église, il met en relation.

La formule rabâchée: «le Christ est mort pour nos péchés», désigne un péché général qui n’est autre que l’ignorance du Père, donc l’absence de l’Esprit. Pour en sortir, l’humanité doit passer par ce moment terrifiant où le Fils, révélation du vrai Dieu, est sacrifié aux fausses représentations pour en démasquer définitivement la logique de mort: la Loi des systèmes religieux figés, d’un côté, l’empereur divinisé par le totalitarisme politique, d’un autre côté, ou encore le leader providentiel, rêvé par une foule infantile.

Les baudruches des faux dieux éclatent sous la pression de la croix. Et cette croix sur le ciel vide provoque une lucidité qui pourrait sombrer dans l’athéisme, si l’expiration du supplicié n’était identiquement communication de l’Esprit. L’épreuve pascale produit en l’humanité des ondes de choc qui conduisent, de relectures en réinterprétations, d’épîtres en évangiles, au développement jamais terminé d’une parole sur le vrai Dieu, en bref, la théologie: «l’Esprit vous guidera vers la vérité toute entière… Ce qu’il dira ne viendra pas de lui-même, il redira tout ce qu’il aura entendu… Il reprendra ce qui vient de moi pour vous le faire connaître.»

Je suis impressionné d’entendre, de la bouche même du Christ, l’importance de ce temps post pascal, ce temps de l’Église où l’Esprit, après l’épreuve, rend les disciples capables de comprendre et d’assumer, ce qu’avant ils ne pouvaient pas porter.

Envoyés en mission, ils expérimentent la vie du Dieu vivant, telle que Jésus l’a vécue. Mis en situation, identifiés à lui, ils connaissent à l’intime, qui est Jésus pour Dieu et pour l’humanité.

Baptisant au nom du Père, du Fils et du Saint Esprit leur viennent progressivement les mots que Jésus,, auparavant, ne pouvait pas leur faire porter. Le Dieu vivant est communauté, il est un et il est trois, le Verbe s’est fait chair, l’Esprit est une personne divine. Il faudra plus quatre siècles, pour préciser cela!

Mais le but ultime n’est pas un discours théologique. Il est!e surgissement d’une humanité nouvelle vivant dans la. foi et dans l’amour. Le but ultime, c’est nous, qui formons l’Église ici.

Comment vivons-nous du Dieu d’amour, unité dans la diversité, source d’altérité? Cela se vérifie très concrètement dans les relations que nous avons entre nous. Alors, je pointe un thème particulier: Comment vivons-nous ici le rapport laïcs-religieux?

Y a-t-il des consommateurs et des producteurs? Des célébrants et des assistants? Des enseignants et des enseignés? Ou au contraire une belle synergie qui, selon notre âge, notre expérience et nos dons, nous permet d’être, tour à tour, enseigné et enseignant, porté et apportant. Comment allons-nous sortir de l’immaturité?

L’union différencie. Nous ne sommes pas une masse mais un peuple, organisé et diversifié. Nous ne serons | vraiment nous-mêmes, nous ne pourrons vivre à plein notre vocation, que si nous vivons en complémentarité: des laïcs vraiment laïcs et les religieux vraiment religieux.

Cela passe par une certaine institutionnalisation. Les frères auraient-ils une quelconque consistance sans leur organisation? Pourquoi les laïcs resteraient-ils atomisés? L’expérience, les idées, les talents de chacun doivent être mis au service de tous. Pourquoi n’aurions-nous pas, ensemble, une rencontre une fois l’an, des représentants de tous les groupes qui gravitent autour du couvent? Frères, sœurs, laïcs, quelque chose de plus vaste mais de moins régulier que le conseil paroissial? Rendez-vous le 14 octobre!

Nous avons beaucoup à faire pour nous organiser et porter ensemble, comme Église, tout le poids que Jésus aimerait nous confier. Que son Esprit nous rende inventifs, pour tisser les liens de la vie et nous aimer avec maturité.