Homélie du 1 mars 2020 - 1er Dimanche du Carême

« Un esprit de vertige » (Is 19, 14)

par

fr. Édouard Divry

« Il ne faut pas écouter les gens qui nous conseillent sous prétexte que nous sommes des hommes de ne songer qu’aux choses humaines, et, sous prétexte que nous sommes mortels de renoncer aux choses immortelles » (Aristote, Éthique à Nicomaque). C’est un Maître de l’Antiquité, Aristote, qui parle ainsi. N’était-il pas assailli, lui le païen, par un esprit de vertige face à la critique que suscitait son enseignement nouveau ?

Aujourd’hui un vertige nous assaillit de plein fouet, nous autres catholiques : « Que de souillures dans l’Église, et particulièrement parmi ceux qui, dans le sacerdoce, devraient lui appartenir totalement ! » (Joseph Ratzinger, Chemin de Croix, 9e station, Vendredi saint 2005). Et maintenant, c’est telle personnalité laïque chrétienne de renom qui suscite en nous le vertige ! Certains pourraient être tentés de fuir, de tout quitter.

Quand cela sent mauvais parmi les membres de l’Église, il rejaillit sur nous tous un vent de vertige. Nous nous sentons honteux de savoir que le minimum de l’Évangile n’a pas été respecté parmi les meilleurs. Le Démon est souvent à l’œuvre sans que nous nous en doutions.

Jésus, lui, subit de sa part trois tentations bien au-dessus de celles que nous connaissons, car sa vie est déjà impeccable depuis son enfance : il est tenté sur l’avoir avec la proposition de changer les pierres inconsommables en pains comestibles ; il est éprouvé sur le savoir lorsque le Diable le tente, sur le pinacle du Temple dans une vraie situation de vertige, à propos des forces extraordinaires que peut procurer l’Écriture sainte ; il est tenté sur le pouvoir en vertu de cette domination possible sur tous les royaumes de la terre. De quelles manières son Corps, inséparable de la Tête, est-il aujourd’hui tenté ? Comment son Église, et nous avec, subit-elle l’épreuve de la tentation ?

1. La société de consommation nous éprouve en imposant un individualisme exalté où l’attention se reporte sur le moi, son bien-être, son confort, ses désirs absolutisés concernant le corps réduit à une machine qui produit des désirs à satisfaire instantanément. De la pornographie à la pilule anticonceptionnelle, on est passé à l’avortement ; puis du mariage de même sexe à l’insémination artificielle, bientôt à la filiation hybride ; et l’euthanasie n’est plus loin à l’horizon. Faire ce que l’on veut quand cela nous chante ! Paul avait déjà averti sur des réalités bien moins graves : « Tout est permis mais tout n’est pas profitable » (1 Co 10, 23). La liberté débridée mène au chaos. Notre liberté a besoin d’une tutelle, celle du bien, celle de la « loi naturelle et évangélique » (GS, n° 74). Le Christ nous libère des faux choix : « C’est pour la liberté que le Christ nous a libérés » (Ga 5, 1). Le libéralisme individuel outrancier s’est substitué à la liberté chrétienne : il est une « vertu chrétienne devenue folle » (G. K. Chesterton). Favorisons donc les vertus chrétiennes dans nos familles, nos communautés.

2. La deuxième tentation porte sur le savoir. Fabriquer un surhomme non tel que le rêvait orgueilleusement Nietzsche, mais tel que la science semble pouvoir le promettre ! Un certain transhumanisme vise à fabriquer une nouvelle Tour de Babel. Quant à ceux qui s’y opposent au nom de l’écologie mal comprise, ils idolâtrent à leur manière la nature devenue intouchable par une réduction de l’homme à une simple espèce ; une parmi toutes les autres prétendues égales ! Oubliant la grandeur de l’homme, l’antispécisme est une tentation du même genre que le transhumanisme en refusant l’une la misère de l’homme et l’autre sa grandeur : l’excès de raison scientifique d’un côté ; le défaut total d’intelligence de l’autre. Ce dédain de la sagesse séculaire, comme le fait de toute « présomption » intellectuelle, est « la mère de l’erreur » (Thomas d’Aquin, Contra Gentiles, I, 5, 4). Résistons à cette tentation vertigineuse en affirmant que l’homme a un destin et qu’il a vocation à la contemplation dont il est capable.

3. La troisième tentation concerne le pouvoir. Elle traverse l’histoire sans grandes nouveautés : elle passe tous les âges de notre aventure humaine. En France, des hommes qui, il y a moins de dix ans, haranguaient les politiques, et les foules dans les médias, à maintenir une politique migratoire à tout prix avec le droit du sol érigé en slogan, avec l’accueil de « l’autre » à tout propos ; les mêmes deviennent aujourd’hui les prophètes de malheur, oracles un peu trop tardifs ; tout cela en raison de l’introduction sans discernement d’une population coranisée, modo hanbalite (littéral), inapte à l’intégration. Apprenons à résister, quant à nous, avec des armes de lumière, celle de la charité et de l’évangélisation.

En chaque tentation nouvelle, « chacun s’ignore lui-même aussi longtemps qu’il n’est pas éprouvé » c’est-à-dire tenté, avertissait saint Augustin (Enarratio Ps 61). Courage donc, relevons la tête même si le vertige collectif est plus grand que par le passé ! « Si vous n’avez pas de tentations, alerte à son tour le saint Curé d’Ars, c’est que les démons sont vos amis, vos conducteurs et vos pasteurs. » Enfin, prenons appui sur le Seigneur lui-même qui, par la bouche de saint Paul, nous rassure : « Aucune tentation ne vous survient, qui passe la mesure humaine, Dieu est fidèle ; il ne permettra pas que vous soyez tentés au-delà de vos forces ; mais avec la tentation, il vous donnera le moyen d’en sortir et la force de la supporter » (1 Co 10, 13). Même une situation vertigineuse ne doit pas nous affoler car l’Esprit-Saint la manifeste : « L’esprit de vertige c’est un esprit d’erreur » (Thomas d’Aquin, Super Isaiam, cap. 19).

Si, aujourd’hui, ton cœur se laisse convaincre par l’Esprit, vainqueur de tous les vertiges, que tu es vraiment pécheur en marche vers le salut, et si tu ne choisis pas le mal et le malheur, mais le bien et le bonheur (cf. Dt 30, 15), alors tu renonceras, pour l’amour de Dieu, au chemin où te conduisent ces tentations, ces vertiges. Tu obtiendras la certitude de la foi et la générosité des humbles à la manière discrète de la Vierge Marie, la « servante du Seigneur » (Lc 1, 38). Tu recevras la confiance et la joie des forts dans l’Esprit pour devenir « coopérateur de la Vérité » (3 Jn 1, 8), ici et maintenant ; et tu pourras enfin suivre et imiter Jésus qui descend dans la poussière de nos cendres pour y mettre en ce temps de carême un goût d’espérance en sa Résurrection. Amen.

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