Homélie du 25 mars 2018 - Dimanche des Rameaux et de la Passion du Seigneur

La Passion de Jésus, un grand dévoilement

par

fr. Loïc-Marie Le Bot

Nous allons entendre la longue proclamation de la Passion. Nous allons suivre pas à pas Jésus livré, trahi, condamné et exécuté. Par deux fois dans l’année, et ces deux fois sont concentrées en cette Semaine sainte, nous sommes convoqués pour écouter ensemble ce récit de l’évangile de la Passion. Le récit est lu dans son intégralité et s’arrête à la mort de Jésus. On a choisi de tout nous montrer, de nous en épargner aucun détail, pour enfin nous relater la manière dont Jésus est mort. On aurait pu choisir une version brève, voire brévissime : la mort n’a pas besoin de mise en scène, sa froideur et son caractère définitif suffisent. Jésus est mort en croix, point. D’ailleurs, c’était comme prévisible dès les premiers instants de sa prédication, il l’avait annoncé ouvertement, Écritures à l’appui. L’hostilité croissante qu’il suscita, et qu’il ne put désamorcer, conduisait là, à cet instant si particulier : la mort du Fils de Dieu.

Aujourd’hui, rien ne nous sera épargné des angoisses de Jésus, des outrages qu’il subira et de sa crucifixion. Rien ne nous sera épargné de la lâcheté, de la cruauté et de la perfidie des hommes. Nous allons progresser de tableau en tableau presque selon un scénario trop bien huilé. La tentation peut alors devenir grande de faire de ce récit un péplum, quelque chose de spectaculaire, d’impressionnant, et malgré tout loin de nous. Un film en costume d’époque. Ce n’est pas le propos des évangélistes, ni de l’Église en ce jour. Nous sommes à l’opposé du théâtre ou du spectacle. Au-delà des apparences, nous sommes au contraire au moment le plus intime de l’histoire de Dieu avec les hommes.

C’est pourquoi, pour saisir cette intimité et cette grandeur, il nous faut suivre Jésus, depuis l’onction dans la maison de Simon le lépreux par une femme, jusqu’au moment de la proclamation du centurion au pied de la croix : « Vraiment cet homme était fils de Dieu. » Il nous faut entendre toutes ces paroles choisies par l’évangéliste, il nous faut être saisis par tous les événements, comme la célébration de la dernière Pâque de Jésus avec ses apôtres où il se livre déjà sous la forme du pain et du vin.

Si Jésus a souffert et qu’il est mort, c’est pour nous ; c’est pour notre Salut. Il nous faut alors réaliser tout cela, autant que nous le pouvons. Si je dis : « le Christ est mort pour nous », je peux comprendre intellectuellement (ou pas) ce que cela signifie. Mais quand j’entends l’évangile de la Passion proclamé devant moi dans la grande assemblée, quand j’endure la longue station debout, quand je m’efforce d’être attentif, alors je peux me projeter dans ce récit si parlant et si direct, et devenir non plus spectateur passif mais bénéficiaire du Salut. C’est pour moi que le Christ a souffert.

Nous allons passer de la trahison des amis à la fuite des soutiens, d’un interrogatoire faussé à un procès bâclé, des moqueries de la soldatesque aux cris de la foule : voilà pour les blessures du cœur du Jésus ! Nous allons passer des mauvais traitements des coup de fouet aux crachats, du couronnement d’épines au portement de la croix, de la fixation par des clous aux poignets et aux pieds à la mort : voilà pour les souffrances du corps de Jésus.

On le dépouilla de sa tunique — autrement dit de sa dignité d’homme ; on le crucifia, et on attendit patiemment que le travail quasi mécanique de la potence se fasse : « Jésus, poussant un grand cri, expira. »

C’est dur à entendre, à se représenter, et même à comprendre. Pourquoi faut-il entendre tout cela ? Entendre ces mots : « Jésus meurt » — un mystère si grand qu’il faut nous en approcher avec retenue. On n’écoute pas la passion de Jésus à la sauvette ou en passant, comme une information télévisée. On ne force pas le récit de la mort de Jésus comme on ne force pas un secret. On n’y entre pas non plus comme par effraction : c’est une révélation qu’il faut approcher au pas de Jésus lui-même. Le seul chemin pour entrer dans la Passion est d’y entrer à la suite de Jésus. Ce récit est un mystère, un mystère très grand, qui nous livre comme le plus profond secret de Dieu : un grand dévoilement.

Ce n’est pas pour rien qu’au moment de la mort de Jésus le rideau du Temple se déchira de haut en bas. Ce rideau cachait au regard du commun des mortels le sanctuaire, lieu de la présence de Dieu. Une fois qu’il se déchire, il nous révèle un secret. Ce secret nous est manifesté et donné aujourd’hui encore : Dieu nous aime. Il nous en donne la preuve au moment où tout s’accomplit.