Homélie du 30 avril 2006 - 3e DP

«Un seul cœur et une seule âme» (Ac 4, 32)

par

fr. Serge-Thomas Bonino

«Demandez et l’on vous donnera» (Mt 7, 7). Jésus a demandé et le Père lui a donné. Tout. Il l’a exaucé sur toute la ligne. Et cette réponse du Père à la prière de son Fils, c’est Pâques! Souvenez-vous. Nous sommes au Cénacle le soir du Jeudi-saint. Au cours du repas qu’il partage avec ses disciples, Jésus lève les yeux au Ciel et, «unique Médiateur entre Dieu et les hommes» (1 Tim 2, 5), il fait monter vers le Père sa prière. Prière sacerdotale (Jn 17). Prière du Grand Prêtre de l’Alliance nouvelle. Dans l’ancienne Alliance, au jour solennel de l’Expiation, le Grand Prêtre juif offrait le sacrifice d’abord pour lui-même, ensuite pour sa maison et enfin pour tout le peuple d’Israël (cf. Lv 16). Ainsi fait Jésus. Il prie pour lui-même, il prie pour ses apôtres, il prie pour nous – nous qui croyons sans avoir vu (Jn 20, 28).

 

I. Jésus prie pour lui-même: «Père, glorifie-moi […] de la gloire que j’avais auprès de toi, avant que fût le monde» (Jn 17, 5). A cause de notre péché, Jésus a pris un corps de misère, un corps sans gloire, un corps marqué par les conséquences du péché: la souffrance et la terrible déchirure de la mort. Mais, dans la sainte nuit de Pâque, Dieu a réuni en Jésus ce que le péché de l’homme avait séparé. En réintégrant ce corps de misère, l’âme humaine de Jésus en a fait un corps de lumière, resplendissant de la vie divine, prémices de la réconciliation universelle.

 

II. Jésus prie ensuite pour ses apôtres: «Père saint, garde-les dans ton nom que tu m’as donné, pour qu’ils soient un comme nous» (Jn 17, 11). La Passion, récapitulant tous nos exils, a été l’heure de la grande dispersion. Elle a pour ainsi dire rendu palpable l’implacable logique du péché. Logique de pulvérisation. En nous séparant de Dieu, source de toute unité parce que source de tout amour, le péché nous éloigne les uns des autres. Il fait de mon prochain un étranger pour moi. Aussi la Passion a-t-elle désintégré la communauté des disciples. «Je frapperai le pasteur et les brebis seront dispersées» (Za 13, 7, cf. Mc 14, 27). Tous se sont enfuis. Qui pour pleurer amèrement sa trahison, qui pour se terrer chez lui, qui pour reprendre, morne, la route vers Emmaüs…

Mais la prière de Jésus – «Qu’ils soient uns» – a été la plus forte. Avant même que Jésus se manifeste à eux, nous voyons les apôtres réunis en un même lieu. Mais ce n’est qu’un début, car ce sont la venue du Ressuscité et le don de son Esprit qui vont transformer ce fragile rassemblement en une communauté stable, solide, dont saint Luc dans les Actes nous a laissé une description enthousiaste et programmatique : «La multitude des croyants n’avait qu’un cœur et qu’une âme. Nul ne disait sien ce qui lui appartenait, mais entre eux tout était commun» (Ac 4, 32). Oui, la prière de Jésus a été entendue. La communion des croyants en est le plus beau fruit. «Qu’ils soient uns comme nous». Car cette unité des croyants n’est rien moins qu’une participation à la communion qui unit les personnes divines. «Père, disait Jésus, tout ce qui est à moi est à toi et tout ce qui est à toi est à moi» (Jn 17, 10). Dans la Trinité, il y a moi, il y a toi, il y a lui, mais il n’y a pas le mien, le tien, le sien. Chaque personne est unique mais entre elles tout est commun, à commencer par la nature divine. Et cette unité de nature est encore renforcée, si je puis dire, par les liens de communion que l’amour tisse entre le Père, le Fils et l’Esprit saint. Eh bien, c’est quelque chose de cette unité que la communauté des croyants doit refléter, dont elle doit être l’image. Et elle le peut. Car «l’amour de Dieu a été répandu dans nos cœurs par le Saint Esprit qui nous fut donné» (Ro 5, 5) et ce feu d’amour, puisé au foyer ardent de la Trinité, est assez puissant pour nous arracher à la tyrannie de l’égoïsme et nous ouvrir ainsi à la communion avec nos frères.

Cet Esprit d’amour, Jésus nous en a mérité le don par sa Passion. Avant, «il n’y avait pas encore d’Esprit, parce que Jésus n’avait pas encore été glorifié» (Jn 7, 39). C’est que l’Esprit et le péché sont incompatibles: l’Esprit est communion; le péché refus de communion. Il fallait donc d’abord que le Christ, par son sacrifice d’amour, nous réconcilie avec Dieu, pour que Dieu puisse répandre sur nous les flots de l’Esprit. Voilà pourquoi, «il était bon qu’un seul homme meure pour tout le peuple» (Jn 11, 50). Voilà comment «Jésus a rassemblé dans l’unité les enfants de Dieu dispersés» (Jn 11, 52).

Cette unité des croyants est à ce point étonnante qu’elle prend valeur de témoignage rendu à la Résurrection. «Avec beaucoup de puissance, dit saint Luc, les apôtres rendaient témoignage à la résurrection du Seigneur Jésus» (Ac 4, 33). Certes, en accomplissant signes et miracles, mais le signe par excellence, le miracle des miracles, c’est leur communion dans l’amour. «Que tous soient un […] afin que le monde croie que tu m’as envoyé» (Jn 17, 21). On m’a dit qu’en thermodynamique, l’entropie, la dispersion, le désordre, était la tendance naturelle, la loi générale. Il en va de même dans les communautés humaines. Lorsque l’unité l’emporte sur la division, on peut être sûr qu’il y a autre chose. Une force qui vient d’ailleurs.

 

III. Jésus a prié pour lui. Il a été exaucé. Il a prié pour ses disciples. Il a été exaucé. Il a aussi prié pour nous: «Je ne prie pas pour eux seulement, mais aussi pour ceux qui, grâce à leur parole, croiront en moi, afin que tous soient un» (Jn 17, 20-21). Ainsi l’Esprit qui a glorifié Jésus, l’Esprit qui a fait éclore la communauté des disciples, ce même Esprit vient aujourd’hui sur nous pour nous insérer dans ce mystère de communion et d’unité qu’est l’Église de Jésus-Christ.

Je parle bien sûr de la grande Église, une, sainte, catholique et apostolique. Mais, de même que notre corps est formé d’une multitude de cellules, de même la grande Église est composée d’un tissu vivant de communautés qui réalisent dans le concret le mystère de la communion. A commencer par la famille, vos familles. Car la famille est cette cellule d’Église où se vit en petit le grand mystère de la communion ecclésiale. À ce titre, elle est, comme l’exprimait Jean-Paul II, «une révélation […] de la communion ecclésiale» (Familiaris consortio, n° 21). C’est-à-dire que la communion des époux – un seul cœur, une seule âme, un seul corps, un seul projet de vie – rend visible le mystère de l’Église comme communion et, par là même, fait entrevoir le mystère de la communion trinitaire. Bref, la famille est une épiphanie du mystère de Dieu.

Évidemment, pour être à la hauteur d’une telle vocation, chacun dans la famille doit nourrir un contact personnel avec le Christ Ressuscité, source vive de l’amour et de l’unité. Chacun doit entrer résolument dans le mystère de la Pâque du Christ, car «si le grain de blé tombé en terre ne meurt pas – si je ne me décentre pas, si je n’accepte de mourir à moi-même pour que vive mon couple, ma famille – alors il reste seul, mais s’il meurt, il porte beaucoup de fruit» (Jn 12, 24) et la famille chrétienne, «avec beaucoup de puissance» peut alors «rendre témoignage à la résurrection du Seigneur Jésus.»

En s’approchant du corps glorieux du Ressuscité, Thomas confesse : «Mon Seigneur et mon Dieu». Eh bien, en s’approchant du corps mystique du Ressuscité qu’est l’Église comme communion des croyants dans l’amour, il faudrait que tout homme puisse pressentir la présence active de son Seigneur et de son Dieu.

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