Le baptême du Christ est une épiphanie, c’est-à-dire une manifestation, puisque c’est cela que signifie le mot « épiphanie ». Ce n’est pas l’Épiphanie avec un É majuscule que nous avons fêtée dimanche dernier, mais c’est une autre manifestation divine, une autre épiphanie. D’ailleurs c’est pour cela que l’on fête le baptême du Seigneur juste après l’Épiphanie et que le répertoire des chants pour ces deux fêtes se ressemblent (au moins dans la liturgie tolosane des frères prêcheurs). Le baptême du Christ est donc une épiphanie, une manifestation, mais une manifestation de quoi ? Qu’est-ce qui est manifesté aujourd’hui ? Qu’est-ce qui était caché et qui se révèle aujourd’hui en pleine lumière ?
C’est assez facile à trouver. Reprenons l’évangile entendu : il y a une voix qui dit : « Tu es mon fils », donc nous comprenons qu’il y a un père. Et cette voix vient du Ciel, donc nous comprenons que c’est le Père qui se manifeste. Mais il ne se manifeste pas seul. Nous avons déjà cité le Fils, et un troisième apparaît aujourd’hui avec le Père et le Fils (on pourrait dire comme entre le Père et le Fils), c’est l’Esprit. Il y a donc le Père et le Fils et le Saint-Esprit, c’est la Trinité qui se manifeste : le baptême du Christ est une épiphanie trinitaire. C’est pour cela d’ailleurs que le jour de la fête de la Sainte Trinité, l’icône que l’on peut mettre devant l’autel peut être soit celle de l’hospitalité d’Abraham (dite la Trinité de Roublev), soit celle que nous avons aujourd’hui avec le baptême du Christ.
Dans ce court passage, non seulement les trois sont cités, mais ils nous montrent aussi leur unité : ils se relient entre eux, ils disent ou montrent leur communion. Le Père le montre par ses paroles : non seulement « Tu es mon Fils », mais « mon Fils bien-aimé en qui j’ai toute ma faveur » (ou « en qui je trouve ma joie », ce n’est pas si facile à traduire mais c’est l’idée d’une communion profonde) ; l’Esprit le montre par son mouvement ; le Fils le montre en demeurant sous le Ciel ouvert, en obéissant au Père qui l’envoie, en faisant justement toute sa joie. Ils sont trois et ils sont un.
Donc, au baptême du Christ, la Trinité se manifeste. Mais ce n’est pas tout, allons un peu plus loin : dans cet épisode, ce n’est pas seulement la Trinité qui se manifeste, qui est révélée, mais c’est aussi la manifestation du Salut que Dieu veut nous apporter, la manifestation de la dimension trinitaire de ce Salut, la manifestation que Dieu veut nous intégrer dans la vie trinitaire.
Ce point est peut-être un peu moins évident à voir. Mais Jean le Baptiste nous éclaire. Jean le Baptiste nous annonce que va arriver quelqu’un de bien plus important que lui, qui va apporter bien plus que le baptême d’eau de Jean, quelqu’un qui va baptiser dans l’Esprit Saint, c’est-à-dire nous plonger dans l’Esprit Saint (c’est le sens du mot « baptiser » : plonger). Mais quand Jésus arrive, c’est lui qui est baptisé. Étrange : il vient pour baptiser et c’est lui qui est baptisé… Mais lors de ce baptême, ce qui se manifeste c’est qu’il est lui-même, Jésus, comme plongé dans l’Esprit Saint. Si Jésus vient plonger dans l’Esprit Saint, c’est parce qu’il l’est lui-même. Ce qu’il vient faire, sa mission qui est révélée aujourd’hui, c’est de nous rendre comme lui.
C’est d’ailleurs un refrain qui revient souvent dans le Nouveau Testament : Dieu nous parle d’être semblable à lui, ou bien, comme dans la seconde lecture d’aujourd’hui, d’être « né de Dieu », d’être enfant de Dieu, d’être des fils de Dieu. Cette filiation, cette ressemblance à laquelle le Père nous invite s’enracine dans la filiation du Verbe. La relation filiale de Jésus avec Dieu son Père est le modèle et la source d’une relation de filiation de nous avec Dieu. Parce que Jésus est Fils de Dieu, nous pouvons être fils de Dieu. Et tout cela se fait dans l’Esprit Saint.
Le baptême du Christ manifeste la Trinité et ce que la Trinité veut faire avec nous, le fait qu’elle veut nous faire participer à sa vie. Le baptême du Christ le manifeste et, de même, notre baptême a été décisif pour cela — ou sera décisif pour nos catéchumènes. Nous avons été plongés dans l’eau (ou peut-être seulement mouillés), mais l’important n’était pas cette humidité toute seule, mais surtout la parole qui l’accompagnait. Cette parole était justement une invocation de la Trinité : « Je te baptise au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit. » Fêter le baptême de Jésus nous renvoie à notre propre baptême qui a aussi été un moment où, comme pour le baptême de Jésus, la Trinité s’est manifestée au-dessus de l’eau.
Comme disait Isaïe, la parole de Dieu est féconde. Cette parole de Dieu (« Je te baptise au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit ») qui est descendue sur nous comme une pluie ou de la neige a fécondé notre vie, a déposé la vie divine en nous. Depuis ce jour, nous sommes vraiment des fils et des filles bien-aimés de Dieu. Depuis ce jour, le Ciel s’est ouvert et l’Esprit a reposé sur nous.
C’est cet Esprit Saint qui doit, si on le laisse bien travailler, nous faire ressembler à Dieu par nos actions. Cet Esprit vient pour que nous ayons comme un « esprit de famille » commun avec la Trinité. Quand cela s’accomplit, alors la parole de Dieu prononcée sur nous revient à Dieu en ayant produit son fruit, en ayant accompli sa mission.
Les fils bien-aimés que nous sommes sont faits pour être des fils bien-aimants. C’est cela accomplir les commandements du Seigneur puisque le plus grand de tous est l’amour. Puisque c’est ce que Dieu veut, vivons donc cette vie trinitaire, trouvons notre place de fils et filles du Père en agissant suivant l’Esprit.