Homélie du 7 novembre 1999 - 32e DO

« Une lampe à la main, sur le chemin d’en-bas »

par

fr. Jean-Michel Maldamé

        Jésus parlait de sa venue. Il disait cette parabole: «Le Royaume des cieux est comparable à dix jeunes filles invitées à des noces, qui prirent leur lampe et s’en allèrent à la rencontre de l’époux. […] Les prévoyantes prirent de l’huile en réserve, pas les autres […] Au milieu de la nuit un cri se fit entendre: «Voici l’époux qui vient! Allez à sa rencontre». Elles se réveillèrent et préparèrent leur lampe. Celles des imprévoyantes s’éteignirent. Elles allèrent chercher de l’huile et arrivèrent quand la porte était fermée. […] Veillez donc; vous ne savez ni le jour ni l’heure» (Mt 25, 1-13).

 

        Des jeunes filles dans le noir! Elles attendent une lampe à la main. Il serait vain d’identifier ces jeunes filles avec les demoiselles d’honneur de nos mariages, tant les rites évoqués dans la parabole sont différents des nôtres. Par contre, il n’est pas vain de reconnaître la force portée par l’image de ces jeunes filles qui attendent dehors, dans le noir. Elles représentent l’Humanité qui se tient hors du bonheur espéré et privé de joie. Ces jeunes filles représentent aussi l’Église parce qu’elles ont en main la lampe à la flamme précaire et fragile. Fragile à cause du vent qui peut en éteindre la flamme; précaire parce que le temps qui passe peut épuiser les réserves.

– I –

        Oui, nous pouvons nous reconnaître en elles. Nous qui avons vive conscience que nous ne sommes pas encore dans la salle des noces, c’est-à-dire loin du bonheur, de la chaleur et de la joie. Nous sommes à la peine. Mais si nous sommes là, c’est que nous avons la lampe que Dieu nous a confiée. Cette lampe allumée c’est notre foi. La chaleur qui en rayonne est l’amour que nous portons à Dieu, à nous-même et à ceux qui ont été placés sur notre route et dont nous sommes responsables. La lumière qui rayonne de la lampe est l’espérance qui éclaire notre route.

        Une lampe à la main, nous avançons dans le temps marqué par l’inévidence. Nous sommes sur le chemin et nous savons bien que nous sommes de notre temps et que nous partageons les grandeurs et les misères. Aussi notre chemin n’est pas idéal; il n’est pas la mise en oeuvre aisée et assurée de ce qui est écrit dans les livres de morale ou les traités de spiritualité. Nous ne sommes pas sur ces hauteurs; nous sommes sur le chemin d’en-bas.

– II –

        Il convient de dire «le chemin d’en-bas», parce que nous participons d’un monde déchiré et morcelé. Nous avons connu des échecs; nous savons qu’il y a à l’intime de nous-même des incertitudes et des hésitations. Nous avons appris que la perfection rêvée comme la sublimité de l’âme ne sont pas notre lot, car notre cœur est habité par des tensions et des désirs contradictoires. Mais il y a cette lampe en nos mains, cette lumière dans le cœur qui nous donne la liberté et nous arrache au vertige de la destruction.

        Il y a sur notre route place pour la joie. Mais cette joie est toujours marquée par les soucis: souci de l’avenir pour notre santé et notre travail. Il y a le souci de nos parents âgés, de nos enfants qui grandissent, de nos amis qui sont malades. Notre chemin est celui d’en bas, parce que nous avons connu l’humiliation et y avons appris la modestie.

        Il y a la chaleur et la lumière de la lampe que Dieu a mise dans nos mains: l’amour auquel nous ne saurions renoncer. Nous les gardons précieusement dans tous les actes quotidiens que l’amour implique. Cette lumière nous permet d’avancer sur un chemin non tracé. Nous l’improvisons à travers les éboulements, mais nous avançons sans renoncer à ce qui nous attache à la vie: l’amour plus fidèle que la mort. Aussi lorsqu’à nos réunions de familles prennent place à notre table ceux qui ont connu l’échec, l’errance, le divorce nous les aimons d’un amour plus prévenant. Lorsque nous voyons les jeunes vivre ce que nous ne saurions accepter pour nous-même et qui nous heurte, nous ne cessons de les aimer. Ce serait éteindre la flamme qui fait l’humanité humaine, déserter le combat ou s’enfermer dans un esprit de secte. Pourrions-nous éteindre l’amour qui fait notre dignité et notre raison d’être?

        Cette flamme nous la gardons aussi et surtout quand nous sommes dans une situation inextricable.

– III –

        Or voici! Sur ce chemin nous découvrons que nous ne sommes pas seuls. Quelqu’un marche avec nous. Il a pris place à la table des pécheurs. Il s’est invité chez Zachée le publicain. Il s’est laissé toucher et parfumer par la femme considérée comme pécheresse et l’impure. Il est allé au devant des lépreux. Il a parlé aux déments, aux furieux et autres démoniaques. Il a connu l’exil. Il a connu l’exclusion. Il a été en prison. Il fut couronné d’épines et a porté la croix d’infamie. Nous découvrons qu’il est avec nous sur le chemin d’en-bas.

        C’est lui qui nous parle au long de la route. C’est lui qui est la source de la flamme qui éclaire notre route. C’est lui qui fait de notre chemin d’humanité douloureuse un chemin de vie.

        Mais sa parole n’est pas complaisante, comme le montre l’abrupt de la fin de la parabole. Ce n’est pas parce que nous sommes dans le noir qu’il faut en devenir complice et laisser s’épuiser nos réserves quand le temps se fait long.

– IV –

        Je disais à l’instant que la lampe – chaleur et flamme – qui est entre nos mains vient de Dieu et qu’il nous donne l’énergie nécessaire. Comment nous advient-elle? De mille et une manières selon sa liberté, mais tout particulièrement de la manière qui est notre maintenant: dans le sacrement qui nous donne part à son corps et à son sang. Corps livré, sang versé. Le réalisme sacrificiel de l’eucharistie nous dit de quel amour Dieu nous a aimés et comment il s’est donné à nous.

        Le geste de la communion est beau et plein de sens quand il est bien fait. Nous venons recevoir le sacrement du corps et du sang et il convient de le faire sans arrogance et sans suffisance; il faut le faire avec gravité et respect. Ainsi pour recevoir le pain de vie – la chair de Dieu – la main se tend et se creuse. C’est le geste du mendiant! C’est surtout le geste de l’enfant qui reçoit dans la confiance ce que lui donne son père quand il tend la main pour recevoir tout à la fois librement et avec reconnaissance. De même, nous communions au sacrement du sang. Nous ne buvons pas du sang humain – ce serait l’horreur – mais nous recevons le sacrement de la vie donnée avec son réalisme. Le geste est grave parce que la parole qui nous présente le vin consacré est celle de l’amour sans réserve.

       Lorsque nous disons «Amen!» à celui qui nous présente le sacrement du corps et du sang du Seigneur ressuscité, nous ravivons la flamme de la foi; nous renouvelons notre réserve d’énergie pour aller de l’avant, plus fort, plus libre et mieux assuré sur le chemin où l’Esprit nous guide. Nous allons vers le Père qui nous appelle à entrer dans la salle des fêtes quand toutes choses seront accomplies, au delà du prévisible.

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