Homélie du 2 mars 2022 - Mercredi des Cendres

Unir notre cœur au Père

par

fr. François Le Hégaret

« Nous attendions la paix, et rien de bon ! le temps du remède, et voici l’épouvante ! » (Jr 14, 19b).

Voilà déjà deux ans que notre entrée en Carême est perturbée. Nous devions alors faire face à cet ennemi microscopique qui a attaqué non seulement la santé de plusieurs de nos concitoyens, mais aussi mis à mal les relations simples et amicales que nous pouvions partager. Et pour la troisième année, un autre ennemi, pour l’instant plus distant, mais plus gros aussi (celui-ci est visible même par image satellite) vient se rappeler à notre Europe. Le cri du prophète Jérémie peut ainsi tout à fait convenir à notre actualité. Mais attention ! Jérémie ne voulait pas qu’Israël se trompe d’adversaire.

Car si pour le prophète le malheur était bien visible extérieurement, qu’il avait pour origine les Babyloniens ou la destruction des récoltes, il manifestait en premier lieu le propre désordre du cœur de chaque habitant de Jérusalem, de chaque homme. Aussi Jérémie poursuit en disant : « Seigneur, nous connaissons notre mal, la faute de nos pères : oui nous avons péché contre toi ! » (Jr 14, 20). Sans une guérison du cœur, sans une lutte contre le péché qui l’habite, aucun repos durable, aucune paix stable n’est possible.

C’est pour guérir notre cœur que l’Écriture nous donne trois remèdes : l’aumône, la prière et le jeûne. C’est ce traitement que nous donne l’Église à chaque carême et que nous avons besoin aujourd’hui. Vous avez d’ailleurs peut-être entendu cet appel du pape à prier et à jeûner pour la paix. Mais en quoi ces remèdes peuvent-ils apporter une solution ? Ne sont-ils pas dérisoires ? Ne va-t-on pas nous traiter d’idéalistes si nous ne proposons pas d’abord une action plus musclée ? Le Christ nous répond dans l’évangile d’aujourd’hui, et il donne raison en partie à ceux qui mettent en doute leur efficacité. En eux-mêmes, l’aumône, la prière et le jeûne ne peuvent rien. Les hypocrites, qui les pratiquent pour « bien se montrer aux hommes », pour en obtenir une certaine gloire, en ont déjà tiré tous les bénéfices qu’ils pouvaient en attendre, et il ne leur sera rien donné de plus comme récompense. Donc si nous les pratiquons de cette manière, ces remèdes n’auront aucun effet. Certes, nous ne sommes plus au temps de Jésus, et aujourd’hui en France, il serait plutôt mal vu de faire de tels actes en public. On va encore accuser les catholiques d’attaquer la laïcité. Mais on peut élargir la réponse de Jésus. Si nous jeûnons parce que nous voulons maigrir ou être plus performants dans notre travail, si nous pratiquons la « méditation transcendantale » pour être plus en harmonie avec notre entourage… alors nous avons, nous aussi, déjà obtenu notre récompense.

Le Christ nous invite, par contre, à pratiquer aumône, prière et jeûne « dans le secret », ce qui ne veut pas dire en cachette, mais que cela ne soit visible que du Père. Et pourquoi visible que du Père ? Pour que cela soit l’occasion d’unir notre cœur au Père. L’hypocrite lui ne le peut pas, car ce qu’il recherche, c’est autre chose que Dieu. Il se regarde lui-même, il n’a d’yeux que pour lui, même autrui n’est qu’un moyen pour valoriser sa propre image. Mais celui qui va les pratiquer avec un cœur simple va agir directement pour s’unir à Dieu.

Premier remède : l’aumône. Si, par l’aumône, nous sommes appelés à soulager les misères d’autrui, le Christ nous invite particulièrement à agir sans calcul : « Que ta main gauche ignore ce que fait ta main droite » (Mt 6, 3). Celui qui agit en vue de Dieu sait que Dieu collabore en tout pour le bien de ceux qui l’aiment (cf. Rm 8, 28). L’aumône manifeste ainsi notre confiance dans la providence de Dieu ; elle nous fait agir comme Dieu, qui répand largement sur nous ses dons. Par l’aumône, nous manifestons alors la sollicitude du Père à l’égard de tous, quels qu’ils soient, sans jugement préalable.

Deuxième remède : la prière (plus particulièrement ici, l’attitude de prière). Et Jésus nous dit : « Retire-toi dans ta chambre, ferme sur toi la porte, et prie ton Père qui est là » (Mt 6, 6) ; le Christ nous appelle à n’être qu’un avec Dieu, sans se laisser gêner par l’agitation extérieure (il va peut-être être utile d’éteindre la télé de la chambre !). Et remarquez que, dans la chambre, le Père nous a précédés : il est là pour nous, et pour nous seuls. Dans la prière, il nous est ainsi manifesté l’amour unique et privilégié du Père quel que soit notre situation.

Troisième remède : le jeûne. Étonnement, le Christ nous appelle ici à, dit-il, « se parfumer la tête et laver son visage » (Mt 6, 17), un peu à l’image de la fiancée du Cantique des cantiques qui se prépare pour son époux. Le jeûne est décrit ainsi comme une préparation, un moyen pour faire grandir la charité, pour parvenir plus tard à l’union avec le Père. Par le jeûne, nous nous détachons de nos besoins les plus fondamentaux, les plus naturels ; nous nous détachons de la part obscure de nous-mêmes, pour laisser la place à la charité.

La paix véritable passe par notre cœur. Si lui n’est pas en paix, nous ne pourrons jamais être des artisans de paix. Prenons donc appui sur la Parole de Dieu, sur les moyens qu’elle nous donne, pour parvenir à cette paix véritable qui ne peut venir que de Dieu. Le monde en a besoin.