Le diaire des Jacobins du 23 avril 2020
Le fortifiant spirituel pour temps d’épidémie
Dosage quotidien
L’espérance aux reins ceints
Adiutorium nostrum in nomine Domini, qui fecit caelum et terram
Parmi les passions qui soulèvent le cœur de l’homme, l’espoir est celle qui lui fait aspirer aux entreprises difficiles. À ne considérer que ce mouvement de l’âme, inaperçu de tous nos instruments de mesure et d’imagerie médicale, il semblerait que l’espoir ne soit rien, qu’il ne pèse rien à l’échelle de l’univers ou même à l’échelle d’une colline.
Tout cela, c’est l’espoir du cœur de l’homme qui l’a fait. Espoir insatiable, espoir consumant l’âme. Et cela est normal, car l’espoir de l’homme est fait pour espérer rien moins que Dieu, et lorsqu’il vient à s’appliquer à la conquête du monde, un petit morceau du monde ne suffit pas, et le monde lui-même ne suffit pas. Mais regardez les fruits de ces espoirs : car aussi gigantesques et herculéennes soient-elles, les entreprises humaines ne pourront jamais apporter ce qu’elles promettent. Toutes sont transitoires, l’épidémie va se charger de nous le montrer ; toutes sont atteintes aux prix de compromissions terribles avec le mal ; toutes s’achèvent dans la poussière.
Voilà la rançon des espoirs que l’homme met dans ses propres forces. L’espoir humain lui sert à conquérir ce qui est à sa mesure, jusqu’à penser que le monde est à sa mesure, mais l’espoir humain ne peut conquérir ce qui le rassasiera. Il lui faut le recevoir, l’hériter de Dieu lui-même.
Textes commentés
Écriture sainte
1 P 1, 3-9.13
Béni soit Dieu, le Père de notre Seigneur Jésus-Christ, lui qui par l’abondance de sa miséricorde nous a fait renaître pour une vivante espérance par la résurrection de Jésus-Christ d’entre les morts, pour un héritage incorruptible, immarcescible et sans flétrissure, conservé pour nous dans les cieux, nous qui sommes sous la garde de la puissance de Dieu par la foi, en vue d’un salut tout prêt à se dévoiler au temps dernier. Réjouissez-vous en lui, même s’il faut traverser les chagrins d’épreuves diverses, afin que votre foi, passée par la probation, plus précieuse que l’or périssable que l’on éprouve par le feu, soit trouvée pour votre louange, gloire, honneur lors de l’Apocalypse de Jésus-Christ. C’est lui que vous aimez sans le voir, lui en qui vous croyez jusqu’à présent sans le voir : aussi exultez-vous d’une joie ineffable et glorieuse, vous disposant à recevoir le terme de la foi : le salut de vos âmes. […] C’est pourquoi, les reins de votre esprit étant ceints, veillez, espérez jusqu’au bout la joie qui doit vous arriver lors de l’Apocalypse de Jésus-Christ.
Jacques Bénigne Bossuet
Méditations sur l’Évangile, « La Cène », P. I, 2e jour
On sait que le mot de Pâque signifie passage. Une des raisons de ce nom, qui est aussi celle que saint Jean regarde en ce lieu, c’est que la fête de Pâque fut instituée lorsque l’ancien peuple devait sortir de l’Égypte, pour passer à la terre promise à leurs pères ; ce qui était la figure du passage que devait faire le peuple nouveau de la terre à la céleste patrie. Toute la vie chrétienne consiste à bien faire ce passage ; et c’est à quoi Notre-Seigneur va diriger plus que jamais toute sa conduite, ainsi que saint Jean semble ici nous en avertir. La première chose que nous devons remarquer, c’est que nous devons faire cette Pâque ou ce passage avec Jésus-Christ. […]
Ô Jésus, je me présente à vous, pour faire ma pâque en votre compagnie : je veux passer avec vous du monde à votre Père, que vous avez voulu qui fût le mien : Le monde passe dit votre Apôtre : la figure de ce monde passe, mais je ne veux point passer avec le monde, je veux passer à votre Père. C’est le voyage que j’ai à faire : je le veux faire avec vous. Dans l’ancienne pâque, les Juifs qui devaient sortir de l’Égypte pour passer à la terre promise devaient paraître en habit de voyageur : le bâton à la main, une ceinture sur les reins, afin de relever leurs habits, leurs souliers mis à leurs pieds, toujours prêts à aller et à partir ; et ils devaient se dépêcher de manger la pâque afin que rien ne les retînt et qu’ils se tinssent prêts à marcher à chaque moment. C’est la figure de l’état où se doit mettre le chrétien pour faire sa pâque avec Jésus-Christ, pour passer à son Père avec lui. Ô mon Sauveur, recevez votre voyageur, me voilà prêt : je ne tiens à rien : je veux passer avec vous de ce monde à votre Père.
D’où me vient ce regret de passer ? Quoi ! Je suis encore attaché à cette vie ! Quelle erreur me retient dans ce lieu d’exil ? Vous allez passer, mon Sauveur ; et résolu que j’étais de passer avec vous, quand on me dit que c’est tout de bon qu’il faut passer, je me trouble, je ne puis supporter ni entendre cette parole. Lâche voyageur, que crains-tu ? Le passage que tu vas faire est celui que le Sauveur va faire aussi dans notre Évangile : craindras-tu de passer avec lui ? […]
Passons donc de ce monde avec joie : mais n’attendons pas le dernier moment, pour commencer notre passage. Lorsque les Israélites sortirent d’Égypte, ils ne devaient pas arriver d’abord à la terre promise : ils avaient quarante ans à voyager dans le désert : ils célébraient néanmoins leur pâque, parce qu’ils sortaient de l’Égypte et qu’ils allaient commencer leur voyage. Apprenons à célébrer notre Pâque dès le premier pas : que notre passage soit perpétuel : ne nous arrêtons jamais : ne demeurons point, mais campons partout à l’exemple des Israélites : que tout nous soit un désert, ainsi qu’à eux : soyons comme eux toujours sous des tentes : notre maison est ailleurs : marchons, marchons, marchons ; passons avec Jésus-Christ ; mourons au monde : mourons tous les jours : disons avec l’Apôtre : Je meurs tous les jours : je ne suis pas du monde : je passe : je ne tiens à rien.
Saint Ambroise de Milan
Sur saint Luc, Livre II
« L’espérance de l’Église »
La mère des vivants, c’est donc l’Église que Dieu a construite ayant pour pierre d’angle le Christ Jésus lui-même, en qui tout l’édifice est appareillé et s’élève pour former un temple (Ep 2, 20). […] Maintenant encore [l’Église] se construit, maintenant encore elle se forme, maintenant encore [elle] est façonnée, maintenant encore elle est créée. Aussi l’Écriture a-t-elle usé d’une expression nouvelle, que nous sommes surélevés sur le fondement des Apôtres et des prophètes (Ep 2, 20). Maintenant encore la maison spirituelle s’élève pour un sacerdoce saint (1 P 2, 5). Venez, Seigneur Dieu, […] construisez la cité. […] Voici la demeure spirituelle, voici la cité qui vit à jamais, car elle ne saurait mourir : c’est bien elle la cité de Jérusalem, que maintenant l’on voit sur terre mais qui sera transportée au-dessus d’Élie ? … [Car] elle est aimée du Christ comme étant glorieuse, sainte, sans tache, sans ride (Ep 5, 27). […] Telle est, en effet, l’espérance de l’Église : elle sera certainement emportée, enlevée, transportée au ciel. Voyez : Élie fut emporté sur un char de feu, l’Église sera emportée. Vous ne me croyez pas ? Croyez-en du moins Paul, en qui le Christ a parlé : « Nous serons emportés, dit-il, sur les nuées au-devant du Christ dans les airs ; et de la sorte nous serons pour toujours avec le Seigneur » (1 Th 4, 17). Pour la construire donc, beaucoup sont envoyés : envoyés les patriarches, envoyés les prophètes, envoyé l’archange Gabriel ; d’innombrables anges y sont appliqués, et la multitude de l’armée céleste loue Dieu parce que la construction de cette cité se faisait proche. Beaucoup y sont envoyés, mais le Christ seul la construit ; pourtant il n’est pas seul, parce que le Père est présent ; et s’il est seul à construire, iI ne revendique pas pour lui seul le mérite d’une telle construction. Il est écrit du temple de Dieu que construisit Salomon, et qui figurait l’Église, qu’ils étaient soixante-dix mille à transporter sur leurs épaules et quatre-vingt mille tailleurs de pierres (2 S 3). Que ces anges viennent, que viennent les tailleurs de pierres, qu’ils taillent le superflu de nos pierres, qu’ils en polissent les aspérités ; que viennent aussi ceux qui portent sur les épaules ; car il est écrit : « On les portera sur les épaules » (Is 49, 22).
Sur saint Luc, Livre VII
Connaître […] le Christ, c’est la vie éternelle (cf. Jn 17, 3), qui est maintenant à la portée des justes sous les ombres, mais dans l’avenir sera face à face […]. À l’ombre de ses ailes David a espéré (Ps 56, 2) ; l’Église a désiré son ombre et s’y est assise (Ct 2, 3). Si votre ombre, Seigneur Jésus, est si profitable, que nous donnera votre réalité ! Comme nous vivrons, quand nous ne serons plus dans l’ombre, mais dans la vie même ! Car à présent « notre vie est cachée avec le Christ en Dieu ; mais lorsque paraîtra le Christ, notre vie, alors, est-il dit, nous aussi apparaîtrons avec lui dans la gloire » (Col 3, 3). Aimable est cette vie-là, qui ne connaît pas la mort ; car cette vie corporelle connaît la mort par destin naturel […]. Souvent aussi l’âme même connaît la mort par la souillure du péché car « l’âme pécheresse mourra » (Ez 18, 4) ; mais lorsque, fortifiée et affermie par la béatitude, elle commencera de n’être plus sujette au péché, elle ne sera plus mortelle, mais récoltera la vie éternelle.
Saint Thomas d’Aquin
Sur Rm 5, 2
Rm 5, 2 : L’espérance de la gloire de Dieu.
Commentaire — L’espérance est inscrite en nous par le Christ. […] Et cette gloire, qui sera achevée en nous à l’avenir, entretemps, elle est commencée maintenant en nous par l’espérance.
Sur Mt 19, 28 (voir aussi sur Mt 17, 5)
Mt 19, 28 : Je vous le dis à vous qui m’avez suivi : dans la régénération, quand le Fils de l’homme siégera sur son trône de gloire, vous siégerez vous aussi sur douze trônes, pour juger les douze tribus d’Israël.
Commentaire — Il y a une double régénération. L’une est la régénération de l’esprit, et elle arrive par la grâce dans le baptême. C’est celle dont parle 1 P 1, 3 : Il nous a régénérés dans une espérance vivante. Il y a aussi la régénération du corps. Car de même que l’esprit est régénéré par la grâce, de même dans la résurrection, il ressuscitera nos corps. Ph 3, 21 : Il reformera le corps de notre humilité en le configurant à son corps de gloire.
Sur Ga 4, 26
Ga 4, 26 : La Jérusalem d’en-haut est libre, et elle est notre mère.
Commentaire — Cela peut s’entendre de deux manières, car nous pouvons voir dans cette mère, soit celle par laquelle nous sommes engendrés, qui est l’Église combattante, soit cette mère en laquelle nous sommes engendrés comme des fils, qui est l’Église du triomphe. 1 P 1, 3 : Il nous a régénérés dans une espérance vivante. Ainsi donc, nous sommes engendrés dans le présent par l’Église combattante, pour accéder à celle du triomphe. [… Et cette mère est située en-haut], elle est donc sublime par la vision à découvert de Dieu, par la fruition parfaite de Dieu, pour ce qui concerne l’Église du triomphe […]. Et elle est sublime par la foi et l’espérance pour ce qui concerne l’Église combattante. Ph 3, 20 : Notre manière de vivre (conversatio) est dans les cieux.
Compendium theologiae, II, cap. 4
Ceux qui ont été faits des fils peuvent légitimement espérer un héritage, comme le rappelle Rm 8, 17 : Si vous êtes fils, vous êtes héritiers. C’est pourquoi par cette nouvelle naissance [celle de la grâce], il revient à l’homme d’avoir une espérance plus haute, qui attend plus de Dieu : l’espérance d’obtenir un héritage éternel, comme l’exprime 1 P 1, 3 : Il nous a régénérés dans une espérance vivante par la résurrection du Christ d’entre les morts, pour un héritage incorruptible, sans souillure et immarcescible, conservé dans les cieux. Ainsi, par l’esprit d’adoption que nous avons reçu nous nous écrions : Abba, Père, comme le dit Rm 8, 15. C’est pourquoi le Seigneur nous a montré la manière de prier qui naît de cette espérance, lorsqu’il a commencé sa prière par l’invocation du Père en disant : Père.