Le diaire des Jacobins

Sonnerie pour espérer : 25 mars

Le diaire des Jacobins du 25 mars 2020

Le fortifiant spirituel pour temps d’épidémie

Dosage quotidien

 

Entre vanité et désir

 

Adiutorium nostrum in nomine Domini, qui fecit caelum et terram

 

L’Annonciation ce 25 mars 2020. Étrange fête ! L’annonce d’un ange se mêle aux points-presse gouvernementaux. Une vie nouvelle est conçue au milieu des urgences médicales. La Vierge Marie est exposée à l’Esprit invisible alors que nous nous protégeons d’un ennemi invisible. Marie accueille le Fils de Dieu pendant que nous essayons de barrer l’accès au virus. L’Annonciation à l’opposé de la contamination. L’incarnation à l’inverse de l’infection.

Il y a là matière à réflexion. D’abord parce qu’il y a un télescopage entre l’Annonciation et l’épidémie, le télescopage de la vie et de la maladie, de l’engendrement et de la mort. Nous voilà revenus à cette grande énigme humaine qui, de tous temps, à retenu l’attention des plus désabusés d’entre nous. À quoi sert-il de vivre si c’est pour mourir ? À quoi sert-il de se dépenser si c’est pour disparaître ? Cette antique musique a pris aujourd’hui de nouveaux accents. On nous répète que nous ne sommes qu’un amas de cellules, une usine chimique aussi absurde qu’elle est complexe ; on ne parle plus d’âme car ce serait invoquer un principe spirituel, on ne parle plus que de cerveau ; on pense que l’intelligence est un réseau de neurones, et que le libre-arbitre ou la conscience ne sont qu’un fruit de nos déterminismes biologiques et de notre histoire. Mais si tout cela est vrai, si notre vie n’est qu’une agitation de molécule à la surface du vide, pourquoi nous mobilisons-nous pour contrer l’épidémie ? Pourquoi mettons-nous toute une société à l’arrêt, pourquoi ces hôpitaux, pourquoi ces médecins et ces infirmiers prenant le risque de contracter la maladie pour garder en vie ce qui n’est rien ? Comme si, instinctivement, nous ne nous résolvions pas à n’être rien. Il est confortable de jouer les nihilistes quand tout va bien, il est aisé de se poser en sceptique entre deux repas. Mais que vienne le coronavirus et nous redevenons humains, nous retrouvons l’attachement à la vie, la nôtre ou celle de nos proches, nous ne finassons plus pour refuser le néant. Oui, il vaut la peine de vivre, même quand on ne sait plus pourquoi on vit. Mais, précisément, n’est-ce pas là que nous rejoint l’Annonciation. Si Dieu envoie son Fils dans notre chair, c’est peut-être que notre chair vaut plus que nos atomes, que notre vie a plus de prix que nous-mêmes le pensons. Approchons-nous donc de la Vierge Marie, et apprenons pourquoi nous vivons, et surtout pour quoi…

Textes commentés

Écriture sainte

Qohélet (Eccl) 1, 2-9.16-17 : Vanité des vanités

Vanité des vanités dit l’Ecclésiaste, Vanité des vanités Tout est vanité Quel profit pour l’homme de toute la peine dont il peine sous le soleil ? Une génération vient, une génération s’en va — Et la terre subsiste pour toujours — Le soleil se lève, le soleil se couche — Il tend vers son lieu — Il se lève, voilà, il est là ! Il va vers le sud, et tourne vers le nord — Il tourne et retourne, le vent — dans ses tourbillons il retourne à son lieu, le vent — Les torrents s’écoulent vers la mer, et la mer n’est pas remplie — Vers le lieu où les torrents s’écoulent, là ils retournent. — Tous les mots s’usent, un homme ne peut plus les dire — L’œil ne se rassasie pas de voir, ni l’oreille ne se lasse d’entendre — Ce qui fut, c’est ce qui sera, ce qui s’est produit, c’est ce qui se produira. — Il n’y a rien de nouveau sous le soleil […]. — J’ai dit à mon cœur : « Voici, j’ai accru et augmenté la sagesse; plus que tous ceux qui furent avant moi à Jérusalem, mon cœur a vu s’accroître la sagesse et la connaissance; j’ai livré mon cœur à connaître la sagesse, à connaître la folie et la sottise; et j’ai su que cela aussi était Désir de l’esprit. »

Saint Augustin

Confessions 13, 9, 10 (trad. E. Tréhorel et G. Bouissou)

Le poids ne va pas forcément en bas mais au lieu propre. Le feu tend vers le haut, la pierre vers le bas : ils sont menés par leur poids, ils s’en vont à leur lieu. L’huile versée sous l’eau s’élève au-dessus de l’eau ; l’eau versée sur l’huile s’enfonce au-dessous de l’huile, ils sont menés par leur poids, ils s’en vont à leur lieu. S’il n’est pas à sa place, un être est sans repos, qu’on le mette à sa place et il est en repos. Mon poids, c’est mon amour; c’est lui qui m’emporte où qu’il m’emporte.

Confessions 13, 7

L’Esprit était porté au-dessus des eaux (cf. Gn 1, 2). À qui dire, comment dire le poids de la convoitise qui entraîne au précipice de l’abîme, et le relèvement qu’opère la charité par ton Esprit qui était porté au-dessus des eaux ? À qui le dire ? Comment le dire ? Car il n’est pas question d’espaces où nous soyons immergés et d’où nous émergions. Quoi de plus ressemblant et quoi de plus dissemblant ? Il s’agit de sentiments, il s’agit d’amours : l’impureté de notre esprit nous fait sombrer en bas par amour des soucis, et la sainteté du tien nous relève en haut par amour de la sécurité, afin que nous tenions le cœur haut (Col 3, 1-2) vers toi, là où ton Esprit est porté au-dessus des eaux, et que nous parvenions au repos suréminent, quand notre âme aura traversé les eaux qui sont sans substance (Ps 123, 5).

Saint Thomas d’Aquin

Sur Job 3, 23 : « Pourquoi donner à l’homme la lumière et la vie, lui dont le chemin est caché et que Dieu environne de ténèbres ? »

Commentaire — Le chemin de l’homme est caché parce qu’il ne sait pas d’où provient sa situation présente de prospérité, comme le rappelle Pv 14, 13 : dans le rire, même le cœur trouve la peine, et la joie s’achève en chagrin. De même Jr 10, 23 : la voie des humains n’est pas en leur pouvoir, et il n’est pas donné à l’homme de diriger ses pas. Ou encore Eccl 7, 1 [6, 12] : quelle nécessité pousse donc l’homme à chercher pour lui de grandes choses alors qu’il ignore ce qui lui sera utile pour sa vie ? Et qui peut indiquer ce qui arrivera ici-bas après lui ? Job continue en expliquant en quoi le chemin de l’homme est caché, lorsqu’il dit : Dieu l’environne de ténèbres. Ce qui est manifeste à plusieurs titres. Il y a d’abord ce qui vient avant et ce qui vient après, comme le rappelle Eccl 8, 6 [8, 7] : grand est le tourment de l’homme car il ignore ce qui n’est plus, et ce qui vient, nul ne peut savoir quand cela arrivera. Il y a aussi ce qui est à côté de nous, à savoir les hommes, comme le dit 1Co 2, 11 : qui sait les secrets de l’homme sinon l’esprit de l’homme qui est en lui ? Il y a encore ce qui est au-dessus, comme le rappelle 1Tm 6, 16 : Dieu qui habite une lumière inaccessible, qu’aucun homme ne voit ni ne peut voir. Et le Ps 17, 12 : il fit des ténèbres son voile. Il y a enfin, ce qui est en-dessous, Eccl 1, 8 dit en effet : toutes ces choses difficiles, l’homme ne peut les expliquer par la parole. Job dit donc que Dieu entoure l’homme de ténèbres parce que Dieu lui a accordé une intelligence telle que tout ce qu’on vient d’énumérer, l’homme ne peut le connaître.

In II Sent., Prol. : « Vers le lieu dont ils sont sortis, les fleuves s’en retournent pour qu’à nouveau ils s’écoulent (Qo 1, 7 Vulg.)

Nous pouvons entendre deux choses dans ces paroles, […] à savoir le mystère de l’incarnation divine, et son fruit abondant. Le mystère de l’incarnation est suggéré par ce retour des fleuves, lorsqu’il est dit : « vers le lieu dont ils sont sortis les fleuves s’en retournent ». Et le fruit de l’incarnation est signifié dans la répétition du flux, lorsqu’il est dit : « pour qu’à nouveau ils s’écoulent ». Ces fleuves ce sont les bienfaits naturels que Dieu fait couler dans les créatures, comme être, vivre, connaître et toutes choses semblables […] Et le lieu d’où ces fleuves s’échappent, c’est Dieu lui-même. […] Ces fleuves, on les trouve individuellement dans les autres créatures ; mais dans l’homme ils apparaissent comme confluents. Car l’homme est une sorte d’horizon et de limite commune de la nature spirituelle et de la nature corporelle, comme un milieu entre elles puisqu’il participe aux bienfaits corporels et spirituels. […] C’est pourquoi lorsque la nature humaine est ajointée à Dieu par le mystère de l’incarnation, tous les fleuves des bienfaits naturels sont ramenés à leur principe, en sorte que l’on peut dire ce qu’on lit en Jos 4, 17 : « Les eaux sont retournées dans leur lit, et elles s’écoulaient comme avant ». D’où ce qui suit : « pour qu’à nouveau ils s’écoulent ». Là, c’est le fruit de l’incarnation qui est indiqué : Dieu lui-même, qui avait fait s’écouler de lui les biens naturels, les ayant comme tous ramenés par l’assomption de la nature humaine en lui-même, et non pas seulement comme Dieu, mais comme Dieu et homme, il fait s’écouler abondamment sur les hommes des flots de grâce. Car « c’est de sa plénitude que nous avons reçus, grâce pour grâce » (Jn 1, 16).

Dominicains de Toulouse
fr. Alain Quilici