Le diaire des Jacobins du 20 mars 2020
Le fortifiant spirituel pour temps d’épidémie
Dosage quotidien
Diaire 2 sur Isaïe 28, 14-19
Le 20 mars, 3e vendredi du Carême de l’an 2020 après le Christ.
Adiutorium nostrum in nomine Domini, qui fecit caelum et terram
Hier, nous avions écouté Dieu nous parler par la voix du prophète Isaïe, au chapitre 28. Isaïe nous décrivait des élites religieuses en pleine ébriété, échappant à leur responsabilité dans les beuveries et les festins, titubant entre des tables souillées par leurs vomissements, prenant des décisions ou prononçant des jugements à tort et à travers, guidées par la cupidité et le mensonge. Isaïe annonçait leur effondrement prochain, que mille périls allaient les assaillir et les détruire, et qu’ils recevraient ainsi le châtiment divin mérité par leur conduite.
Dans ce tableau effroyable, nous avions reconnu le chemin du vain espoir qui conduit à la perte. L’homme refuse l’espérance qui lui est offerte par Dieu de s’enivrer des biens du ciel, de laisser sa raison être irriguée par la sagesse divine qui excède toute raison et tout désir. Aussi l’homme, ne pouvant plus apaiser son désir, se tourne-t-il vers des ivresses qui l’abrutissent au lieu de le ravir, vers des paradis artificiels qui l’avilissent et le délivrent du souci de diriger sa vie selon sa raison et sa liberté. Ces drogues aux multiples formes, qui vont des alcools forts à l’héroïne, de la consommation frénétique aux fêtes continuelles, des espoirs infinis placés dans la technique à tous les comportements addictifs, ces drogues, donc, sont incapables de rassasier sinon pour le petit moment d’abrutissement qu’elles procurent. Il faut rapprocher les prises, augmenter les doses, jusqu’à l’effondrement final. L’alternative est claire : l’espérance en Dieu où l’homme trouve son accomplissement, ou bien la fuite dans les vains espoirs où l’homme se déshumanise fatalement. Les sociétés qui cultivent les vains espoirs sont ainsi promises à l’écroulement, comme une bulle financière qui gonfle par la déraison et qui éclate pour s’être enivrée avec du vide, avec un argent qui n’est que fausse monnaie.
Du couvent saint Thomas d’Aquin des frères Prêcheurs à Toulouse, le 20 mars de l’an de grâce 2020. — Montage : Bernard Morin.
Texte commenté : Is 28, 14-19 (LXX)
« C’est pourquoi, écoutez la parole du Seigneur, hommes en proie à la tribulation, chefs du peuple qui êtes à Jérusalem. Parce que vous avez dit : « Nous avons fait alliance avec l’Hadès, un contrat avec la mort ; la tourmente, quand elle s’abattra, ne viendra certainement pas sur nous, nous avons établi que le mensonge serait notre espoir, nous nous abriterons dans le mensonge »
C’est pourquoi ainsi parle le Seigneur :
« Voici, je jette aux fondements de Sion une pierre précieuse, choisie, angulaire, glorieuse, et celui qui se confie en elle ne sera pas confondu, je ferai de la justice votre espérance, de mon aumône les montants de vos portes. Et vous qui vous êtes confiés dans le mensonge — qu’elle ne s’abattrait pas sur vous, la tourmente, et que l’on supprimerait pas votre alliance avec la mort —, que l’espoir que vous mettez en Hadès ne demeure pas. La tourmente quand elle s’abattra, si elle ne vient pas sur vous, vous serez pour elle bons à piétiner. Quand elle passera, elle vous emportera. Tôt, très tôt, elle passera le jour, la nuit sera un espoir mauvais : apprenez à écouter ». »
Commentaires
Saint Thomas d’Aquin
Sur Job 8, 11-15 : Le papyrus pousse-t-il hors des marais ? Privé d’eau, le jonc peut-il croître ? Même si on l’arrache dans sa jeunesse, avant toute autre herbe, il se dessèche. Tel est le sort de ceux qui oublient Dieu, ainsi périt l’espoir de l’hypocrite. Sa confiance n’est que fil, maison d’araignée sa sécurité. S’appuie-t-il sur sa demeure, elle cède ; s’y cramponne-t-il, elle s’écroule.
Commentaire : Parce que le papyrus ou le jonc ont besoin de sève et de l’eau des marais, ils se dessèchent rapidement, sans autre cause, dès qu’ils en sont privés. « Cette image convient à l’argument exposé. […] Le bien de l’homme vient manifestement de ce que l’homme s’attache à Dieu […] Ceci est vrai de la vie bienheureuse spirituelle qui est le vrai bien de l’homme, et non pas de la prospérité en ce monde, que l’on compte parmi les biens inférieurs, en ce qu’ils servent comme d’instruments à la véritable vie bienheureuse de l’homme. C’est pourquoi il est ajouté : voici le sort de ceux qui oublient Dieu, ainsi périt l’espoir de l’hypocrite. […] Le jonc a besoin d’une eau cachée dans la terre et qui le maintienne dans l’humidité, si bien qu’il se dessèche quand l’eau manque. […] De la même manière il y a ceux qui périssent parce qu’ils ne sont plus attachés à Dieu dans le secret. Ce sont des hypocrites puisqu’ils prétendent à l’extérieur qu’ils sont attachés à Dieu alors que leur cœur est tourné vers les choses terrestres. […] Le texte montre ensuite comment se perd l’espoir de l’hypocrite. Il faut bien voir que l’hypocrite possède un cœur vide et qui néglige les choses spirituelles alors qu’il est préoccupé des choses terrestres. Et il se satisfait de cette situation tant que, dans les choses terrestres, il s’en sort conformément à ce qu’il espère. Mais si ces réalités temporelles lui sont retirées, alors il sera nécessairement insatisfait puisqu’il n’a pas un cœur vrai et ferme tourné vers Dieu. […] Tout ce en quoi il se confiait se brise aussi facilement qu’une toile d’araignée. En effet il se confiait non pas dans le secours divin mais […] tirait sa confiance de la stabilité procurée par la prospérité de ses biens temporels. Et lorsque vient à lui manquer le secours divin, il s’effondre. »
Sur 1 Co 3, 11 : Que chacun prenne garde à la manière dont il bâtit. De fondement, nul n’en peut poser d’autre que celui qui s’y trouve, à savoir Jésus-Christ. Et sur ce fondement on bâtit…
Commentaire : saint Paul rappelle qu’il s’agit d’édifier au-dessus de quelque chose et non d’être soi-même le fondement. Il n’y a pas d’autre fondement que Jésus-Christ, qui habite dans le cœur des corinthiens par la foi que Paul leur a prêchée. « Il n’y a pas que le Christ qui soit le fondement. On doit plutôt dire qu’il y a deux fondements. L’un qui trouve sa solidité en lui-même, comme le rocher sur lequel on appuie un édifice, et ce fondement peut être comparé au Christ. Car il est lui-même la pierre dont il est dit en Mt 7,25 : la maison [qui résiste aux intempéries est celle] fondée sur une pierre ferme. L’autre type de fondement est celui qui ne trouve pas sa solidité en lui-même, mais grâce à un autre objet solide, comme les pierres qui sont supportées par un roc solide. C’est en ce sens que l’on dit des apôtres qu’ils sont le fondement de l’Église, parce que eux-mêmes sont auparavant édifiés sur le Christ par la foi et la charité. »