Le diaire des Jacobins

Sonnerie pour espérer : le diaire des Jacobins du 19 mars 2020

Diaire 1 sur Isaïe 28, 5.7-13

Les frères Emmanuel Perrier, Renaud Silly et Éric Pohlé vous invitent à fortifier notre espérance à travers leurs échanges fondés sur la Parole de Dieu.
Le texte biblique (Isaïe 28) et les commentaires des saints (Jérôme, Thomas d’Aquin, Philon d’Alexandrie) sont reproduits ci-dessous.

Texte commenté: Is 28,5.7-13 (LXX et hébreu)

Texte grec (LXX) Texte hébreu
« En ce jour-là, le Seigneur Sabaoth sera une couronne d’espérance, tressée de gloire, pour le reste de ce peuple […] Eux ils errent à cause du vin, une boisson forte les fait errer. Le prêtre, le prophète titubent à cause du vin, ils vacillent dans l’ivresse de leur boisson forte. « En ce jour-là, le Seigneur Sabaoth sera une couronne d’espérance, tressée de gloire, pour le reste de ce peuple […] Eux ils errent à cause du vin, une boisson forte les fait errer. Le prêtre, le prophète titubent à cause du vin, ils vacillent dans l’ivresse de leur boisson forte.
Voilà le présage. La malédiction consumera leur conseil, car ce conseil est inspiré par la cupidité. A qui avons-nous annoncé des maux, à qui avons-nous annoncé une nouvelle ? Ils s’égarent dans les visions, ils trébuchent en rendant leurs sentences. Toutes les table sont couvertes de vomissements infects : pas une place nette ! Ils disent : que veut-il enseigner ? A qui veut-il expliquer ses révélations ?
À ceux que l’on a sevrés de lait, arrachés à la mamelle. À ceux que l’on a sevrés de lait, arrachés à la mamelle.
Attends-toi à tribulation sur tribulation, à espoir sur espoir, de plus en plus illusoire, à cause du mépris des lèvres qui s’expriment en une langue étrangère, qui vont parler à ce peuple pour lui dire : ‘voici le repos pour l’affamé’ et c’est le brisement et ils n’ont pas voulu entendre. Pour eux il y aura la parole du Seigneur Dieu: Il répète : Sawlasaw, sawlasaw, qawlaqaw, qawlaqaw, zeersham, zeersham Et bien c’est un langage haché, c’est en langue étrangère que le Seigneur va parler à ce peuple, lui qui leur avait dit : ‘Voici le repos, laissez se reposer celui qui est épuisé, voilà l’apaisement’ et ils n’ont pas voulu entendre. Pour eux il y aura la parole du Seigneur Dieu:
tribulation sur tribulation, espoir sur espoir, de plus en plus illusoire, Sawlasaw, sawlasaw, qawlaqaw, qawlaqaw, zeersham, zeersham
afin qu’ils marchent et tombent à la renverse, qu’ils encourent mille périls, qu’ils soient fracassés et pris. afin qu’ils marchent et tombent à la renverse, qu’ils encourent mille périls, qu’ils soient fracassés et pris.

Saint Jérôme

Pour saint Jérôme, Isaïe est à la fois prophète, évangéliste et apôtre. Le commentaire sur Isaïe est le plus long de tous les travaux d’exégèse du moine de Bethléem. Jérôme le compose avant la déflagration que fut pour le latin qu’il est la prise de Rome, en 407 ou 408 ; mais l’assaut d’une épreuve d’un autre genre vient perturber sa méditation, une épreuve intérieure : au long de son travail sur Isaïe, Jérôme, âgé d’une soixante d’année, tombe gravement malade. Il est guéri : il y reconnaît la main de Dieu. « Comme j’oublie ma condition d’homme, écrit-il dans une confidence au cours de son commentaire, le Seigneur m’avertit » (Préface au livre 14 ; cf. CCL 73A). L’homme qui cherche à entendre Dieu à travers les mots hébreux et grecs des manuscrits qu’il a sous les yeux, s’aperçoit que Dieu lui parle aussi par les événements : ceux que Jérôme éprouve personnellement dans sa chair et ceux qu’il voit autour de lui.

Il est bien question de ces mots, ceux des différentes versions de la Bible, dans le commentaire du chapitre vingt-huitième. Jérôme comme l’exégète d’aujourd’hui se heurte à des mots qui sont des transcriptions de bruits, des onomatopées, borborygmes et répétitions difficiles à traduire. La communication est frelatée dans plusieurs versets de ce chapitre : il est question d’ivresse ! Les hommes titubent et vacillent. Les hommes sont ivres, distingue Jérôme, non seulement du fait du vin mais aussi du fait de toute boisson forte. L’exégète interprète : ceux qui s’enivrent de vin, ce sont ceux qui entendent mal et font mentir les saintes Écritures, la Sagesse inspirée ; ceux qui s’enivrent de boisson forte, ce sont ceux qui abusent de la sagesse naturelle, celle du monde, séduisante comme des bulles de savon. Elles montent puis éclatent.

Mais surtout, Isaïe parle du prêtre et du prophète qui s’enivrent : il y voit ceux qui parmi les pharisiens, les scribes et les grands prêtres à Jérusalem ont conclu un marché avec Judas pour qu’il leur livre le Christ. L’ivresse aveugle le cœur et perturbe la raison qui se met à faire des calculs que la raison ne connaît pas.

En ces jours où nous sommes submergés par toutes sortes d’informations et par nos propres fragilités, crainte et incertitude, quelle boisson donnons-nous à notre soif intérieure ? Et surtout qu’attendons-nous de cette boisson ? Qu’elle endorme notre raison, la subjugue et l’aveugle ou bien plutôt qu’elle la fortifie pour l’élever et lui donne des ailes pour aller plus haut ?

Saint Thomas d’Aquin

Eccl. 24, 30-31 : Je suis comme un canal issu d’un fleuve, comme un cours d’eau conduisant au paradis. J’ai dit : je vais arroser mon jardin, je vais irriguer mes parterres [latin : Je vais enivrer le fruit de mon parterre]. Commentaire de saint Thomas: les fruits du parterre de la sagesse sont les saints qui sont dans la gloire. C’est de ce fruit dont parle le Cantique des Cantiques 5,1 : j’entre dans mon jardin, je bois mon vin et mon lait. Mangez, amis, buvez, enivrez-vous mes bien-aimés ! La sagesse enivre les saints du ciel par la jouissance surabondante d’elle-même. Comme le dit le psaume 35, 9 : Ils s’enivrent de la graisse de ta maison, aux torrents de tes délices tu les abreuves. Et si l’on parle d’ébriété, c’est parce qu’elle excède toute mesure de la raison et tout désir. C’est pourquoi Isaïe dit : Ce que l’œil n’a pas vu, Dieu, ce que tu a préparé à ceux qui t’espèrent.

Sur le péché d’ébriété : l’ébriété en elle-même est un péché, car « sans nécessité l’homme se rend incapable d’user de sa raison. Or c’est par sa raison que l’homme est ordonné à Dieu et qu’il évite de tomber dans de nombreux péchés. L’ébriété pour la seule volupté du vin est donc directement contraire à la vertu. »

Philon d’Alexandrie

Legum allegoriæ III § 79-82 : « De Melchisédeq, Dieu a fait le roi de paix […] sans avoir auparavant donné comme modèle aucune de ses actions, mais en ayant transformé cet homme en roi, pacifique et signe de son propre sacerdoce. On l’appelle en effet un roi juste, et un roi est l’opposé d’un tyran puisque le roi introduit les Lois et le tyrans l’illégalité. L’intelligence tyrannique impose à l’âme et au corps des prescriptions brutales, nuisibles qui entraînent de grandes douleurs, je veux dire les actes conformes au vice et les jouissances des passions. L’intelligence royale, au contraire, impose moins qu’elle ne persuade. Elle donne des conseils grâces auxquels le vivant, comme une barque, aura une bonne navigation dans la vie, étant dirigé par le bon pilote, c’est-à-dire la droite raison […] Que Melchisédeq apporte du vin au lieu de l’eau, qu’il le fasse boire tout pur aux âmes, pour qu’elles se trouvent possédées d’une ivresse divine, plus sobre que l’ivresse même, en effet il est le Logos prêtre. »
Dominicains de Toulouse
fr. Alain Quilici