Les mots dans l’évangile sont clairs, et seuls des casuistes peuvent tourner les expressions de Jésus et faire dire à ce texte le contraire de ce qui vient d’être entendu. Certes, la miséricorde peut tendre la main car si Dieu est juste il est aussi miséricordieux. Si le pécheur s’empare de ce moment de grâce, il peut jouir de la communion retrouvée avec Dieu ; mais s’il le perd de nouveau, la porte se clôt d’elle-même. L’ouverture momentanée restera cependant dans sa conscience alors que Dieu veut encore et toujours le sauver de son péché.
Jésus va plus loin aujourd’hui dans son enseignement : il montre son amour pour la pureté des enfants. On trouve un parallèle dans le même évangile de saint Marc avec le même détail dans le fait que Jésus a embrassé cet enfant : « Puis, prenant un petit enfant, il le plaça au milieu d’eux et, l’ayant embrassé, il leur dit : “Quiconque accueille un des petits enfants tels que lui à cause de mon nom, c’est moi qu’il accueille ; et quiconque m’accueille, ce n’est pas moi qu’il accueille, mais Celui qui m’a envoyé” » (Mc 9, 36-37).
Jésus a aimé ce petit enfant en l’embrassant avec tendresse. La philia grecque concerne l’amitié pure ; et le mot « pédo-phile », forgé par la contraction des termes grecs pais-paidos, l’enfant, et philos (φίλος), l’ami, ou philia l’amitié, conduit à une ambivalence désormais puisqu’il peut désigner soit une attitude pure, celle de Jésus — il a aimé avec tendresse les enfants —, soit dans la conception médiatique très récente (qui remonte à la fin du XIXe siècle en Angleterre) une conduite considérée comme impure, populairement condamnable. Cet usage médiatique nouveau remonte en France aux années 1970, il consistait dans la tentative avec ce mot faussement ingénu de réaliser un blanchiment à bon compte de pratiques perverses.
Confucius pense que pour bien s’orienter et diriger les autres il convient de connaître le sens des mots (zheng ming). « Lorsque les mots perdent leur sens, les gens perdent leur liberté. » Cette vérité transculturelle lui est souvent attribuée. Albert Camus écrit ces mots tout aussi pertinents : « Mal nommer un objet, c’est ajouter au malheur de ce monde. » Comme l’enseigne notre évangile de ce jour, Jésus a aimé les enfants, mais il l’a fait sans péché, ni penchant vers le péché.
En raison de l’ambiguïté, la presse catholique a préféré utiliser le mot pédo-criminel pour bien marquer la gravité de l’acte par rapport à la victime. Notre attention pastorale doit se tourner en premier vers les victimes. Cependant « crime » lui-même est équivoque puisque s’il désigne au pénal un acte délictueux grave, plus communément un criminel c’est dire un assassin, un meurtrier. Et, de fait, certains témoignent avoir eu leur vie démontée, détruite psychologiquement, à la suite d’un abus, ce qui est tout à fait dramatique, regrettable et condamnable. Mais être abusé n’est pas être tué physiquement à la manière dont un innocent est tué d’une manière irréversible. Le terme « criminel » est donc en partie équivoque lui aussi, sauf au pénal. La victime est unie à l’Agneau de Dieu, le prédateur l’est avec le Mauvais. Abel n’est pas Caïn !
Il faudrait alors, pour suivre les indications des grands maîtres de Sagesse, dans nos textes, dans nos médias catholiques, viser davantage l’identité du pervers en l’appelant de son nom mérité : pédo-pervers. Cette précision de vocabulaire n’entraîne pas une méprise : le pédo-pervers qui passe à l’acte doit être incriminé et subir une juste peine. L’Église, avec sagesse, a voulu montrer l’exemple en faisant mener l’enquête en son sein, mais la malice des médias pourrait se contenter de ces aveux pour trouver un bouc émissaire, et éviter l’exemplarité que cet appel sincère devrait susciter. Et ainsi ne pas provoquer la pression sur le devoir de mémoire dans le même souci de purification que ce soit dans l’Éducation nationale, dans la sphère médicale, des métiers d’autorité, ou ailleurs dans la société, avec ce grave devoir d’expurger le mal du milieu d’elle et de rendre justice aux victimes.
Il serait trop long de relire ici le chapitre cinq de la première épître de saint Paul aux chrétiens de Corinthe ; il s’y trouve la position très claire du Christ et de l’Église par rapport à tout désordre moral : « Purifiez-vous du vieux levain pour être une pâte nouvelle, puisque vous êtes des azymes. Car notre pâque, le Christ, a été immolée » (1 Co 5, 7).
Qu’en est-il pour nous (quanta est nobis) ? Saint Paul, le même, nous exhorte encore, dans un appel à une imitation radicale de Dieu miséricordieux : « Ne te laisse pas vaincre par le mal, sois vainqueur du mal par le bien » (Rm 12, 21).
Que de grâces à demander pour le bien de l’Église semper purificanda (toujours en cours de purification en LG, nº 8). Un luminaire n’est-il pas hissé dès maintenant dans le Royaume, c’est-à-dire l’Église, et non aux yeux aveugles du monde médiatique : « On n’allume pas une lampe pour la mettre sous le boisseau, mais bien sur le lampadaire, où elle brille pour tous ceux qui sont dans la maison » (Mt 5, 15). En ajustant notre vocabulaire, soyons donc dans la joie au sortir de l’épreuve qui a trop duré. Amen !