Le purgatoire

Nous prions aujourd’hui pour les défunts. Non pour ceux qui sont au ciel – ils n’ont plus besoin de nos prières -, mais pour ceux qui n’y sont pas encore. Autrement dit, nous prions pour les « âmes du purgatoire ». Les « âmes du purgatoire »! Voilà une expression que les chrétiens, à commencer par les prédicateurs, évitent soigneusement tant elle paraît malsonnante. Mais si l’on ne prêche pas la foi de l’église au sujet du purgatoire un jour comme celui-ci, quand le fera-t-on?
L’Évangile d’aujourd’hui est clair: il faut être prêts à ouvrir notre cœur au Christ lorsque, au jour de notre mort, il viendra frapper à notre porte. Comment? Entre autres choses, l’Évangile de ce jour nous prescrit une chose: un détail vestimentaire mystérieux qui va retenir notre attention: «ayez les reins ceints». Les juifs portaient de longues tuniques, ce qui peut être très seyant, mais pas toujours pratique. Notamment lorsqu’il s’agit entreprendre un long voyage à pieds. En pareil cas, l’hébreu de base retrousse les pans de sa robe qu’il retient par sa ceinture. C’est ce que firent les hébreux en mangeant en toute hâte «les reins ceints, sandales aux pieds, et bâton à la main».
1° Avoir les reins ceints, c’est d’abord cela: être en tenue de voyage. Nous ne sommes ici-bas que des voyageurs en pèlerinage vers la vie éternelle. Tout croyant sait cela, du moins en théorie. Mais le maître tarde à venir, et le monde qui nous entoure est si fascinant qu’il est difficile d’échapper à la tentation de s’y installer comme s’il était définitif. Question: si le Christ venait nous chercher maintenant, ressentirions-nous sa venue comme celle d’un voleur venant dérober notre trésor? Ou comme celle d’un bienfaiteur nous apportant le seul trésor véritable: la vie éternelle? Il est probable que ce serait un peu les deux à la fois.
– Au plus intime de lui-même, notre cœur sait bien que le vrai bonheur, c’est de voir le visage de ce Dieu qui nous aime comme jamais nul être au monde ne nous a aimé.
– Mais il y a aussi en nous de ces attaches désordonnées qui empêcheraient notre cœur de jouir pleinement de ce bonheur. Nous ne parlons pas ici de nos attaches légitimes: ces affections qui nous lient à nos proches, à notre famille, à nos amis. Si elles sont vécues en Dieu, de telles affections, loin de nous éloigner de Dieu, nous procurent au contraire plus d’élan pour marcher vers lui. Nous parlons bien plutôt ici de ces attaches qui nous lient de façon excessive à ce que nous possédons, à ce que nous dominons, à nos œuvres: tout ce à quoi nous nous lions sans le référer à Dieu et au prochain. De cela il faudra bien se détacher un jour ou l’autre pour parvenir au terme du voyage.
2° Avoir les reins ceints, c’est être en tenue de voyage, mais c’est également revêtir la tenue requise pour servir autrui. Pour servir autrui, autrement dit, pour aimer son prochain en vérité, il ne suffit pas de retrousser les pans de sa robe, il faut souvent aussi se retrousser les manches. Mais allez savoir pourquoi, ce geste si simple quand notre intérêt personnel est en jeu s’avère étrangement difficile lorsqu’il y va du bien du prochain. Cet étrange engourdissement du cœur ne serait-il pas tout simplement l’égoïsme? «J’ai eu faim et vous m’avez donné à manger, j’étais malade et vous m’avez visité?» Cela le faisons-nous? Oui! et non! Parfois oui et parfois non, et cela en raison de la division de notre cœur. Dans ce qu’il a de plus intime, notre cœur a sans doute reconnu en Dieu son vrai trésor, mais en même temps, il continue d’alimenter en catimini sa petite caisse noire qui l’empêche d’être totalement tourné vers Dieu. Au fond de lui-même, notre cœur aspire à être plus aimant, mais dans le même temps, l’égoïsme continue d’inspirer notre agir.
L’un des grands enjeux de notre vie c’est d’unifier notre cœur pour qu’il soit tout entier polarisé par l’amour de Dieu et du prochain. Unifier notre cœur: autre manière de dire «purifier notre cœur». Purifier notre cœur, c’est à la fois une entreprise de détachement vis-à-vis de nos idoles et d’attachement à Dieu et à nos frères pour que l’amour seul règne en nous. La prière, les sacrements, les « bonnes œuvres », mais aussi ces arrachements que nous imposent les épreuves de la vie, l’âge, la maladie sont autant d’occasions de nous purifier. Au moment où nous comparaîtrons devant Dieu, il se peut qu’en un instant toutes ces mauvaises attaches et les restes de notre égoïsme soient brûlés. Mais il se peut aussi que cette purification exige un processus plus long. Et c’est cela le purgatoire.
– Le purgatoire, c’est Marie Madeleine versant ses larmes aux pieds de Jésus. Pleurs de joie ou pleurs de tristesse? Mais les deux à la fois parce qu’au moment même où elle sent la miséricorde de Dieu l’envahir, elle perçoit aussi à quel point elle l’a blessée.
– Le purgatoire c’est aussi Jésus qui se ceint les reins et se met lui-même aux pieds de l’homme pour le purifier, afin qu’aucune souillure ne vienne ternir la joie de participer à son banquet.
– Le purgatoire, c’est enfin l’expérience bouleversante que les défunts font de la prière et de l’affection de leurs leur proches qui leur disent en somme: «Nous étions avec toi autrefois, nous le sommes toujours maintenant que tu n’es plus de ce monde. Tu peux compter sur nous». Et si les défunts pour lesquels nous prions sont déjà au ciel, ils ne se vexeront pas de notre incertitude sur leur situation présente: nul doute qu’ils sauront reverser les bienfaits de notre intercession en faveur des âmes pour lesquelles on ne pense jamais à prier?
Au sujet du purgatoire, Jean de la Croix disait: «le feu qui s’unira un jour à l’âme pour la glorifier et celui qui l’envahi d’abord pour la purifier ne sont qu’un seul et même feu».
