Homélie du 11 mars 2001 - 2e DC

L’expérience mystique

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Mes amis, nous aurions aimé être là, nous aussi. Nous aurions aimé participer à cette expérience extraordinaire, sentir la présence du Père, entendre sa voix, être enveloppés dans la nuée de tendresse, rencontrer les grands témoins et les entendre parler avec celui qui accomplit l’Écriture en franchissant l’épreuve qu’ils n’ont fait que désigner. Voir le Christ en pleine lumière, rayonnant de fragilité, comme le ligament brûlant d’une lampe survoltée, l’humanité de Jésus saisie dans cette expérience limite, dans la tension de l’amour donné, à cœur ouvert face à la mort, en plein saut vers la réciprocité. Nous aurions aimé être là, discrets, tout petits, et faire l’expérience de Dieu Trinité. Nous aurions aimé être là et vivre avec Jésus, l’expérience du oui sans aucune restriction.

Nous aurions aimé être là. Nous y sommes à l’instant, par le témoignage de Pierre, Jacques et Jean. Nous y sommes aussi lorsque nous vivons, à notre tour, nos propres transfigurations.

Car l’expérience spirituelle existe! Qu’il y ait des charlatans et des contrefaçons ne contredit pas ce fait. Certes l’expérience ‘mystique’, disons le mot, s’exprime comme elle peut, toujours dans un contexte donné, ici, l’Exode et la Nuée. Mais tout ne se réduit pas à un procédé littéraire. Il ne s’agit pas d’une prise de conscience seulement, cela va bien plus loin qu’un événement mental. Ils sont trois témoins et si, en Occident, nous avons des stigmatisés, en Orient, les spirituels sont des transfigurés. Le corps, écorce de l’âme, se fait alors sa parfaite expression; d’enveloppe d’argile, il devient rayonnant. Puisque le Verbe s’est fait chair, la chair devient révélation! Dieu s’est fait homme pour que l’homme devienne Dieu, et la vie humaine va beaucoup plus loin que ce que nous avons exploré!

Pour que le récit nous parle vraiment, il faut qu’il éveille dans notre expérience personnelle certains échos. Or il y a dans l’homme un désir de transgresser les limites de sa condition historique, celles des lois physiques et du temps. Ce désir conduit certains à l’autodestruction, d’autres à l’évasion, il peut, et nous le voyons ici, conduire au dépassement et à l’accomplissement de soi dans une transfiguration furtive qui anticipe la résurrection définitive.

L’autodestruction: c’est la drogue, depuis les simples stimulants, en passant par l’alcool, pour aboutir à la cocaïne, l’héroïne ou cette mal nommée « Ectasy ».

L’évasion: c’est le rêve, avec tout ce que l’on trouve dans le courant du New Age où le monde est tel qu’on veut l’imaginer. Vous vous mettez la vidéocassette que vous voulez, dans le genre de l’horreur ou du sucré. Tout cela doit être dénoncé. Mais il y a aussi une expérience qui dépasse celle du quotidien et qui ne peut être soupçonnée de folie ou de perversion, l’Évangile d’aujourd’hui en est la garantie.

Conversions soudaines et inattendues, larmes et abandon de soi dans la confiance en Dieu, visions qui confirment un appel pressenti, transfigurations comme en connaissent les starets en Orient… ces expériences sont d’une telle intensité que le sujet est comme «retourné». Il est marqué dans son histoire par ces moments intimes et germinaux. Il peut en avoir peur et ne pas oser parler. Joie intense et solitude mêlées: il a le sentiment d’être devenu différent.

C’est une expérience qui est donnée, elle ne se provoque pas. Il s’agit avant tout d’une surprise et n’est en rien le résultat d’un entraînement, ni le produit magique d’une formule, ni l’effet d’un médicament. Il s’agit de l’éblouissement d’une rencontre qui doit se prolonger en communion. Tout est vécu dans la relation au Père, et tout est reçu. Impossible de le figer, de mettre la main dessus, de s’y installer. Pierre confond l’expérience de Dieu et Dieu lui-même; la joie d’aimer et l’amour vécu. Dans la vie spirituelle comme dans l’amour adolescent, il peut y avoir beaucoup d’ «amour de l’amour» et cela n’est pas encore l’amour vrai. La transfiguration est un moment, mais Dieu est amour et l’amour est élan. Le transfiguré sait qu’il sera bientôt défiguré. Il se libère de son image, de son apparence ou de son personnage, il ne fait pas écran, il ne se crispe pas sur lui même mais se reçoit du Père qui l’envoie. Il rayonne cette relation de confiance et de vie qui le constitue dans son identité. Vous l’avez entendu: sa transfiguration survient tandis qu’il médite son passage, le moment où, comme le dit Isaïe, il n’aura plus ‘figure humaine’, son passage par la défiguration. C’est toute la différence d’avec les marchands d’illusion. Nous aurions aimé être là, comme Pierre et construire trois tentes pour durer dans ce moment hors du temps. Mais il nous faut voir en vérité: Jésus rayonne de vie au moment précis où il accepte sa mort, une mort horrible, elle-même transfigurée en don de soi et chemin de résurrection.

Ce passage, il nous faudra nous aussi le connaître. Que nous le voulions ou non, notre condition humaine, ne s’achève pas ici.