Permettez-moi de vous raconter une petite histoire. La scène se passe en 1802. Un officier français vient déclarer la naissance de son fils. L’employé aux écritures de Besançon note le nom de famille: Hugo, puis le prénom: Victor. Tout ému, il pâlit; il se lève et déclare: «Monsieur, vous êtes le père de Victor Hugo!». Cette histoire est absurde, car si l’enfant a pour prénom Victor et pour patronyme Hugo, il n’est pas «Victor Hugo», il le sera à la fin de la vie qui vient de commencer, quand il désignera celui qui fut un brillant poète romantique, un grand romancier et une figure emblématique pour la nation française allant de la monarchie à la République en passant par l’empire? Cette situation universelle en humanité vaut pour Celui au nom de qui nous sommes rassemblés, Jésus, dont nous célèbrerons la naissance dans quelques jours? Ce jour sera grand, à raison de toute sa vie.
Toute notre année liturgique est orientée vers la célébration de la mort et de la résurrection de Jésus. C’est alors que Jésus devint celui que nous appelons Christ, le Messie, le Seigneur, le Fils de Dieu dans la puissance de l’Esprit Saint. Le jour de sa naissance, il est Jésus. Né de Marie, à l’État civil, il est fils de Joseph et par lui fils de David. Si nous le disons Christ et Seigneur, c’est à la lumière du mystère pascal dont la lumière éclaire toute la vie de Jésus. C’est à sa lumière que les disciples ont compris. L’évangile de Jean dit plusieurs fois des disciples qu’ils ne comprirent les paroles de Jésus qu’après sa résurrection. Les évangiles sont écrits à la lumière de Pâques, pour y conduire le lecteur. Cela commence à la naissance de Jésus. Ainsi, la nuit de Noël, vous entendrez le message dit aux bergers: «À Bethléem, vous verrez un signe: un enfant dans une crèche»; un signe, parce que la réalité viendra plus tard. À la messe du matin de Noël, il sera fait mention sa mère: «Marie gardait tout ceci en son cœur», tout s’éclairera pour elle dans l’Esprit Saint. Si le mystère pascal éclaire la vie de Jésus; il fait davantage. Il éclaire tout ce qui l’a préparé, non seulement l’histoire du peuple élu, mais toute l’histoire humaine et celle de la création. Nous y lisons un désir: le mouvement de la terre pour porter son fruit, et l’attente de celui que la liturgie appelle «le Désiré des nations». C’est dans ce désir que nous vivons l’Avent, avec l’impatience de la pleine manifestation du mystère pascal où s’éclaire l’histoire du monde, mais surtout parce que s’y dévoile le vrai visage de Dieu, celui que les religions ne pouvaient imaginer – raison pour laquelle la messe du jour de Noël prévoit la lecture du prologue de l’évangile de Jean qui dit l’intime de Dieu, la génération du Fils éternel dans l’unité de l’Esprit. Aujourd’hui, soyons attentifs à l’appel de Jean-Baptiste, à ce qu’il demande (la conversion) et à ce qu’il annonce (le don de l’Esprit Saint).
Ce qu’annonçait Jean-Baptiste est advenu. Nous avons part à l’Esprit du Christ ressuscité, l’Esprit Saint, mais nous n’avons pas l’illusion de penser être parfaits; nous sommes en route et nous découvrons que le ressuscité vient au-devant de nous. Ainsi, nous sommes maintenant rassemblés pour l’eucharistie où nous avons part au «pain de la vie et à la coupe du salut», la nourriture qui nous permet d’avancer dans les difficultés présentes. Notre communion n’est pas comme le «bon point» que l’on donnait jadis aux enfants sages, elle est une nourriture pour ceux qui peinent sur la route. Saint Paul nous dit que pour communier avec clarté, il faut «discerner le corps du Christ», entendons avoir la foi, cette foi qui nous fait répondre «amen» au frère qui donne la communion. Parce que nous désirons vivre, nous allons communier au sacrement qui nous donne part à la vie de Jésus, le premier né d’entre les morts. Il est la tête de l’humanité en marche vers la plénitude du Règne de Dieu.
Tel est notre Avent: une marche, un désir, un élan vers celui que la très ancienne confession de foi transmise par Paul appelle «fils de David selon la chair, Fils de Dieu avec puissance selon l’Esprit de Sainteté par sa résurrection d’entre les morts» (Rm 1, 3-4).