Le diaire des Jacobins

Sonnerie pour espérer : 1er avril

Le diaire des Jacobins du 1er avril 2020

Le fortifiant spirituel pour temps d’épidémie

Dosage quotidien

 

Le chant nouveau de l’espérance – Isaïe

 

Adiutorium nostrum in nomine Domini, qui fecit caelum et terram

Deux semaines de confinement, deux semaines de chamboulement. Nous ne sommes pas là où nous devrions être en temps normal. Si nous faisons les mêmes choses, nous les faisons d’une autre manière. Si nous rencontrons les mêmes personnes, nous n’abordons pas les mêmes sujets.

Si nous téléphonons, ce n’est pas avec les mêmes sentiments. Si nous sortons, ce n’est pas pour les mêmes raisons. Si nous cohabitons, ce n’est pas dans les mêmes conditions. C’est bien simple, nous avons été déplacés. Malade ou pas, soigné, soignant ou indemne, le virus nous a tous installés ailleurs, sur son terrain. Et après deux semaines de cette déportation, les fourmis nous courent dans les jambes. Quand cela s’arrêtera-t-il ? Et surtout : que se passera-t-il après ? Nous n’avons pas besoin d’un prophète pour savoir que le monde d’après l’épidémie ne sera pas identique au monde d’avant. Il suffit d’ouvrir les yeux sur ce qui est en train de changer. Le domaine de la santé sortira traumatisé d’un corps-à-corps de plusieurs mois, l’Union européenne aura du mal à se relever de sa soudaine tétraplégie, les nations et leurs populations traîneront le boulet d’une dette décuplée, l’ordre du monde établi depuis 1945 et culminant dans la mondialisation des années 2000 se cherchera un nouveau point d’équilibre, les productions locales retrouveront de l’importance, etc. Ce monde nouveau rempli d’incertitudes suscite déjà les vocations prophétiques. Je n’ai aucun besoin d’en être pour nous prédire un printemps de la vaticination, où chaque expert proclamera son oracle juché sur l’autel de sa petite divinité. Dans les temps troublés qui nous attendent, il sera difficile de résister à la séduction des recettes-miracles du retour à la prospérité ou aux bandes-annonces de films catastrophe sur la fin du monde. Or nous n’avons pas besoin de ces nouveaux prophètes car nous savons comment Dieu mène le monde et où Il le conduit. Nous savons que l’homme trouve sa place dans le monde lorsqu’il pratique le droit et la justice, que les sociétés sont humaines lorsqu’elles obéissent à Dieu. Nous savons que la fin est la vie éternelle, que la voie du Royaume de Dieu est une voie étroite, celle de la lutte contre le péché et des commandements de l’amour de Dieu et du prochain, que la vie qui plaît à Dieu passe par l’attachement au Christ sous la loi nouvelle des béatitudes. Le monde d’après l’épidémie Dieu seul le connaît, mais nous savons qu’il sera à la mesure de la conversion intérieure de chacun.

Textes commentés

Écriture sainte

Is 43, 14-21

Ainsi parle YHWH

Celui qui vous rachète, le saint d’Israël,

C’est à cause de vous que j’ai lancé un assaut contre Babylone,

Je les fais tous descendre comme des fugitifs

Les Chaldéens, sur les navires où ils s’esclaffaient !

Moi, YHWH je suis votre saint,

Ton créateur Israël et votre roi.

Ainsi parle YHWH :

Celui qui trace un chemin dans la mer,

Un chenal dans les eaux en furie,

Celui qui fait sortir chars et chevaux,

L’armée et la troupe ensemble,

Ils se couchent et ne se relèvent pas

Éteints, comme une mèche, étouffés

Ne vous souvenez plus du passé

Ne remâchez pas les choses anciennes,

Me voici qui fais du nouveau

Maintenant il croît : ne le savez-vous pas ?

Voici, je délimite dans le désert un chemin, dans la steppe des sentiers,

Les animaux de la lande me glorifieront, chacals et autruches

Car je mets des eaux dans le désert, des sentiers dans la steppe,

Pour abreuver mon peuple de mes biens.

Ce peuple je l’ai formé pour moi,

C’est lui qui conserve le registre de ma louange.

Saint Augustin

Homélie sur le Psaume 148 (trad. éd. Raulx modifiée)

16. « Et il élèvera la force de son peuple » (Ps 148, 14). […] Cette force de son peuple est maintenant abaissée par les persécutions, par les épreuves, par la componction des cœurs ; mais quand élèvera-t-il la force de son peuple ? Quand viendra le Seigneur lui-même, quand se lèvera le soleil de justice ; non point ce soleil qui apparaît à nos yeux, qui se lève sur les bons et sur les méchants (Mt 5, 45) ; mais ce soleil dont il est dit : « Pour vous qui craignez Dieu, se lèvera le soleil de justice, et le salut sera sous ses ailes » (Malachie 4, 2). C’est de lui que les orgueilleux et les impies diront un jour : « La lumière de la justice n’a point lui pour nous, et le soleil ne s’est point levé à nos yeux » (Sg 5, 6).

Cette lumière sera l’été pour nous. Maintenant, pendant l’hiver, les fruits ne se font pas voir quand on regarde la racine, l’hiver nous fait paraître les arbres comme stériles. Quiconque ne sait pas voir les choses pourrait croire que la vigne est morte ; qu’un cep soit réellement desséché, il ressemble en hiver absolument à son voisin ; et pourtant l’un est mort, l’autre en vie ; mais la vie de l’un comme la mort de l’autre demeurent cachées. Or, voici l’été, qui fait ressortir dans l’un, une vie luxuriante, et dans l’autre une mort indubitable : l’un se couvre joyeusement de feuilles et de fruits abondants, il se pare au dehors de ce qui était caché dans sa racine. Nous ressemblons donc, mes frères, au reste des hommes qui naissent, qui mangent, qui boivent, qui se couvrent de vêtements, qui passent ainsi cette vie ; il en est de même des saints. Voilà ce qui jette souvent dans l’erreur des hommes qui disent : Depuis qu’il s’est fait chrétien, il n’est pas délivré de sa migraine ! ! Ou bien, quel avantage a-t-il sur moi depuis qu’il est chrétien ? Ô vigne desséchée ! Tu ne vois qu’avec dédain cette autre vigne que l’hiver a dépouillée, mais non desséchée. L’été viendra, le Seigneur viendra, lui qui est notre gloire et qui était caché dans la racine ; et alors « il élèvera la puissance de son peuple » (Ps 148, 14) après cette captivité, dans laquelle nous vivons pour mourir. De là cette parole de l’Apôtre : « Ne jugez point avant le temps, jusqu’à ce que vienne le Seigneur, qui éclairera ce qui est caché dans les ténèbres ; et alors chacun recevra de Dieu sa louange » (1 Co 4, 5). Mais, diras-tu, où donc est ma racine ? Où est mon fruit ? Si tu as la foi, tu sais où est la racine ; car elle est où est ta foi, où est ton espérance, où est ta charité. […]

17. « Que tous ses saints le chantent dans leurs hymnes » (Ps 148, 14). Connaissez-vous l’hymne ? C’est un cantique en l’honneur de Dieu. Louer Dieu, sans aucun chant, ce n’est point une hymne : chanter sans louer Dieu, n’est point une hymne ; louer quelque chose autre que Dieu, de quelque chant que l’on puisse accompagner cette louange, ce n’est point une hymne encore. Une hymne a donc ces trois conditions, qu’elle est un chant, une louange, et louange en l’honneur de Dieu, Un cantique en l’honneur de Dieu est donc une hymne.

Saint Thomas d’Aquin

Gn 2, 2 : Dieu conclut au septième jour l’ouvrage qu’il avait fait.

Sum. theol., Ia, q. 73, a. 1

Il y a une perfection première des choses, celle où une chose est parfaite dans sa substance. Cette perfection est la forme du tout qui se met en place lorsque les parties sont complètes. […] La première perfection est celle de l’univers dans son entier, et elle fut dans le premier établissement des choses. Voici ce qui est assigné au septième jour.

Sum. theol., Ia, q. 73, a. 1, ad 1

On doit dire que rien de ce qui est fait par Dieu après [le septième jour] n’est entièrement nouveau, rien n’est fait qui, de quelque manière, n’ait été précédé dans l’œuvre des six jours. […] C’est pourquoi l’Ecclésiaste 1, 10 dit qu’il n’y a rien de nouveau sous le soleil. Soit quelque chose dont on dise : « Tiens ! c’est neuf ! » cela fut déjà par le passé.

Sur Isaïe 43

Isaïe promet des choses futures beaucoup plus grandes. […] C’est pourquoi il dit : Ne vous souvenez plus du passé, autrement dit, ce passé ne mérite pas qu’on s’en souvienne par rapport à ce qui doit venir. […] — Et cela en raison d’une nouveauté : Me voici qui fais du nouveau, de l’inouï. Ap 21, 5 : Voici que je fais l’univers nouveau. — Mais aussi en raison d’une particularité : Je délimite dans le désert, c’est-à-dire dans la terre des Juifs qui auparavant était abandonné, une route, pour ceux qui vont aux fêtes de pèlerinage, ce pourquoi Isaïe parle d’un fleuve, car c’est un fleuve de consolation. […] À la lettre, cette voie nouvelle se comprend de la libération de la captivité à Babylone […] Mais si on la rapporte à la libération apportée par le Christ, il est évident que rien d’aussi admirable n’a précédé dans les siècles passés. Isaïe montre ensuite l’utilité de ces bienfaits pour les gens des nations : les bêtes de la lande me glorifieront, c’est-à-dire ces gens qui vivaient comme des bêtes et qui se convertiront au Christ.

Ps 39, 4 : « Il a mis en ma bouche un chant nouveau. »

Commentaire — C’est comme si le psalmiste disait : ce que nous louons est au-delà de mes forces, car c’est plus grand que toute louange [que je pourrais faire]. De là vient qu’une louange digne de Dieu doit venir de Dieu. Il faut que Lui-même introduise dans ma bouche un chant nouveau. […] Ce chant nouveau est celui qui chante les bienfaits nouveaux. Les voici ces bienfaits. D’abord l’œuvre de l’incarnation, dont parle Jérémie 31, 22 en disant que le Seigneur crée du nouveau sur la terre, la femme entourera l’homme [la conception virginale du Christ]. Mais aussi un nouveau mode de libération, dont parle He 9, 12, par son propre sang le Christ entra une fois pour toutes dans le sanctuaire, obtenant une rédemption éternelle. Et le Seigneur a introduit du nouveau, un chant dans la bouche du psalmiste, qui est un chant nouveau parce qu’il est une alliance nouvelle. […] Le peuple nouveau chante du neuf, car il chante l’incarnation du Seigneur, la résurrection, l’ascension, la nativité et les autres mystères. Et c’est pourquoi dans ces grandes solennités les ministres de l’Église sont revêtus de blanc, ou d’ornements de soie, il chantent et ils proclament, afin que personne n’aie la présomption de chanter un chant nouveau à moins d’avoir été lui-même renouvelé.

Dominicains de Toulouse
fr. Alain Quilici