Le diaire des Jacobins

Sonnerie pour espérer : 2 avril

Le diaire des Jacobins du 2 avril 2020

Le fortifiant spirituel pour temps d’épidémie

Dosage quotidien

 

Mon âme se répand en prière

 

Adiutorium nostrum in nomine Domini, qui fecit caelum et terram

Donnez-nous des masques ! Donnez-nous des tenues et des tests ! Donnez-nous des lits et des respirateurs ! Donnez-nous des consignes claires ! Dites-nous la vérité sur la situation ! Ces demandes que nous entendons depuis de nombreux jours sont des prières.

Elles surgissent spontanément parce que toutes les conditions d’une prière sont réunies. Une prière suppose d’abord une chose ou une action dont on a besoin, et le besoin confère à cette chose ou à cette action une valeur de bien. En ce moment par exemple, spécialement pour certaines personnes, avoir un masque ou être testé serait un bien. Mais ce bien, on ne peut l’obtenir facilement parce que les masques manquent, parce que les tests sont en nombre limité. C’est pourquoi on en est réduit à espérer, espérer recevoir un masque ou espérer être testé. Espérer ne suffit toutefois pas pour prier. Il faut encore que le bien espéré, nous puissions l’obtenir d’un autre, et que cet autre veuille bien nous l’accorder. La prière est donc cette demande à un autre du bien que l’on espère, pour qu’il veuille nous donner ce qu’il peut donner. En temps d’épidémie, nos prières se font plus insistantes, parce que les biens à espérer sont plus essentiels. Il y a de ce point de vue une différence qui est en train d’apparaître, celle entre l’impatience du consommateur et l’insistance de l’orant. Nos sociétés se sont organisées ces dernières décennies pour stimuler les désirs de consommation et les satisfaire au plus vite. Sitôt désiré, sitôt commandé, et sitôt commandé, sitôt livré. Tout devait être disponible sur-le-champ, ou presque. Gare au magasin qui manquait de ce que nous désirions, ou qui tardait à nous l’envoyer, ou qui ne nous offrait pas une pleine satisfaction. Ainsi transformés en machines à consommer, nous avons développé l’impatience capricieuse des enfants. Un clic de souris constituait notre prière la plus efficace et nous en sommes venus à penser que le clic d’une souris était désormais l’étalon de la prière. Les prochaines semaines vont se charger de nous détromper. Pendant que le consommateur impatient s’énerve, de son côté, l’orant insistant implore avec plus de ferveur. Il trouve les accents de la supplication parce que, à la différence du consommateur, celui qui prie vraiment met son espérance en celui qu’il prie. Ce qui vaut dans la prière entre les hommes vaut aussi pour la prière avec Dieu. Celui qui met son espérance en Dieu le prie spontanément. Celui qui prie spontanément a mis son espérance en Dieu.

Textes commentés

Écriture sainte

1 S 1, 10-20 : Prière d’Anne

Pleine d’amertume, [Anne] pria le Seigneur en pleurant abondamment. Et elle fit un vœu en disant : « Adonaï Seigneur Elôai Sabaôth, si tu vois l’humiliation de ta servante, si tu te souviens de moi et n’oublies pas ta servante, si tu donnes à ta servante une descendance d’homme, moi je le donnerai au Seigneur pour les jours de sa vie [+ G il ne boira pas de vin ni de boisson enivrante] et le rasoir ne montera pas sur sa tête. » Et voici, comme elle ajoutait à sa prière devant le Seigneur, qu’Eli regardait sa bouche. Anne parlait en son cœur, seules ses lèvres remuaient, on n’entendait pas sa voix. Eli pensa qu’elle était ivre. [+G Le serviteur d’]Eli lui dit : « Combien de temps resteras-tu ivre ? Cuve ton vin [+G et retire-toi de devant le Seigneur] ! » Anne lui répondit : « Non, mon seigneur, je ne suis pas une femme à l’esprit hardi, je n’ai bu ni vin ni boisson forte, mais je répands mon âme devant le Seigneur. Ne tiens pas ta servante pour une femme de rien, car c’est l’excès de mon amertume et de mon oppression qui me fait parler ainsi. » Eli lui répondit : « Va en paix, que le Dieu d’Israël te donne selon ta demande. » Et elle dit : « Que ta servante trouve grâce à tes yeux. » Puis la femme s’en alla [+ G à l’hôtellerie], elle mangea [+ G avec son mari] et son visage changea […] Elle conçut. Vinrent les jours où elle enfanta un fils. Et elle l’appela Samuel, et dit « car que je l’ai demandé au Seigneur Dieu Sabaôth ». […] « C’est pour cet enfant que j’ai prié et le Seigneur m’a donné selon la demande (she’élatî) que je lui avais faite. Moi je le voue (hishe’ilettihû) au Seigneur tous les jours de sa vie : il a été demandé (sha’ûl) au Seigneur. »

Saint Jean Chrysostome

Cinq homélies sur Anne, 2, 6

Revenons à ses paroles, dont on ne saurait trop admirer la sagesse et la mansuétude. Après avoir dit « Non, Seigneur, elle ajoute : Je suis une femme dans l’affliction, et je n’ai bu ni vin ni liqueur enivrante » (1 S 1, 15). Observez comme ici encore elle tait les injures de sa rivale, s’abstient de dénoncer sa méchanceté, comme aussi de représenter sous des couleurs tragiques sa propre infortune, mais elle ne découvre de sa peine que ce qui est propre à la justifier aux yeux du prêtre.   « Je suis, dit-elle, une femme dans l’affliction ; je n’ai bu ni vin ni liqueur enivrante, et j’épanche mon âme devant le Seigneur. » Elle ne dit pas « je prie Dieu » ou « je supplie Dieu », mais « j’épanche mon âme devant le Seigneur » : c’est-à-dire, « je me suis jetée entièrement entre les bras de Dieu », « j’ai mis à nu ma pensée devant lui », « j’ai fait ma prière de toute mon âme et de toute ma force », « j’ai dit à Dieu mon infortune ; je lui ai découvert ma plaie : c’est lui qui peut y appliquer le remède ». […] Que dit alors le prêtre : Voyez, chez lui aussi, quelle prudence ! Il n’est pas curieux de connaître cette infortune, il ne veut point en demander la cause : « Éloigne-toi en paix, dit-il : Que le Seigneur, Dieu d’Israël, t’accorde toutes les demandes que tu lui as adressées » (1 S 1, 17). D’accusateur qu’il était, Anne s’en est fait un avocat. Telle est l’excellence de la sagesse et de la mansuétude. Au lieu d’injures, elle reçoit en partant un abondant viatique : elle trouve un protecteur, un intercesseur dans celui qui l’a réprimandée. Néanmoins elle ne s’en tient pas là, mais elle répète encore : « Que ta servante trouve grâce devant tes yeux ! » (1 S 1, 18). C’est-à-dire puisse la fin de tout ceci et l’issue de cette affaire te prouver que ce n’est point l’ivresse, mais une douleur profonde qui m’a dicté cette supplication et cette requête.

Verset 18 : Et la femme s’en alla, elle rentra à son logis, elle mangea et but avec son mari, et son visage cessa d’être abattu.

Voyez-vous la foi de cette femme ? Avant d’avoir obtenu ce qu’elle demandait, elle montre la même confiance que si elle l’avait reçu. La raison en est qu’elle avait prié avec une grande ferveur, avec un zèle aveugle. C’est pourquoi elle revint, comme si tout lui était accordé. D’ailleurs, Dieu lui-même alors dissipa son chagrin, attendu qu’il devait contenter son désir.

Saint Thomas d’Aquin

Sur Mt 6, le Notre Père

Commentaire : La prière, selon saint Jean de Damas, est une demande à Dieu de ce qui convient. Et saint Jacques 4, 3 [insiste sur cette convenance en disant] vous demandez mais vous ne recevez point parce que vous demandez mal, afin de satisfaire vos passions. Savoir ce qu’il convient de demander est, il est vrai, très difficile, comme il est très difficile de savoir ce qu’il convient de désirer. Ainsi, Paul dit que ce que nous prions nous ne le savons pas, mais Lui le sait. C’est pourquoi cette prière que Dieu a enseignée est la plus efficace, et cela explique [que les disciples ont demandé, Lc 11, 1] : Seigneur, enseigne-nous. […] Il faut savoir que dans toute prière, même celle qu’on pratique dans l’art rhétorique, on commence par attirer la bienveillance avant de formuler la demande. Ainsi, comme on fait dans la prière adressée aux hommes, de même on doit procéder dans la prière adressée à Dieu. Cependant, l’intention est différente dans l’un et l’autre cas. Car on attire la bienveillance d’un autre homme en fléchissant son esprit à lui, tandis que s’agissant de Dieu, on attire la bienveillance en élevant vers lui notre esprit. À cette fin, le Seigneur introduit deux choses qui sont nécessaires à l’orant pour attirer la bienveillance : il est nécessaire en effet que l’orant croie celui à qui il demande, et que celui à qui la prière est adressée veuille donner et le puisse. C’est pourquoi le Seigneur commence par : Père et Qui es aux cieux. Père apparaît ici d’abord pour disposer à la foi. Car la foi est nécessaire à l’orant. Dans la prière ce n’est pas seulement la foi qui est bien disposée, mais aussi l’espérance qui se soulève. Car si Dieu est Père, c’est parce qu’il veut donner, comme l’indique le Christ plus loin (7, 11) : Si donc vous, qui êtes mauvais, savez donner de bonnes choses à vos enfants, combien plus votre Père qui est dans les cieux en donnera-t-il de bonne à ceux qui l’en prient.

Du commentaire sur les psaumes 3, 30 et 41

La prière est vide à moins qu’elle ne s’appuie sur une espérance certaine.

Seigneur, entends ma voix. [Le psalmiste dit] ma voix [parce que si] la voix ne procède pas du cœur, ce n’est pas la mienne.

La prière est vocale principalement pour stimuler l’esprit. Pour cette raison, la voix n’est pas nécessaire « chez ceux dont l’esprit est suffisamment préparé à la dévotion [= à l’acte consistant à se placer face à Dieu pour tout ce qu’on lui doit] ». Ainsi lorsque le psalmiste dit : Mon cœur t’a dit : ma face te cherche. Ou lorsque Anne parlait en son cœur : Je répands mon âme devant le Seigneur.

« L’espérance qui se soulève s’élance en prière. » En effet, « Dieu est en rapport avec nous car il est notre force, pour accomplir tous les biens que nous faisons par lui ».

Dominicains de Toulouse
fr. Alain Quilici