Le diaire des Jacobins

Sonnerie pour espérer : 3 avril

Le diaire des Jacobins du 3 avril 2020

Le fortifiant spirituel pour temps d’épidémie

Dosage quotidien

 

Espérer dans le Temple

 

Adiutorium nostrum in nomine Domini, qui fecit caelum et terram

Nos églises nous manquent. Cela fait deux semaines, parfois trois, que nous ne pouvons participer à la liturgie, que nous ne pouvons rendre visite au Saint-Sacrement, que nous ne pouvons nous arrêter devant cette statue, cette icône, ce tableau, pour confier à nos intercesseurs nos inquiétudes et nos préoccupations.

Nos églises nous manquent au moment même où nous pressent de nouvelles raisons de nous y rendre. Ne pouvoir aller aux funérailles d’un proche, ne pouvoir confier une journée harassante à visiter des malades, ne pouvoir présenter à Dieu une supplique pour son travail, pour son entreprise, pour sa famille, pour ses examens, ne pouvoir venir chercher la paix du cœur. Certes, tout cela on peut plus ou moins le faire de chez soi, mais rien ne remplace ce moment où l’on franchit le seuil d’une église en laissant le monde derrière soi, ce moment où l’on se signe de la croix de notre baptême avec l’eau qui a servi à notre baptême, ce moment où l’on s’approche de l’autel du Seigneur, où on le vénère en s’inclinant, ce moment où l’on s’agenouille devant le tabernacle en ouvrant son cœur devant le saint Corps du Christ Jésus. Oui, nous sommes privés d’église, et nous en sommes privés au milieu d’une épidémie, à quelques jours de la Semaine Sainte. Je viens de retranscrire beaucoup de messages reçus ces derniers jours. Et je ne les évoque pas pour appuyer sur la plaie, mais pour aviver le désir, pour inclure dans notre espérance cette parole du psalmiste : « Dieu, nous méditons ton amour, au milieu de ton Temple » (Ps 47,10). Le moment est venu de dire cette parole sur le mode d’une espérance : « Dieu nous méditerons bientôt ton amour au milieu de ton Temple. » Espérer méditer l’amour de Dieu au milieu de son Temple, c’est espérer, bientôt, entrer à nouveau dans une église avec une prière creusée par la privation d’église. Mais cette espérance va plus loin. Car espérer méditer l’amour de Dieu au milieu de son Temple, c’est aussi espérer vivre de l’amour de Dieu éternellement dans le Temple du Corps glorieux du Christ. Nous sommes privés d’église, mais nous ne sommes pas privés de l’Église si le Christ habite en nous, puisque nous pouvons alors espérer.

Textes commentés

Écriture sainte

1 R 8, 23.27-30.37-39 : Prière de Salomon pour la consécration du Temple

Seigneur Dieu d’Israël, il n’y a personne comme toi parmi les dieux, dans les cieux là-haut et sur la terre en bas. Garde ton alliance et ton amour envers tes serviteurs qui marchent devant ta face de tout leur cœur. […] Est-ce que Dieu demeure sur la terre ? Les cieux et les cieux des cieux ne peuvent te contenir, encore moins cette demeure que j’ai bâtie. Sois attentif à la prière que ton serviteur t’adresse, devant toi, aujourd’hui. Que tes yeux soient ouverts sur cette maison jour et nuit, sur ce lieu dont tu as dit : « Mon nom est là », pour écouter la prière que te présente ton serviteur en ce lieu. Écoute la supplication de ton serviteur et de ton peuple qui te prient en ce lieu, et toi, sois attentif à ce lieu où tu demeures, depuis les cieux, écoute et pardonne. […] Qu’il y ait famine sur la terre, qu’il y ait peste, qu’il y ait la rouille, la nielle, les sauterelles, que l’ennemi monte contre les villes de la terre, tout fléau ou toute maladie, toi, quel que soit le motif de la prière, de la supplication de tout homme, de ton peuple Israël, ton peuple, quand il connaîtra le fléau, et tendra les paumes vers cette demeure, toi, écoute du haut des cieux, où tu résides, pardonne, agis, traite-le selon sa conduite puisque tu connais son cœur, car toi seul tu connais le cœur de tous les hommes.

Saint Augustin

Sermon 336, 1 (trad. éd. Raulx)

La fête qui réunit cette multitude est la dédicace d’une maison de prières. Ainsi, cette maison est pour nous une maison de prières, et nous sommes, nous, la maison de Dieu. Si nous sommes la maison de Dieu, c’est parce qu’en nous formant dans le siècle nous devons être dédiés à la fin du siècle ; et si nous avons de la peine à bâtir, nous aurons de la joie quand viendra pour nous la dédicace. Ce qui se faisait naguère, lorsque s’élevaient ces murailles, se fait encore, maintenant que se rassemblent ceux qui croient au Christ. Croire, en effet, c’est en quelque sorte être tiré des forêts et des montagnes, comme le bois et la pierre ; et s’instruire, être baptisé, se former à la vie chrétienne, c’est être comme taillé, dressé, poli entre les mains des ouvriers et des artisans. On ne devient toutefois la maison du Seigneur qu’autant qu’on est uni par le ciment de la charité.

Sermon 337, 1 (trad. éd. Raulx)

Qu’est-ce donc que doit rendre le Seigneur à ses fidèles lorsque ceux-ci élèvent ces édifices avec tant de piété, tant de gaîté et de dévouement ? C’est de les faire entrer à leur tour dans la construction de l’édifice immense vers lequel s’élancent les pierres vivantes que forme la foi, qu’affermit l’espérance et qu’unit la charité (quo currunt lapides uiui, fide formati, spe solidati, caritate compacti) ; édifice mystérieux où l’Apôtre, en sage architecte, établit comme fondement Jésus-Christ même (1 Co 3, 10), la grande pierre angulaire, comme le dit saint Pierre d’après les Écritures prophétiques, « pierre rejetée par les hommes, choisie et glorifiée par Dieu » (1 P 2, 4). C’est en nous unissant à elle que nous trouvons la paix, et la fermeté en nous appuyant sur elle.

Sermon 337, 5 (trad. éd. Raulx)

Oui, animés par la charité que donne l’Esprit-Saint, construisez la demeure de la foi et de l’espérance (fidei et spei domum spiritali dilectione construite in omni opere bono) ; construisez-la avec les bonnes œuvres dont il ne sera plus question alors, parce qu’alors il n’y aura plus de besoin. Les fondations jetées dans vos cœurs seront les enseignements des prophètes et des Apôtres ; votre humilité s’abaissera sans blesser personne et sera comme un plancher ; la prière et les discours sacrés serviront, comme de forts remparts, à protéger dans vos âmes la divine doctrine ; les divins témoignages seront vos flambeaux ; comme de fermes colonnes, vous soutiendrez les faibles ; vous protégerez les abandonnés, comme cette solide toiture. Ainsi le Seigneur notre Dieu vous rendra-t-il des biens éternels pour vos biens temporels ; et, parfaits, consacrés à lui, vous serez éternellement son domaine.

Saint Thomas d’Aquin

Sur le psaume 23

Quelqu’un habite dans la maison de Dieu par la foi et la charité ainsi que par des œuvres bonnes qui y sont conformes. Ainsi le Ps 67, 7 [LXX] dit que Dieu fait que dans sa maison nous ayons une seule volonté.

Sum. theol., Ia-IIae, q. 102, a. 4, c.

Tout le culte extérieur de Dieu est principalement ordonné au fait que les hommes aient crainte de Dieu. Or cette disposition de l’âme humaine permet que les choses communes ou banales soient moins révérées, tandis qu’est plus admiré et révéré ce qui possède une particulière excellence par rapport au reste. De là vient que la coutume s’imposa chez les hommes de parer les rois et les princes de vêtements précieux, ou qu’ils possédassent des habitations plus spacieuses et plus belles, parce qu’il leur fallait être révérés par leurs sujets. C’est pourquoi il fut nécessaire que soient ordonnés au culte de Dieu des temps précis, un lieu spécial, des objets dédiés, des ministres particuliers, afin que les âmes des hommes soient conduites à une plus grande crainte de Dieu. De même, le statut de la Loi ancienne fut aussi institué pour annoncer en figure les mystères du Christ. Car ce qui est annoncé en figure doit forcément l’être par quelque chose de précis, quelque chose qui en représente une certaine similitude.

Sum. theol., Ia-IIae, q. 102, a. 4, ad 1

Le culte de Dieu concerne deux parties, Dieu d’une part que l’on honore, et les hommes d’autre part, qui honorent. Dieu lui-même, qui est honoré, ne peut être renfermé dans aucun lieu corporel, et il n’y a donc pas à faire un sanctuaire ou un temple pour lui. En revanche, les hommes qui honorent, eux sont corporels, et pour eux il faut un sanctuaire particulier, ou un temple, qui soit institué pour le culte de Dieu. Ceci pour deux raisons. D’une part, lorsqu’ils viennent en un tel lieu en comprenant que ce lieu est dédié à honorer Dieu, ils y viennent avec une plus grande crainte. D’autre part, en raison de la disposition particulière du temple, ou du sanctuaire, leur sont signifiées des choses qui touchent à l’excellence de la divinité et de l’humanité du Christ. C’est ce que dit Salomon en 1 R 8 : si le ciel et la terre ne peuvent te contenir, encore moins cette demeure que j’ai bâtie. Et il ajoute alors : que tes yeux soient ouverts sur cette maison, sur ce lieu dont tu as dit : mon Nom sera là, afin que tu exauces la supplication de ton serviteur et de ton peuple Israël. On voit clairement ici que la maison du sanctuaire n’est pas établie pour que Dieu soit renfermé dedans, comme un habitant de ce lieu, mais pour que le nom de Dieu habite là, c’est-à-dire pour que la connaissance de Dieu soit manifestée là, au moyen de ce que l’on y fait ou de ce que l’on y dit. De sorte que, en raison de la crainte du lieu, les prières qui y sont adressées soient plus dignes d’être exaucées en raison de la dévotion de ceux qui y prient.

Sur Mt 6, le Notre Père

Commentaire : La foi est nécessaire à l’orant. Il y a eu en effet trois erreurs qui ont conduit à rejeter la prière. Les deux premières ruinent totalement la prière, tandis que la troisième lui attribue plus que ce qu’on doit lui attribuer. Et le Seigneur écarte ces trois erreurs lorsqu’il enseigne à dire : Notre Père. — La première pense que Dieu n’a cure des affaires humaines, comme le dit Ez 9, 9 : Dieu les a abandonnés, de sorte que selon elle on demande à Dieu en vain [on prie mais il n’écoute pas, donc autant arrêter]. — La seconde tient que Dieu possède un dessein, mais que cette providence impose une nécessité aux choses [on prie mais ça ne sert à rien, donc autant arrêter]. — La troisième va trop loin, car elle soutient que Dieu dispose tout par sa providence, mais que par la prière on le fait changer de disposition [on prie pour changer Dieu, et ça marche]. Ces trois erreurs sont écartées lorsque le Seigneur dit : Notre Père qui es aux cieux. Car s’il est Père, il possède une providence (Sg 14, 3 : C’est ta providence, ô Père, qui guide l’homme). De même la deuxième erreur est écartée car on donne le nom de père par rapport à un fils, comme on donne le nom de maître ou de seigneur par rapport à un serviteur. Par conséquent, lorsque nous disons Père, nous nous considérons nous-mêmes comme libres. […] Car il appartient à la définition d’un fils d’avoir une liberté, ce qui signifie que ne s’impose pas à nous une nécessité. Enfin, en disant qui es aux cieux, on exclut que le dessein divin soit changeant. Une prière vaut en effet en ce que nous croyons que Dieu a disposé chaque chose en fonction de sa nature. Ainsi, s’agissant de l’homme, Dieu a prévu que l’homme atteigne sa fin par ses actes. C’est pourquoi la prière ne modifie pas la providence, et elle n’est pas hors de la providence, mais elle dépend de la providence.

Dominicains de Toulouse
fr. Alain Quilici