Le diaire des Jacobins

Sonnerie pour espérer : 31 mars

Le diaire des Jacobins du 31 mars 2020

Le fortifiant spirituel pour temps d’épidémie

Dosage quotidien

 

La Loi de l’espérance

 

Adiutorium nostrum in nomine Domini, qui fecit caelum et terram

Plus les jours passent, et plus nous en savons sur le virus féroce. Au commencement, on s’est contenté d’introduire la distance d’un postillon les uns entre les autres. Puis on a appris à nettoyer les poignées de porte, à repérer les symptômes, à isoler les malades. Mais rien de tout cela n’a suffi.

Le mal se répandait plus vite que les barrières dressées contre son expansion. On a donc fini par tous être confinés, d’abord mollement, puis de manière plus vigoureuse et contraignante. Aujourd’hui, on en est aux amendes salées et aux couvre-feu. Cette progression des derniers jours nous apprend que l’extension du mal s’endigue par des règles. Si le mal est très contagieux, les règles deviennent d’autant plus strictes et nombreuses. On ne les impose pas de gaieté de cœur, on ne les applique pas avec le sourire. Les règles contre le virus sont simplement nécessaires parce qu’on espère sortir de l’épidémie au plus vite. La loi est l’indispensable compagnon de l’espérance parce que, si l’on espère atteindre un but, il faut que nos actes s’adaptent pour atteindre le but. À dire vrai, même si nous avons maugréé un peu au départ, nous avons assez bien accepté les nouvelles règles pour contenir l’épidémie. C’est que nous y sommes habitués. Dans les récentes décennies, nos sociétés ont atteint un tel degré d’organisation que nous avons été ensevelis sous les règlements et les lois. Rien n’y échappe, notre nourriture, nos déplacements, notre travail, notre vie familiale. Les règles sont partout, les formulaires se compliquent à chaque nouvelle version, les procédures sont de plus en plus pointilleuses. Personne n’oserait mettre un masque en public tant que le gouvernement ne l’autorise pas. Personne n’oserait fabriquer un respirateur à oxygène sans l’apposition d’un tampon CE. Même pour sauver des vies. On peut alors remarquer que notre obsession des lois s’est exclusivement concentrée sur des espérances matérielles. Dans le domaine spirituel, c’est l’inverse qui s’est produit. Toute règle pour diriger l’agir vers la vie éternelle ou pour éviter le péché qui détourne de la vie éternelle est apparue insupportable. Il vaut la peine de s’interroger sur notre double difficulté actuelle, à accepter une loi morale d’une part, à nourrir une espérance de la vie éternelle d’autre part.

Textes commentés

Écriture sainte

Dt 6, 4-9 ; 20-22 ; 25

Écoute Israël, YHWH notre Dieu est YHWH l’unique

De sorte que tu aimeras YHWH ton Dieu de tout ton cœur

De toute ton âme et de toute ta force

Les paroles que je te commande aujourd’hui seront sur ton cœur

Tu les répéteras à tes fils et tu parleras par elles,

Restant chez toi, dans ta maison, en chemin, couché ou debout

Tu les attacheras comme des signes sur ta main

Comme une marque entre tes yeux

Tu les écriras sur les montants de ta maison et sur tes portes […]

Et plus tard quand ton fils te demandera :

« Qu’est-ce donc que ces préceptes, ces décrets, ces commandements que nous a commandés YHWH notre Dieu ? »

Tu diras à ton fils :

« Nous étions esclaves de Pharaon en Égypte,

YHWH nous a fait sortir d’Égypte à main forte

Il a accompli des signes et des prodiges grandioses contre l’Égypte, contre Pharaon et sa maison, sous nos yeux […]

Et il y aura pour nous une justice,

Si nous gardons tous ces commandements pour les accomplir

Devant YHWH notre Dieu, comme il l’a prescrit »

Saint Zénon de Vérone

Saint Zénon de Vérone (IVe s.), CCL 22 (trad. J.-G. Bougerol modifiée)

L’espérance, la foi et la charité sont les trois fondements du temple de l’édifice (temple) chrétien (christiani culminis fundamenta). Ces trois fondements semblent connexes au point d’être nécessaires les uns aux autres. Si l’espérance ne précède, à quoi sert la foi ? Si la foi n’existe pas, comment l’espérance peut-elle naître ? Si la charité ne leur est pas présente, l’une et l’autre cessent de vivre, car ni la foi sans la charité, ni l’espérance sans la foi ne peuvent agir. C’est pourquoi le chrétien, s’il désire être parfait, doit se construire (être bâti, constructus) sur ces trois fondements. Ainsi, en premier, nous est proposée l’espérance des choses à venir sans laquelle nous ne pouvons percevoir les choses présentes elles-mêmes. Enlève l’espérance, l’humanité entière est engourdie. Enlève l’espérance, les arts, les valeurs universelles disparaissent. […] Pourquoi l’agriculteur jette-t-il la semence en terre, sinon en vue de la moisson qui le paiera de sa sueur ? […] L’espérance vient de la foi. Bien qu’elle se projette sur l’avenir, elle est cependant avec raison sujette à la foi, car où la foi n’existe pas, l’espérance ne peut vivre. La foi est la substance de l’espérance et l’espérance est la gloire de la foi, parce que la récompense possédée par l’espérance, c’est la foi qui la mérite ; la foi lutte pour l’espérance, mais c’est elle qui remporte la victoire. Il faut donc l’embrasser avec ténacité, la conserver et s’appuyer fortement sur elle, car elle est le fondement stable de notre vie, une forteresse inexpugnable contre les assauts du diable, une arme et une cuirasse impénétrable pour notre âme, la science de la loi abondante et vraie, terreur des démons, vertu des martyrs, beauté de l’Église, ministre de Dieu, amie du Christ, convive de l’Esprit. Le présent et l’avenir lui sont soumis, le présent qu’elle condamne, l’avenir qu’elle présume être un jour le sien. L’espérance ne craint pas l’avenir, car elle le porte toujours en soi avec ses valeurs… Il est donc manifeste que la nature de l’espérance et de la foi est une et inséparable. Si dans l’homme l’une manque, les deux meurent.

Saint Thomas d’Aquin

Sum. theol., Ia-IIae, q. 91, a. 4

Fixe-moi une loi, Seigneur, sur la voie de ce qui rend juste à tes yeux (Ps 118, 33 [vulg.]). À côté de la loi naturelle et de la loi humaine, il fut nécessaire que la vie humaine possédât une loi divine pour la diriger. Et ceci pour quatre raisons. En premier lieu, par la loi l’homme est dirigé à des actes appropriés en vue de la fin ultime. Or si l’homme n’était orienté que vers une fin limitée à ses capacités naturelles, l’homme n’aurait besoin d’être dirigé par rien de plus que par la loi naturelle et la loi humaine, qui dérivent de l’activité de la raison. Mais parce que l’homme est ordonné à cette fin qu’est la béatitude éternelle, et qu’une telle fin excède les capacités humaines, il lui fut nécessaire d’être dirigé par une loi divinement révélée, en plus de la loi naturelle et de la loi humaine. — En deuxième lieu, la loi divine fut nécessaire à cause de l’incertitude du jugement humain, particulièrement pour ce qui touche aux aspects contingents et particuliers des actes humains, qui impliquent des jugements divers et donc des lois diverses et même parfois contradictoires. […] — En troisième lieu, il faut prendre en compte ce sur quoi l’homme peut édicter une loi, ce sur quoi il peut émettre un jugement. En effet, le jugement de l’homme ne peut porter sur les mouvements intérieurs, qui sont cachés, mais seulement sur les actes extérieurs, qui sont apparents. Or il est pourtant requis à la perfection de la vertu que l’homme se comporte droitement dans ses actes à la fois intérieurs et extérieurs. […] — Enfin, la loi humaine ne peut pas punir ou interdire tout ce que l’on fait de mal. Car si elle se mettait à vouloir extirper tout ce qui est mal, elle empêcherait aussi de nombreux biens qui ne pourraient servir pour le bien commun. […] Ces quatre raisons sont évoquées au Ps 18, 8, où il est dit que la Loi du Seigneur est sans tache, c’est-à-dire qu’elle ne permet la laideur d’aucun péché, et convertit les âmes, puisqu’elle dirige non seulement les actes extérieurs mais aussi les actes intérieurs, que le témoignage du Seigneur est fidèle, en raison de la certitude de sa vérité et de sa droiture, et qu’il est une sagesse pour les petits, puisqu’il ordonne l’homme à une fin surnaturelle et divine.

Sur le Ps 18,11-12 : Désirables plus que l’or, plus que l’or le plus fin, ses paroles sont plus douces que le miel, que le suc des rayons

Commentaire — Du point de vue du désir de l’âme, la Loi est préférable à toutes les choses de ce monde. Dans les choses de ce monde sont en effet désirées les richesses extérieures et les plaisirs du corps. Mais la délectation de la Loi divine vient au-dessus. […] Et cela pour une triple raison. La première vient du bien qui nous délecte, qui est meilleur, ainsi que de la cause de la délectation car un plus grand bien est plus délectable. La deuxième raison apparaît quand on se place du point de vue de ce qui en nous se délecte, car la force de notre intelligence est plus énergique que celle de nos sensations. La troisième raison touche à la manière dont on se délecte. Car les délectations corporelles consistent dans un devenir et un mouvement. On le voit, par exemple, avec la nourriture et toutes les choses semblables. Or le mouvement est quelque chose d’imparfait, qui implique un futur et un passé sans pouvoir être tout à la fois. Au contraire, les délectations spirituelles ne se font pas dans un mouvement puisqu’elles se réalisent en aimant et en connaissant le bien, ce qui ne se fait pas dans un mouvement.

Dominicains de Toulouse
fr. Alain Quilici