Homélie du 17 octobre 2004 - 29e DO
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Cette parabole du juge inique et de la veuve importune nous est bien sympathique; elle fleure bon l’histoire vécue: «Cette veuve là, elle commence à … m’ennuyer! Je vais finir par lui rendre justice – oh, rassurez-vous: non pas par amour de la justice (car entre nous soit dit, je suis une belle fripouille), mais pour qu’elle ne vienne plus me casser… la tête». On pourrait être surpris de trouver dans la bouche de Jésus une histoire aussi triviale. C’est que pour se révéler à nous, Dieu doit bien employer des mots qui nous parlent. La Justice de Dieu, nous ne savons pas ce que c’est… Alors, pour nous en donner au moins une petite idée, il faut bien que nous partions de ce que nous connaissons, à savoir la justice humaine, aussi imparfaite soit-elle. Cette parabole ne nous présente pas un modèle à suivre (ou à ne pas suivre); elle constitue un argument a fortiori. Si même un juge injuste finit par rendre justice, ne serait-ce que pour avoir la paix, combien plus Dieu, qui est source de toute bonté, de toute justice et de paix, nous rendra-t-il justice, à nous qui crions sans fin vers lui.

C’est donc une parole de consolation que le Seigneur nous livre ici, pour nous inviter à «prier sans cesse, sans nous décourager» – Parole de consolation… et pourtant, l’Évangile s’achève sur une note plutôt inquiétante, sur une interrogation qui nous laisse songeur: «Le Fils de l’homme, quand il viendra, trouvera-t-il la foi sur la terre?»

Remettons-nous dans le contexte: nous sommes dans la dernière partie de la montée à Jérusalem, que nous lisons chapitre après chapitre, dimanche après dimanche depuis le début de l’été. Nous ne sommes pas seulement ici dans la montée vers Pâques, mais nous nous situons aussi dans ce long pèlerinage de l’Église vers la Jérusalem céleste. Nous n’en avons plus d’ailleurs que pour quelques semaines avant la fin des temps – ou si vous préférez, avant la fin de l’année liturgique. Il vient d’être question dans le chapitre précédent du «Jour du Fils de l’Homme», ce Jour que les premiers chrétiens croyaient imminent – et de fait, il l’est: juste auparavant, le Seigneur dit que «le Royaume de Dieu est là, tout proche: il est au milieu de vous». Il est «déjà là» et «pas encore»… Il est à l’œuvre, mais ce qu’il est vraiment ne paraît pas encore, nous ne le voyons que dans l’obscurité de la foi, et il ne sera montré en pleine lumière qu’au terme du chemin: «Non, il ne dort pas, il ne sommeille pas, le gardien d’Israël: le Seigneur ton gardien, ton ombrage se tient près de toi» (Ps 120).

Cette veuve, cette Épouse à qui l’Époux a été ôté pour un temps, c’est aussi de quelque manière une figure de l’Église. Et ce mauvais juge, qui ne craint pas Dieu et se moque des hommes, ce juge d’Iniquité qui n’adore pas Dieu et n’aime son prochain comme lui-même, c’est en même temps une figure de l’Adversaire, de l’Accusateur, l’antique Serpent qui n’a de cesse de s’attaquer à l’Épouse, générations après générations. Mais justice a été rendue à l’Épouse définitivement au pied de la croix et l’Adversaire, renvoyé à son néant!
«Sans attendre, Dieu fait justice à ses élus»: simplement, il «prend patience avec nous», pour que les fruits de cette Rédemption soient communiqués en tous temps et en tous lieux, jusqu’aux extrémités de la terre et jusqu’à la fin des temps. C’est la mission confiée par l’Apôtre à Timothée: «Proclame la Parole – interviens à temps et à contre temps», comme cette veuve importune qui finit par faire fléchir le cœur le plus endurci. Dieu patiente pour nous laisser le temps de nous convertir…

«Encourage, avec une grande patience» dit encore l’Apôtre: il faut tenir bon dans la foi, et prier sans se décourager, comme Moïse dans le combat d’Israël contre les Amalécites – Amalec, autre figure emblématique de l’Adversaire… Lorsque Moïse se tournait vers le Seigneur, le bâton de Dieu en main, les mains levées au ciel, le Seigneur accordait la victoire; autrement, si l’on baissait les bras, l’Adversaire faisait main-basse sur le peuple. L’Adversaire gagne toujours du terrain quand les hommes de Dieu baissent les bras, mais «grâce à l’Écriture, nous dit l’Épître, l’homme de Dieu sera bien armé pour redresser, réfuter, dénoncer le mal». Aaron et Hour finirent par asseoir et adosser Moïse contre une pierre afin de soutenir ses mains toujours levées vers le Ciel. C’est que nous ne sommes pas seuls dans ce combat de la foi qu’est la prière: nous sommes portés par la prière de toute l’Église, nous sommes adossés sur les pierres vivantes de la communion des saints. C’est cela qui nous permet d’accomplir en vérité ce commandement de «prier sans cesse».

La laus perennis, la louange perpétuelle, ce n’est pas l’affaire de quelques moines qui ne dormiraient jamais, comme ces moines acémètes qui se succédaient au chœur chacun à tour de rôle. Non: c’est l’office de toute l’Église, mais chacun à sa place, pour que toute notre vie soit une louange incessante au Seigneur, pour la gloire de Dieu et le salut du monde.