Homélie du 28 octobre 2007 - 30e DO
fr. Jean-Michel Maldamé

Cet été les journaux ont fait largement état d’une lettre de Mère Teresa de Calcutta où elle faisait confidence de ses difficultés dans la prière. Certains ont interprété hâtivement qu’elle n’avait pas la foi; c’est faux! C’est parce qu’elle avait la foi qu’elle était assidue à la prière et qu’elle éprouvait que la relation avec Dieu est au-delà de toute sentimentalité. Cette remarque nous permet d’entrer dans l’intelligence de la parabole qui met en contraste un pharisien et un publicain. Le premier est un croyant très pratiquant; le second un homme corrompu. La prière du premier est nulle et non avenue, la prière du second exaucée.

 

[|– I –|]

Nous ne commettrons pas la faute de considérer que la parabole parle des autres, même si notre premier mouvement est de nous demander qui autour de nous est pharisien et qui est publicain. Non, la parabole parle de nous. Qui est le pharisien? C’est moi; oui moi qui suis au premier rang pour la célébration, et qui serai dans un moment avec un bel habit blanc sur le parvis de l’église, ou encore sur une estrade pour une conférence ou un débat… Qui est pharisien? Oserai-je dire que c’est aussi vrai de ceux qui affichent leur idéal de famille chrétienne, d’engagement au service des autres, de responsabilité… Bref, n’esquivons pas de considérer que la parabole nous invite à nous reconnaître dans le pharisien. Quant au publicain, homme corrompu par les affaires d’argent ou de pouvoir, Jésus ne fait en aucun cas l’éloge de sa vie, car la critique de Jésus à l’égard de l’argent, de la corruption ou de la débauche est sans appel. Cet homme est loué d’avoir demandé pardon à juste titre. Il est loué d’avoir été vrai. Le pharisien ne l’était pas. Son erreur apparaît quand il se compare et qu’il a une attitude de mépris quand il dit: «Je suis pas comme les autres…» Ce mépris, dénoncé comme injurieux, est le signe que cet homme est dans l’illusion; au contraire Jésus dit que le publicain a été justifié parce qu’il s’est tenu devant Dieu sans illusion sur sa vie. Il a fait œuvre de vérité.

La parabole nous invite donc à être vrai. Quelle est notre attitude vis-à-vis de la vérité? Jésus ne nous dit pas que la morale du pharisien est mauvaise, ni que ses convictions religieuses sont fausses, mais qu’il se trompe fondamentalement quand il pense qu’il possède cette vérité.

 

[|– II –|]

Jésus dénonce dans l’attitude du pharisien sa manière de considérer qu’il a la vérité. Quelle naïveté! Il pense que Dieu est sa propriété. Non! Dieu est Dieu et la vérité est toujours devant nous; elle est comme un horizon: plus on avance, plus on sait et plus on sait qu’il y a encore plus à découvrir.

La valeur de la pensée et de la science vient de ce qu’elle sait qu’elle ne sait pas et qu’elle ne cesse de se remettre en question pour aller de l’avant. J’espère ne jamais être de ces prédicateurs qui dénigrent cette attitude qu’ils interprètent comme un aveu d’impuissance et qui disent qu’établis dans la vérité des dogmes éternels ils ont la vérité. Au nom de quoi ils condamnent les autres. Quelle naïveté! Quelle prétention!

Le b a ba de la foi n’est-il pas de reconnaître que Dieu est autre chose qu’un objet du monde? La plus élémentaire expérience de la prière ne nous a-t-elle pas appris que justement il dépasse toujours ce que l’on peut en dire, en penser ou exprimer dans une célébration. L’aveu de Mère Teresa de Calcutta sur ses difficultés dans la prière est clair; il fait écho à toute la tradition des maîtres spirituels; Mère Teresa éprouve qu’elle ne possède Dieu et que plus elle l’aime, plus elle ressent sa pauvreté dans une vie de foi aride. Ce qui authentifie le propos de Mère Teresa, c’est son action au service des pauvres, sans mépris pour personne.

 

[|– III –|]

Mon propos n’est pas affaire de vie spirituelle intimiste. Il concerne l’avenir du monde, car aujourd’hui les plus insolubles conflits, les massacres quotidiens se font au nom de Dieu, au nom de la ville sainte, au nom de la terre sainte, au nom de la religion – Coran, Bible ou autre texte sacré en mains. Aussi, la parabole qui dénonce l’attitude du pharisien est d’une tragique actualité. Cette mise en garde nous concerne. Il ne s’agit pas d’édulcorer la vérité chrétienne, mais de savoir que puisque Dieu est Dieu en sa sainteté, il n’est pas enfermé dans les propositions du catéchisme, dans les formules dogmatiques, ni dans des rites liturgiques.

La parabole de Jésus n’est pas seulement une leçon de morale, elle nous dit ce qu’est le Royaume de Dieu. Aujourd’hui nous apprenons par la parabole que le Dieu de l’Évangile est plus grand que ce que nous en savons et que nous n’en saurons jamais. Cette reconnaissance creuse en nous le désir de le connaître et nous rend fraternels avec tous ceux qui sont en route vers lui – même si c’est par un autre chemin.

Si ce que je viens de dire a quelque rapport avec notre présence à la célébration de l’eucharistie, alors déchirant le voile de l’illusion, où que nous en soyons sur la route de la vie, venons et tendons la main comme un mendiant pour recevoir le sacrement du corps du Christ et boire à la coupe du salut pour vivre vrai, car il est le Chemin, la Vérité et la Vie.