Homélie du 30 mai 2010 - Trinité
Daniel Vigne

Nous fêtons aujourd’hui la Sainte Trinité. Mystère des mystères, me direz-vous. Oui, mystère insondable, suprême, incompréhensible. Et pourtant, ce mystère n’est pas celui d’un seul jour de l’année : nous le célébrons dans chaque messe, presque autant que dans celle d’aujourd’hui. On pourrait le montrer de bien des manières. Avez-vous remarqué comment toute messe commence, et comment elle finit ? Par l’invocation de la Sainte Trinité. Du signe de croix initial à la bénédiction finale, la messe est comme suspendue au mystère trinitaire, puisqu’elle en part et y revient.

Mais regardons de plus près sa structure. Vous savez qu’elle comporte deux parties, la liturgie de la Parole et la liturgie eucharistique. Or chacune d’elles comporte un moment-clé, un moment solennel en l’honneur de la Sainte Trinité.

Dans la liturgie de la Parole, à travers les lectures, l’Évangile, l’homélie, Dieu nous instruit, nous enseigne, et nous sommes dans une attitude d’écoute et de réception. Mais après l’homélie, nous nous levons et prenons la parole pour dire, activement, le symbole de foi. C’est le sommet et comme le but de la liturgie de la Parole : nous rendre capables de confesser la Sainte Trinité. À ce Dieu qui s’adresse à nous, nous répondons : « Oui, je crois. »

Notes que dans cet acte de foi, nous manifestons le mystère qu’il proclame, puisque nous disons « je crois », comme un seul être – et non pas « nous croyons », au pluriel. Nous l’énonçons au singulier, alors que nous sommes plusieurs, comme Dieu est un en étant trois. Et il est beau de le dire d’une seule âme, ce Credo, comme pour prouver que nous croyons vraiment à l’unité de nos personnes, image de l’unité des Personnes divines. Le Seigneur le dit : « Qu’ils soient un comme nous sommes un ». Vous le voyez : ce n’est pas si compliqué, la Trinité, puisqu’en la confessant, nous en vivons en quelque sorte le mystère. Puisqu’en disant « je crois », nous sommes comme un seul être, à la fois un et pluriel.

Mais continuons notre parcours. Après le Credo et la prière universelle commence la deuxième partie, centrée sur la prière eucharistique, en grec l’anaphore – littéralement, ce qui nous élève. Et de fait, c’est le moment le plus saint de la liturgie (autrefois, les non-baptisés ne pouvaient pas y assister), le cœur de notre rencontre avec le Dieu trinitaire. Si la première partie de la liturgie est sous le signe de la foi, la seconde est sous le signe de l’amour.

Car nous allons, non plus seulement entendre le Dieu vivant, mais le voir et le recevoir. Il va venir à nous, venir en nous dans le pain et le vin, devenus corps et sang du Christ. Il va nous communiquer sa propre vie. « Celui qui m’aime, mon Père l’aimera, et nous viendrons à lui, et nous ferons en lui notre demeure », dit le Seigneur, et ce « nous » inclut aussi le Saint-Esprit que le Christ nous envoie. Oui, c’est Dieu tout entier, Père, Fils, Saint-Esprit, que nous accueillons dans l’eucharistie. Quelle grâce ! Quel don !

Aussi nous rendons grâces, nous faisons monter vers Dieu notre gratitude, nous l’adorons de tout notre être, et spécialement à la fin de la prière eucharistique, lorsque prenant ensemble la patène et la coupe, le prêtre et le diacre les élèvent, solennellement, à la fois devant Dieu et devant nous. C’est le sommet de l’anaphore, qui se termine par cette formule extraordinaire et totalement trinitaire : « Par lui, avec lui et en lui (le Fils), à toi, Dieu le Père tout puissant, dans l’unité du Saint-Esprit, tout honneur et toute gloire dans les siècles des siècles ».

Formule tellement belle que les fidèles, parfois, aimeraient la dire aussi, et ce ne serait pas une impiété. Mais il est bon de que les célébrants la fassent monter en notre nom, et que notre « Amen » vienne la conclure – parfois un triple Amen, en signe, bien sûr, de la Sainte Trinité. Car ici encore, la proclamation du mystère symbolise ce mystère et le réalise. Le célébrant, les prêtres, les diacres, l’assemblée forment alors un seul être : l’Église, comme le Père, le Fils et le Saint-Esprit sont un seul Dieu.

Oui, quand les prêtres chanteront tout à l’heure : « Par lui, avec lui et en lui… », ils seront la voix de l’Église, ils le feront « dans l’unité du Saint Esprit » avec nous – c’est pourquoi nous pourrons dire ces mots avec eux dans nos cœurs. Et de même, nous chanterons notre « Amen » au nom de toute l’Église, d’ici et de partout, visible et invisible, passée et à venir. Nous serons la voix de l’univers sauvé acclamant le Dieu un. Et nous qui sommes divers, nous ne ferons plus qu’un dans cette louange.

Non, frères et sœurs, la Trinité n’est pas un dogme étrange, une équation incompréhensible, puisque nous l’expérimentons en même temps que nous la proclamons. Puisqu’elle éclaire ce que nous sommes en train de vivre. Nous qui sommes rassemblés autour de cet autel, le Dieu un nous unit en un seul être, à son image, mystérieusement, mais réellement. Nous sommes différents, et nous le restons, et pourtant nous pouvons dire d’une seule voix : Je crois, et d’un seul cœur : Amen.

En proclamant le Credo et en chantant notre Amen, frères et sœurs, en disant à Dieu notre foi et notre amour, laissons ce mystère d’unité faire de nous un seul être. Vivons de la Trinité que nous célébrons. Alors le Très Saint, le Dieu trois fois saint, que nous adorons dans le Gloria et le Sanctus, nous sanctifiera à son image. Alors nous serons son unique peuple, son Église bien-aimée, comme il est notre unique Dieu.